La cervelle est sous le chapeau

Francis Petipois, minable tueur à gages, se voit confier sa première mission, celle de terroriser la personne dont… la cervelle est sous le chapeau…

Son énigmatique commanditaire ne voulant pas divulguer de nom par téléphone, l’a invité à se rendre au 9 de la rue des mauves, muni de cet indice, afin de rencontrer le futur traumatisé. Tout irait pour le mieux si, à l’adresse indiquée, six personnes ne se préparaient joyeusement à un barbecue… toutes coiffées d’un chapeau différent…

La cervelle à apeurer est-elle sous le chapeau de Simon, faux aventurier baratineur ? Ou sous celui de sa femme Andréa, ne supportant plus les affabulations de son homme ? Ou bien encore sous celui de mamie Agnès, la mère d’Andréa qui perd les pédales de temps en temps et revit son ancien métier de médecin en voulant ausculter tout le monde ? A moins qu’elle ne soit sous les chapeaux de Anna, Axelle, Aline ou Allison, les quatre collègues de travail d’Andréa, venues tout exprès fêter l’anniversaire de leur amie ?

Terrible dilemme pour Francis Petipois qui ne sait plus à quel chapeau se vouer pour retrouver la bonne cervelle et qui ne peut se permettre d’échouer pour son premier contrat. Bien involontairement, le voilà invité au barbecue et, comble de malchance, il va reconnaître en Aline, son ex petite amie qui l’a largué récemment. Devant sa mine sombre et son aspect vestimentaire lugubre, les amies d’Aline le prennent en pitié et l’invitent pour le dérider… Mamie Agnès s’imagine avoir affaire à un hépatique et le poursuit de ses consultations assidues entrecoupées de retour à la normale.

Pas facile d’exécuter un contrat dans ces conditions d’autant que Patrick, le mari jaloux de Aline, débarque à l’improviste pour surprendre sa femme dans les bras du tueur… qui commence à se demander s’il a bien choisi le bon métier.

Dans un dernier baroud d’honneur et afin de savoir sous quel chapeau se cache enfin la cervelle à intimider, Francis n’hésite pas à se saisir de son arme… qui a disparu de son étui pour se retrouver bizarrement dans la main de mamie Agnès…

Mais quel est donc ce commanditaire inconnu qui l’a envoyé dans un guêpier pareil ?

Et se trouve -il bien à la bonne adresse ?

Décor : Un jardin au 9, rue des mauves

ACTE I

A l'ouverture du rideau, il n'y a personne sur scène mais on entend des éclats de voix et des rires en provenance des coulisses. Ceux ci baisseront en intensité pour ne pas gêner l'arrivée du premier personnage. Il vient par la salle, tout vêtu de noir, d'allure inquiétante et s'arrête devant la scène. Son portable vient de sonner. (voir sonnerie de circonstance, genre celle des tontons flingueurs) Il décroche. On entendra la voix de son interlocuteur.

FRANCIS, voix lugubre. – Francis Petipois, j'écoute.

VOIX OFF, gravement. – C'est vous Petipois ?

FRANCIS, voix lugubre. – Oui, c'est moi. C'est vous monsieur ?

VOIX OFF, un peu agacé. – Le mot de passe Petipois, le mot de passe...

FRANCIS, récitant. – Petit pois pas très fin ne vient pas de chez Cassegrain.

VOIX OFF. – Parfait.

FRANCIS. – Parfait, parfait... vous ne vous êtes pas foulé pour trouver un code pareil.

VOIX OFF, gravement. – L'important, c'est de pouvoir communiquer sans être reconnu.

FRANCIS. – Parlez pour vous... je ne sais même pas qui vous êtes.

VOIX OFF, presque menaçant. – Moins vous en saurez sur moi, mieux ça vaudra pour vous.

FRANCIS. – Par contre, vous savez tout de moi.

