Un banc à l’ombre

Un banc à l’ombre
Elles s’appellent Niobé et Myla… Je les ai aimées tout de suite, sans vraiment les connaitre et puis… à les regarder vivre… je les ai encore mieux aimées.
Car elles existaient avant moi ces femmes de courage et de convictions. Elles sont partout là où il y a des révolutions, des injustices… des puissants et des petits…
Myla avec ses godasses, son treillis et son arme trop lourde dont elle dit “J’ai appris à m’en servir et je m’en suis servie !”
Niobé, dans ses petite robes légères cachant mal son gros ventre de fin de grossesse, s’obstinant à monter chaque jour 320 marches en plein cagnard, malgré le danger, pour venir tricoter sa layette sur “le seul banc à l’ombre” de la ville…
Cette ville qui, en contre-bas ne digère pas encore la fin d’une révolution à l’issue incertaine…
Je les ai vues se débattre, se battre, combattre… aller au bout de leur puissance de femmes…
J’ai tiré le fil de leur rencontre. Et je l’ai retricoté pour vous qui ne les connaissez pas encore.

Liste des personnages (2)

NiobéFemme • Jeune adulte
Niobé est une jeune femme enceinte en fin de grossesse. Elle change de tenue à chaque acte et est toujours vêtue de vêtements colorés et gais. Elle apporte avec elle un panier qui contient tout ce dont elle aura besoin.
MylaFemme • Adulte
Myla est une femme peut-être plus âgée que Niobé vêtue d'un treillis militaire, chaussées de ranges usagés, portant un fusil mitrailleur à l'épaule. Elle monte la garde devant la porte. A ses pieds un sac militaires contenant divers objets, dont une gourde.

Décor (1)

Décor unique pour tous les actes, seule la lumière varie en fonction de l'heureUne petite place longeant un ancien monastère converti en prison à Cour. Une porte verrouillée dans ce mur qui communique avec l'intérieur de la prison. Au centre, n banc à l'ombre des arbres de la placette. A Jardin on fera en sorte de donner l'impression qu'on vient de monter avant d'arriver sur la place.

Acte 1

PREMIER JOUR, en début d'après-midi.

 

Myla, immobile, monte la garde devant la porte. Niobé fait son entrée par les escaliers. Elle marque un temps de contrariété très fugitif en apercevant Myla. Mine de rien, cependant, elle s'installe sur le banc. Myla l'interpelle.

 

MYLA       Vous pouvez pas rester là.

NIOBé      C'est le seul banc à l'ombre.

MYLA       Possible, mais vous pouvez pas rester là.

NIOBé      Les autres sont tous au soleil…

MYLA       Vous êtes dans un périmètre interdit !

NIOBé      Ah ? Je ne savais pas ! Excusez-moi.

MYLA       Allez ailleurs ! Trouvez-vous un autre banc.

NIOBé      Mais, je vous ai dit que les autres sont tous au soleil.

MYLA       Dans toute la ville ?

NIOBé      Ecoutez, j'habite un rez-de-chaussée dans le bas quartier. Il n'y a jamais d'air. On y étouffe. Je suis bien obligée de monter pour avoir un peu de fraîcheur.

MYLA       Vous pouvez pas rester là ! Dégagez !

NIOBé      Je suis enceinte, vous savez.

MYLA       Ouais, j'ai vu ! Déguerpissez !

NIOBé      Vous avez des enfants ?

MYLA       Allez, déguerpissez ! M'obligez pas à…

NIOBé      C'est parce que vous n'en avez pas voulu ?

MYLA       Quoi ?

NIOBé      Des enfants ! Vous n'en voulez pas ?

MYLA       Pfffffff ! Allez, tirez-vous !

NIOBé      Moi, c'est mon premier ! J'espère que ce sera un garçon ! Pour le premier, on espère toujours que ce sera un garçon, non ?

MYLA       Je sais pas ! Allez, du vent !

NIOBé      Ma sœur, en premier, elle a eu un garçon. Elle dit partout et tout le temps que c'est ce qu'il y a de mieux. Alors, quand ma cousine a eu une fille, elle en a pleuré ! Pas ma sœur évidemment, ma cousine. Parce que ma sœur s'est pavanée devant elle avec son garçon. Alors, moi, je préfère un garçon, comme ça ma sœur me laissera tranquille ! Enfin j'espère, vu qu'elle a un sacré caractère, ma sœur ! Vous avez une sœur ?

MYLA       Des frères.