VOIX OFF. – Un bon patron doit tout connaître de ses employés. Il semblerait que vous ayez les atouts nécessaires pour faire un bon tueur à gages, mon cher Francis.

FRANCIS, buvant du petit lait. – Vous avez tapé à la bonne porte, m'sieur. Cent pour cent de réussite, aucun échec.

VOIX OFF. – Relativisez voulez vous... c'est votre premier contrat je crois ?

FRANCIS, essayant de se rattraper. – Ouais, mais avec Francis Petipois, on passe de vie à trépas. Un bon slogan publicitaire, non ?

VOIX OFF. – Sauf que pour cette mission, vous ne descendrez personne.

FRANCIS. – Quoi ! On ne trucide personne ? Et ma réputation, qu'est ce que vous en faîtes ?

VOIX OFF. – Vous vous contenterez de menacer et de faire peur à mon client.

FRANCIS. – Fallait le dire avant... j'aurais changé mon 6/35 par un pistolet à eau.

VOIX OFF. – Qu'importe, vous serez payé de la même façon.

FRANCIS. – Payer un tueur de mon envergure juste pour affoler un quidam... Vous avez de l'argent à foutre en l'air..

VOIX OFF. – Contentez vous de bien faire le travail ou vous pourriez le regretter.

FRANCIS, calmé. – Compris monsieur.

VOIX OFF. – Vous êtes bien au numéro 9 de la rue des mauves ?

FRANCIS, vérifiant le N° de la rue. – Affirmatif m'sieur.

VOIX OFF. – Alors allez y, je compte sur vous.

FRANCIS. – Comment s'appelle le futur traumatisé ?

VOIX OFF. – Pas de nom au téléphone ! Je vous rappelle juste que « sa cervelle est sous son chapeau ».

FRANCIS. – Ça ne veut carrément rien dire vot'truc.

VOIX OFF. – Vous savez ce qu'est un chapeau ?

FRANCIS. – Ben oui, j'suis pas demeuré quand même.

VOIX OFF. – Vous savez ce qu'est une cervelle... si tant est que vous sachiez vous servir de la vôtre ?

FRANCIS. – Ben oui, j'vous remercie.

VOIX OFF. – Donc je répète : La cervelle est sous le chapeau.

FRANCIS, répétant. – La cervelle est sous le chap...

Au même moment, un homme arrive sur scène, portant un chapeau d'aventurier sur la tête. Francis le voit et comprend.

FRANCIS. – Sous le chapeau ! OK m'sieur, j'ai pigé. Vachement subtil vot'truc.

VOIX OFF. – Au travail Francis, je vous rappellerai plus tard pour vous fournir d'autres détails.

Presque aussitôt, deux femmes arrivent, portant elles aussi, un chapeau sur la tête -(Voir des chapeaux très différents). Elles sont en conversation avec l'homme. Francis vient de réaliser.

FRANCIS. – C'est quoi ce chantier ! Allo m'sieur, y a un problème. Ouh ouh, m'sieur ? Il a raccroché.

Une troisième femme arrive, chapeautée, elle aussi.

FRANCIS, de + en +affolé. – En voilà quatre maintenant ! Oh, pétard ! Elle est sous quel chapeau, la cervelle ?

Il va se planquer dans un coin, en bas de la scène et observe.

SIMON, pressé par ses fans, mimant son récit, une baguette de pain à la main. – J'étais là, ma carabine spécial safari 416 Rigby à la main... l'oeil et l'oreille aux aguets... le nez à l'affût, sentant l'odeur âcre et nauséabonde d'un fauve en rut proche de nous... quand soudain...

AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Quand soudain ?

SIMON. – Un cri déchirant envahit la brousse. (Il hurle à la mort.)

Les trois femmes se serrent les unes contre les autres tandis qu'en bas de la scène, Francis sursaute et sort son revolver de sa poche. Arrivée de mamie Agnès... avec un chapeau !

FRANCIS. – Eh merde ! Voilà un cinquième chapeau. C'est carrément carnaval là dedans !

AGNÈS. – Qu'est ce qu'il se passe ?

AXELLE. – Chut madame Agnès, c'est Simon qui raconte son safari en Afrique.

AGNÈS. – Pourquoi il crie comme ça ?

ALISSON, prise dans l'histoire. – Il vient d'y avoir un accident.

AGNÈS. – Il s'est blessé ?

ANNA, lui intimant de se taire. – Pas lui, il tient le fusil.

SIMON, avec suspense. – Dans mon dos, un cri déchirant envahit donc la brousse. Je me retourne et là...

AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Et là ?

SIMON, ménageant le suspense. – Qu'est ce que je vois ? Un énorme tigre en train de boulotter la guibolle gauche de mon guide... 

AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Quelle horreur !

SIMON. – Le pauvre se débattait et plus il se débattait, plus la bête s'acharnait sur lui. Le sang giclait partout et maculait de coulées rougeâtres les feuilles vertes des acanthéas... C'était horrible. Jamais de ma vie de chasseur de fauves je n'avais assisté à un spectacle aussi répugnant.

AXELLE. – Fallait tirer !

SIMON. – Réaction primaire Axelle, mais hélas... le tigre du Bengale est une espèce protégée... et je risquais de passer dix ans dans une geôle bengalaise. Ça ne m'aurait pas grandi dans le monde des chasseurs de safari.

AGNÈS. – Pendant ce temps, ton guide, lui, il se raccourcissait à vue d'oeil.

SIMON. – Elle a raison mamie, d'autant que le fauve venait de s'attaquer à sa deuxième guibolle. Mais non, impossible de tirer, je risquais de les tuer tous les deux.

ANNA. – T'as fait quoi alors ?

SIMON. – N'écoutant que mon courage, j'ai défait la ceinture de mon pantalon...

AXELLE. – Pourquoi faire ?

SIMON. – Je l'ai jeté à Amrish pour qu'il se fasse un garrot en urgence.

ALISSON. – Ben oui, forcément. Dans la panique, j'y aurais jamais pensé.

ANNA. – Quoiqu'on dise aujourd'hui que le garrot ce ne serait pas conseillé.

SIMON, même jeu. – Conseillé ou pas, là, les filles, y avait vraiment urgence...

AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Oh le pauvre !

SIMON. – Alors, tel un toréador, j'ai excité le fauve pour qu'il vienne vers moi.

AXELLE. – Et ça a marché ?

SIMON. – Exactement comme prévu. Il s'est retourné lentement, a léché quelques gouttes de sang sur la rotule de mon guide avant de le quitter puis il s'est avancé vers moi, doucement, de sa démarche chaloupée, ses yeux braqués sur les miens, la gueule grande ouverte découvrant ses crocs sanguinolents...

ANNA. – T'as dû avoir la trouille ?

SIMON, faussement modeste. – Tu sais, la peur est la compagne quotidienne du baroudeur, faut savoir faire face au danger, c'est tout.

ANNA. – Quel courage ! Je suis admirative.

ALISSON, impatiente. – Finalement, tu l'as descendu, ou pas ?

SIMON. – A force de reculer à petits pas, je sentais mon pantalon, privé de ceinture, obéir aux lois de la gravité et quitter lentement la rondeur de mes hanches pour glisser insidieusement vers mes genoux...

AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Noooon !

ANNA. – Comment tu fais pour raconter ça le plus naturellement du monde ?

SIMON, mimant. – Alors, avec une parfaite synchronisation, le tigre m'a sauté dessus au moment précis où je me baissais pour remonter mon froc.

ALISSON, époustouflée. – Oh le bol !

SIMON, mimant. – Du coup, il est passé carrément au dessus de moi et, emporté par son élan, il est allé se fracasser le crâne sur le tronc d'un énorme baobab qui était juste derrière nous.

ALISSON, idem. – Oh le re- booool !