NIOBé      C'est sûrement beaucoup mieux qu'une sœur ! C'est votre maman qui a dû être contente, surtout si ce sont des fils aînés ! Vous êtes la dernière ?

 

Elle sort un ouvrage de tricot de son panier.

 

MYLA       Qu'est-ce que vous faites ?

NIOBé      Une brassière.

MYLA       C'est pas ce que je vous demande ! Je vous demande ce que vous faites à vous installer, alors que je vous ai dit de vous en aller !

NIOBé      Je vais partir, ne vous inquiétez pas, dès que le soleil aura atteint le banc. - Elle regarde le ciel - C'est l'affaire d'une petite heure, peut-être un peu plus ! D'ici là, je ne vous dérangerai pas. Je vais juste tricoter et comme je ne suis pas très douée et qu'il faut que je compte mes points, je ne vous embêterai pas.

 

Elle commence à compter ses points avec son pouce.

 

MYLA       Vous êtes têtue, vous !

NIOBé      C'est aussi ce que dit ma sœur ! Mais une petite heure, c'est vite passé.

MYLA       Je vais me faire engueuler moi, si quelqu'un sort ! La consigne…

NIOBé      Si quelqu'un sort, la porte grincera et je serai partie avant que votre quelqu'un pointe son nez ! C'est promis ! Ne vous en faites pas !

MYLA       Avec un soupir - Ouais.

 

Myla réajuste sa position, tandis que Niobé continue de compter ses points.

 

NIOBé      Oh non ! Je me suis trompée ! Il va falloir défaire ! C'est le métier qui rentre, pas vrai ? Vous savez tricoter, vous ?

MYLA       Non !

NIOBé      Moi c'est pour mon bébé que j’apprends. C'est fou ce qu'il y a de choses à connaître quand on attend un enfant. On ne peut plus faire les choses n'importe comment, comme avant. Non… ce n'est pas que je faisais les choses n'importe comment, avant… ce n'est pas ça… mais je me sens nettement plus mûre et responsable de ce que je fais depuis que je suis enceinte. Qu'est-ce que vous en pensez ?

MYLA       Rien.

NIOBé      Vous n'avez pas d'avis ?

MYLA       Non.

NIOBé      C'est peut-être parce que vous n'êtes pas encore passée par là ! Vous verrez !

MYLA       ça m'étonnerait !

NIOBé      Vous ne voulez pas avoir d'enfant ? … Pourquoi ?… C'est vrai que ça ne me regarde pas. Mais pourtant, il me semble que toutes les femmes…

MYLA       Non ! Pas toutes !

NIOBé      C'est vrai aussi qu'avec le boulot que vous faites, ça pourrait vous compliquer la vie !

MYLA       Voilà !

NIOBé      N'empêche ! N'empêche que ça n'empêche pas de tomber enceinte ! Ou alors vous prenez la pilule ? Oui, bien sûr ! Avec tous ces hommes autour de vous, c'est certainement une très sage précaution. Moi, je n'ai jamais voulu la prendre parce qu'on dit que ça peut nuire au bébé, après, quand on en attend un. Alors, j’ai raison ? Vous prenez la pilule ?

MYLA       Pfff !

NIOBé      Au fait, vous vous appelez comment ? Moi, c'est Niobé !

MYLA       Jamais entendu un foutu nom pareil.

NIOBé      C'est mon père qui me l'a choisi. Il m'a souvent raconté qu'il avait mis longtemps à se décider parce qu'il pensait que le prénom c'est la personne. Il ne voulait pas que je devienne n'importe qui. Il n'avait rien trouvé dans le calendrier qui lui semblait pouvoir me convenir.

MYLA       Et il vous a fabriqué celui-là ?

NIOBé      Ah mais non ! Il existait avant moi : Niobé était une reine de Thèbes, la capitale de la Béotie, en Grèce. Dans l'Antiquité. Il paraît que cette reine aurait eu quatorze enfants !

MYLA       Joli programme !

NIOBé      Oui, n'est-ce pas ?

MYLA       Je suppose que votre père vous souhaite des quintuplés ? Pour aller plus vite !

NIOBé      Plaisantez si vous voulez, vous ne serez pas la première, mais moi, j'aime beaucoup mon prénom ! Et je lui suis infiniment reconnaissante de me l'avoir donné.

MYLA       On peut voir ça comme ça !

NIOBé      Et vous, c'est comment votre prénom ?

MYLA       Myla.

NIOBé      Avec un i grec ?

MYLA       Oui.