SIMON, faussement fatigué par son récit. – Je n'avais jamais vu la mort d'aussi près.

AGNÈS. – Le tigre aussi j'imagine.

ANNA. – Oh pétard, à quoi ça tient.

AGNÈS. – On dit souvent que la vie ne tient qu'à un fil mais là, ça n'a tenu qu'à une ceinture de pantalon.

AXELLE. – Et ton guide, vous avez pu le sauver ?

SIMON. – Les secours sont arrivés très vite et ont récupéré les deux jambes arrachées pour les lui greffer. Il était temps parce qu'un singe commençait à jouer avec les orteils d'une de ses guibolles

AXELLE. – Ce qui fait qu'aujourd'hui, il remarche ?

SIMON. – Ouais, mais mal parce que les chirurgiens bengalais se sont plantés et lui ont greffé la jambe droite sur le genou gauche. Alors forcément, il fonctionne beaucoup moins bien qu'avant et il marche un peu en crabe.

ANNA. – Il ne doit plus être très bien latéralisé.

ALISSON, catastrophée. – Oh le manque de booool !

SIMON. – Je déconne Allison... j'déconne ! C'est pour donner une petite note marrante au récit.

ALISSON. – J'aime mieux ça. Je le connais pas le mec mais j'avais de la peine pour lui.

SIMON. – Il a quand même eu droit de garder la tête du tigre comme trophée. Bon, elle était un peu esquintée mais ça lui fait quand même un bon souvenir. Par contre, il n'a jamais voulu m'accompagner dans mes autres expéditions.

Arrivée d'Andréa, chapeau sur la tête, un peu énervée. Étonnement de Francis.

FRANCIS. – Mais c'est pas vrai, en v'là encore un autre !

ANDRÉA. – Ça va ? Pas trop fatiguées les filles ?

ALISSON. – Tu sais qu'on vient de passer un sale moment dans la jungle...

AXELLE. – Tu nous avais caché que ton mari était un véritable aventurier.

ANDRÉA. – Ah d'accord... Au lieu de préparer la table, vous avez eu droit à la mort du tigre du Bengale...

ANNA. – Comme ce doit être excitant de vivre aux côtés d'un homme comme Simon.

ANDRÉA, relativisant. – Excitant n'est pas le mot exact. Le seul safari qu'il ait fait, c'est un safari photos en voyage organisé et le seul tigre qu'il ait vu un jour, c'est celui du zoo de La Boissière du Doré... tigre qui est mort de vieillesse l'an dernier. (Choisir un zoo près de chez vous.)

ANNA, admirative. – Enfin Andréa... son guide, les deux jambes arrachées... le tigre plaf, la tête dans un baobab... Ce ne sont pas des trucs qui s'inventent.

ANDRÉA. – Eh bien si, ça s'invente et tu peux compter sur Simon et son imagination fertile. Avec lui, rien d'impossible. Il a vraiment l'esprit fécond... et souvent en deux mots... fait con.

SIMON. – Ne l'écoutez pas, Andréa est jalouse de mes aventures parce qu'elle est terriblement casanière et ne supporte pas mes voyages périlleux avec mes amis.

ANDRÉA, lui cassant son coup. – Pêcher le saumon pendant 6 jours dans une rivière d'Écosse avec tes copains... quel péril ! J'en frémis rien que d'y penser. A part te prendre la queue du salmonidé en pleine tronche en le sortant de l'eau, je vois pas très bien où est le danger.

AXELLE. – Pourquoi tu minimises ses exploits ?

ANDRÉA. – Tout simplement, Axelle, parce que Simon ne fait jamais d'exploit !

SIMON, en rajoutant une louche. – Et le feu de brousse sur les bords du fleuve Aquatico, au Guatémala ? C'était pas un exploit, ça, peut être ?

ANDRÉA. – Vous n'y avez pas encore eu droit à son feu de brousse ? Vous avez raté quelque chose, les filles.

AXELLE- ANNA- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Raconte !

SIMON, se lançant dans son histoire. – Il faisait une chaleur torride et tout un pan de la brousse était la proie des flammes qu'un vent violent poussait inexorablement vers nous...

ANDRÉA, précisant, moqueuse. – A cause d'un gars de l'expédition qui avait jeté son mégot de cigarette sans l'éteindre.

ANNA, gobant tout au vol. – Quel inconscient !

SIMON, continuant son histoire. – Le feu se répandait à toute allure dans...

ANDRÉA, le coupant et prenant le relais. – Dans cette végétation sèche et dense en formant des brasiers énormes où se mélangeaient les odeurs âcres des essences en pleine combustion...

ALISSON. – On a l'impression que tu y étais...

ANDRÉA, blasée. – Connais l'histoire par cœur... Entendue au moins cinquante fois.

SIMON, voulant reprendre la main. – Tous les gars de l'expédition reculaient vers la seule issue possible à notre salut... le ...

ANDRÉA, toujours moqueuse, mettant un ton dramatique. – Le fleuve Aquatico, à quelques mètres derrière nous mais hélas peuplé de nombreux crocodiles.

SIMON, inarrêtable. – Alors là, en qualité de chef d'expédition, une question m'a taraudé l'esprit. Devons nous...

ANDRÉA, toujours moqueuse, le coupant à nouveau. – Mourir brûlés vifs, cuits à point ou être mangés crus par les crocodiles ?

SIMON, les prenant à témoin. – Choix cornélien, avouez le.

ANDRÉA, même jeu. – C'est alors que Simon a eu l'idée géniale de faire couper une branche de bois à chacun des membres de l'expédition...

ANNA, gobant tout au vol. – Pourquoi faire ?

AXELLE- ALISSON, ensemble, prises dans l'histoire. – Tais toi et écoute.

SIMON, mimant le geste à la parole. – Pour bloquer la gueule grande ouverte de chaque crocodile qui essayait de nous choper sur la rive du fleuve.

ANDRÉA. – Il avait lu ça, étant gamin, dans l'album de Tintin au Congo.

ALISSON, prise aussi dans l'histoire. – Et ça a marché ?

SIMON. – Au delà de mes espérances.

ANDRÉA. – Tu penses bien que les premiers crocodiles qui se sont retrouvés, couillonnés, la gueule grande ouverte bloquée par un vulgaire bout de bois, ils ont fait signe à leurs copains de se barrer vite fait pour ne pas finir comme eux. Sont vachement solidaires, ces bestioles.

ANNA. – Et puis, eh... peut être pas envie de finir en sac à main, les crocros.

SIMON. – Du coup, on a tous pu se réfugier dans les eaux du fleuve, le temps que l'incendie s'arrête de lui même.

AXELLE, admirative. – Finalement, tu as sauvé toute l'expédition ?.

SIMON, faussement modeste. – Je n'ai fait que mon devoir.

ANDRÉA, pragmatique. – Et si ton devoir maintenant, c'était de ne pas éteindre le feu mais d'allumer celui du barbecue afin qu'on puisse pique-niquer ce midi !

ANNA, tapant dans ses mains. – Oh oui, en frottant deux silex l'un contre l'autre, comme dans les stages de survie...On y va Simon ?

ANDRÉA, pragmatique. – T'emmerdes pas, Anna, tu prends des allume feu et ton briquet, comme tout le monde. Et on pourra manger à l'heure.

Mamie Agnès qui était calme depuis tout un moment et suivait distraitement les discussions, l'esprit parti ailleurs, se réveille soudain.

AGNÈS. – Allez allez, c'est terminé, y a plus de consultation aujourd'hui, vous pouvez rentrer chez vous.

Toutes se regardent étonnées, sauf Simon et Andréa qui viennent de réaliser que la mamie vient de repartir dans une de ses crises d'absence qui lui arrivent de temps en temps. En fait, elle se revoit dans son ancien métier de médecin de village.