NIOBé      C'est joli aussi. ça vous va bien ! Il y a du sauvage là-dedans. Vous êtes un peu sauvage, non ?

MYLA       Mais qu'est-ce que ça peut vous faire ! En quoi ça vous regarde qui je suis ?

NIOBé      J'aime bien savoir, c'est tout. Quand j'étais petite, en pension, j'ai connu une fille qui s'appelait aussi Myla. C'était un sacré personnage. La rebelle type dans toute sa splendeur ! Elle m'impressionnait beaucoup !

MYLA       Ironique C'est passionnant !

NIOBé      Oui. Je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi libre et vivant qu'elle. J'ai fréquenté pourtant pas mal d'écoles. Tiens, je vais sûrement vous étonner, mais j'ai même passé deux ans dans ces bâtiments dont vous gardez la porte ! Il y a quelques années, bien sûr, quand c'était encore bêtement un collège !

MYLA       Les temps changent !

NIOBé      Autrefois, bien avant que ce soit un pensionnat de filles, c'était un monastère. Il y a eu ici jusqu'à deux cents moniales ! Vous le saviez ?

MYLA       Non.

NIOBé      Il en restait comme une atmosphère, de ce temps-là. Et quand nous étions rangées avant d'aller en cours, ça arrivait souvent qu'une grande entonne un chant grégorien. à tous les coups, elle se faisait punir. Mais quelques jours après, une autre reprenait le chant. Moi, je trouvais ça très courageux et très beau ! J'attendais d'être assez grande pour le faire aussi. Mais je suis partie d'ici avant d'avoir osé ! Les punitions étaient vraiment trop sévères. Parce que, quand on y réfléchit des chants grégoriens ça n'avait rien de révolutionnaire ! Elle soupire Enfin ! Certainement personne ne chante plus maintenant sous ces voûtes. C'est dommage, c'était si beau ! - Elle soupire encore et regarde autour d'elle - J'ai toujours beaucoup aimé cette petite place, elle est tellement paisible ! On a une vue si merveilleuse d'ici ! Quoique avec la pollution et la chaleur, on ne voie plus aussi loin qu'autrefois. Ça aussi, c'est dommage ! Vous étiez déjà montée jusqu'à ce belvédère, avant ? Enfin, je veux dire avant de… Vous voyez ?

 

Elle désigne le pistolet mitrailleur du menton.

 

MYLA       Non, je suis pas d'ici.

NIOBé      Dans le temps, on voyait la mer par une petite trouée, là, entre ces deux montagnes… Oh ! Il fallait le savoir, mais une fois qu'on l'avait repérée, on ne s'en lassait pas ! On se croyait en vacances rien qu'avec ce petit bout de bleu coincé dans la verdure. L'imagination, c'est quelque chose, hein ? Surtout celle des adolescentes ! On s'échappait en douce pendant les interclasses pour venir fumer ici. On dominait la ville et on croyait dominer le monde ! On dirait bien qu'ils ont fait des constructions maintenant dans la trouée.

MYLA       Alors, aujourd'hui, vous montez jusqu'ici pour passer une heure assise sur ce banc à l'ombre à contempler la pollution ! En souvenir du bon vieux temps où vous dominiez le monde ?

NIOBé      Oui, c’est un peu ça.

MYLA       Vous vous foutez de moi ?

NIOBé      Oh, mais non ! Pas du tout !

MYLA       Qu'est-ce que vous faites, ici… euh :  Nioba ?

NIOBé      Non : Niobé, comme la reine de…

MYLA       Ouais, je sais, celle de l'ancien temps qui prenait pas la pilule ! Comme vous !

NIOBé      Voilà !

MYLA       Alors ?

NIOBé      Alors, quoi ?

MYLA       Qu'est-ce que vous faites ici ?

NIOBé      Mais, je vous l'ai dit !

MYLA       Je vous crois pas !

NIOBé      Pourtant…

MYLA       Et la consigne dit que personne doit rester là ! Vous avez assez vu la mer pour aujourd'hui ! Redescendez !

 

Myla rassemble brutalement les affaires de Niobé, les remet dans le panier de celle-ci et, l'ayant forcée à se lever, la pousse vers les escaliers. Niobé obtempère et commence à descendre. Myla vérifie qu'elle s'éloigne, puis cherche des yeux la mer dans la trouée que lui a indiquée Niobé. Elle hausse les épaules et reprend sa garde, tandis que le noir descend sur scène.

 

ACTE 2

Le lendemain, en début d'après-midi.

 

Myla, immobile, monte toujours la garde...

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