ANDRÉA, calmement. – Maman, viens que je présente mes amies et collègues de travail. Il manque juste Aline qui va arriver bientôt.

AGNÈS. – Je t'ai déjà dit que je ne voulais pas que tu joues avec mes malades. Sans parler qu'ils peuvent te refiler leurs maladies mais en plus, ils ne me paieront pas mes consultations sous prétexte qu'ils te connaissent.

AXELLE. – Ouh là, qu'est ce qu'il se passe ?

AGNÈS, à Axelle. – Il se passe que vos crises hémorroïdaires ne disparaîtront jamais si ne faîtes pas attention à votre alimentation. Voilà ce qui se passe !

AXELLE, perdue. – Qu'est ce que vous racontez, je n'ai jamais eu d'hémorroïdes.

AGNÈS. – Ma petite dame, vous n'allez pas remettre en cause mes dix années de médecine à la Faculté de Nantes plus mes quarante ans d'exercice de la profession ! Alors je sais encore reconnaître cette pathologie.

AXELLE, regards allant d'Agnès à Andréa. – Je vous assure que de ce côté là, tout est nickel.

AGNÈS. – Taratata, vous avez une tête à hémorroïdes.

AXELLE, un peu vexée. – Je ne sais pas trop comment je dois prendre ça...

ALISSON, en riant. – C'est parce que tu te plains souvent d'avoir la tête dans le... (Facultatif, à vous de voir.)

AXELLE, se forçant à rire. – Très drôle.

ANDRÉA, à voix basse. – J'vous en ai jamais parlé, les copines, mais maman perd la tête par moment et elle se croit encore médecin dans son petit village.

AGNÈS. – Depuis quand est ce que tu interviens dans mes consultations, toi ? Le secret professionnel, ça te dit quelque chose ? (Revenant à Axelle.) Vous mangez toujours aussi épicé ?

AXELLE, mi figue-mi raisin. – Ben oui, j'aime bien ça.

AGNÈS, se fâchant. – Je vous ai dit cent fois de ne pas manger épicé, ça favorise les poussées. Mais non, madame n'en fait qu'à sa tête et vient consulter en urgence ensuite. Faut pas vous étonner que la crise hémorroïdaire vous pende au nez après ça.

Elles se retiennent toutes de rire.

AGNÈS, à Allison. – Et ça la fait rire celle ci, avec la pathologie qu'elle se trimbale et dont elle ne veut jamais parler.

ALISSON, inquiète. – Ah bon... qu'est ce que j'ai ?

AGNÈS. – C'est ça, faîtes l'idiote. Incroyable ce déni de la maladie.

ALISSON, de + en + inquiète. – J'ai un déni de quoi ?

AGNÈS. – Vos incontinences urinaires. Toujours les petites gouttes qui se barrent en douce quand vous riez ou quand vous toussez?

AXELLE, moqueuse à son tour. – C'est ce qu'on appelle un déni... de fuite. (Elle rit.)

ANDRÉA. – T'affoles pas Al, tu vois bien comment maman réagit en ce moment.

ALISSON, très sérieuse. – Andréa... ta mère était médecin et elle a peut être détecté un truc chez moi... qui va m'arriver bientôt.

ANNA. – Dans l'immédiat, la question c'est de savoir... tu fuis ou tu ne fuis pas ?

ALISSON, serrant les jambes. – Pas encore mais maintenant qu'elle en a parlé, j'ai vachement envie de faire pipi.

AXELLE, moqueuse à son tour. – En même temps, au niveau diagnostic, excuse du peu. Elle m' a trouvé des hémorroïdes juste en me regardant dans le blanc des yeux  !

ANNA, moqueuse à ses copines. – Entre la vessie et le trou de balle... Je m'en sors plutôt bien, moi, les filles. En attendant, je pète la forme et j'ai faim.

AGNÈS, revenant à la réalité. – Moi aussi, j'ai faim. Quand est ce qu'on mange ?

ANNA, moqueuse, étonnée. – Et vos consultations ?

AGNÈS, riant. – Quelles consultations ? Vous savez que je suis en retraite depuis maintenant trois ans (A voir selon l'âge de la mamie.). Au début, ça m'a paru tout drôle mais maintenant je suis habituée.

ANDRÉA, à ses amies. – Et voilà, la crise est passée... jusqu'à la prochaine...

AGNÈS. – Et je suis bien contente que vous soyez toutes venues pour l'anniversaire d'Andréa. Et quelle bonne idée de se chapeauter de façons différentes. C'est amusant.

FRANCIS, désabusé. – T'as raison la vieille, c'est carrément poilant ! !!??

ANDRÉA, réaliste. – On s'en occupe de ce barbeuc oui ou non ?

ALISSON.On est quand même venues un peu exprès pour ça. (Sautillant sur place.) Je vais peut être sauter aux toilettes avant...(Elle part en courant sous les rires des autres.)

ANDRÉA. – Maman et Axelle, vous installez la table et les chaises sur la terrasse.

AXELLE, au garde à vous. – Bien chef ! (Elles partent.)

ANDRÉA, directive. – Simon et Anna … opération allumage.

ANNA, suivant son idée. – Et si on essayait en frottant deux morceaux de bois l'un contre l'autre...ce serait plus rapide qu'avec des silex...

SIMON. – La dernière fois que j'ai allumé un feu de cette façon, c'était une nuit noire, dans la forêt des Carpates, pour éloigner une horde de canis lupus affamés qui nous encerclait.

ANNA. – Des canis quoi ?

ANDRÉA, blasée. – Il te le fait scientifique mais ce n'était que des loups.

SIMON, en ajoutant une louche. – Oui... mais les terribles loups gris des Carpates associés ce soir là à des lynx roux et à des ours bruns...

ANDRÉA. – Pour le même prix, t'as droit à la version colorisée. (Ou aux couleurs en prime.)

SIMON, gestes à l'appui. – On voyait des dizaines de paires d'yeux briller dans l'obscurité et les gargouillements des estomacs vides nous parvenaient, mêlés aux hurlements et grognements lugubres des bêtes en quête de repas.

ANDRÉA, l'arrêtant net. – Simon ! Nos invitées aussi ont leur estomac qui gargouille. Alors ce serait bien que tu te magnes le popotin pour lancer le barbecue avant qu'ils ne se fassent les crocs sur tes guibolles.

SIMON, à Anna. – Viens, je te raconterai la suite en allumant le machin. (Ils partent.) Le feu ne prenait pas et les bêtes se rapprochaient dangereusement de nous...On sentait leur souffle chaud ... (Les voix se perdent en coulisses.)

ANDRÉA. – C'est pas possible un bonhomme pareil ! Et les copines qui sont béates d'admiration devant ses affabulations. Si elles savaient qu'on passe toutes nos vacances d'été chez son copain de régiment, à Farfouillis sur Gransac, dans la Creuse... et qu'on fait la route en deux fois parce que Crocodile Dundee est fatigué... il retomberait de son piédestal, le super héros. (Choisir une localité dans un département à 150 kms de chez vous et actualiser les personnages aventuriers.)

AXELLE, réapparaissant. – Aline vient de m'appeler, elle arrive dans cinq minutes. Elle a eu des problèmes pour expliquer à son mec qu'elle venait à un barbecue entre copines.

ANDRÉA. – Toujours aussi jaloux son Patrick. J'arrive les filles.

Elle sort. Prudemment, Francis monte sur scène et regarde de tous côtés. Il avance vers le fond de la scène.

FRANCIS. – Quelle idée de m'envoyer exécuter un contrat en pleine soirée barbecue. Ça va jeter un froid sur la viande. (Content de lui, il rit en silence mais en secouant les épaules.)

Axelle arrive dans son dos et pose bruyamment une chaise sur le sol.

AXELLE, voix forte. – Que faîtes vous là ?

Surpris, Francis se jette à terre tout en portant sa main dans son étui revolver. Il évite de sortir son arme en voyant Axelle.

FRANCIS, se relevant. – Ça ne va pas de faire peur aux gens comme ça !

AXELLE, allant vers lui. – Eh ben dîtes donc, vous êtes un rien émotif.

FRANCIS, époussetant sa veste. – On n'arrive pas dans le dos des gens sans prévenir. C'est un truc pour passer l'arme à gauche, ça !

AXELLE. – Désolée de vous avoir surpris. (S'approchant près de lui.) Attendez que j'époussette votre veste.

FRANCIS, avec force. – Ne me touchez pas !

AXELLE, bras tendus en avant pour le calmer. – Ok ok, ne vous fâchez pas. Quelle idée aussi d'entrer chez les gens sans y être invité.

FRANCIS, faussement ennuyé. – Pardonnez moi... mais je suis très perturbé aujourd'hui.

AXELLE, le regardant avec commisération. – Je vois ça. Vous avez la tête d'un croque mort qu'aurait paumé son macchabée un jour de sépulture.

FRANCIS, même jeu. – Vous ne croyez pas si bien dire...

AXELLE. – Vous êtes dans les pompes funèbres ?

FRANCIS, faussement peiné. – Pas vraiment...

AXELLE, ennuyée. – Du côté du défunt ?

FRANCIS, baissant la tête. – Wouiiii.

AXELLE. – C'est pour ça que vous êtes en deuil ?

FRANCIS. – Wouiiii.

AXELLE, curieuse. – Un proche ?

FRANCIS, faussement chagriné. – Oh là là...

AXELLE. – Maladie ? Accident ?.

FRANCIS, inventant au fur et à mesure. – Un sale truc qu'il n'a pas vu venir...

AXELLE. – Oh le pauvre ! Quelque chose d'incurable ?

FRANCIS, même jeu. – Pensez donc... la cervelle...

AXELLE, pour dire quelque chose. – On parle toujours du foie, de la rate, des reins mais c'est aussi un organe important la cervelle... et on en parle pas souvent de la cervelle... sauf dans les restaurants. Tenez je connais une recette de cervelle de veau aux câpres. Vous passez la cervelle sous un filet d'eau fraîche, vous la mettez dans une casserole, vous la recouvrez d'eau froide, vous salez et vous laissez frémir à feu doux...

FRANCIS, faussement indigné. – Arrêtez ! C'est moi qui frémis en imaginant la cervelle de mon futur défunt en train de barboter dans un bouillon d'eau salée.

AXELLE. – Ah, il n'est pas encore mort ? Oubliez ce que j'ai dit, d'autant qu'il ne doit rien avoir d'un jeune veau... votre futur défunt...

FRANCIS. – C'est sûrement quelqu'un de bien... mais... même protégée par un chapeau, sa cervelle est très sensible. (Insidieusement.) Vous portez toujours un chapeau ?

AXELLE, répondant à côté de la question. – Vous trouvez qu'il me va bien ? En fait...

Arrivée rapide de Aline par la salle qui lui coupe la parole et laisse Francis sans réponse à sa question. Ce dernier ne doit pas voir arriver Aline.

ALINE, arrivant, chapeau sur la tête et lunettes de soleil. – Ouh ouh, Axelle, j'arrive !

AXELLE, allant au devant d'elle. – Eh ben, c'est pas trop tôt ma grande.

Francis ne doit pas reconnaître Aline. Il repère juste l'arrivée d'un nouveau chapeau et ça le met en rogne. Il peut aller et venir sur la terrasse, nerveux, tout en récupérant son chapeau tombé à terre et en le nettoyant.

FRANCIS. – C'est pas possible un cirque pareil ! Comment je la retrouve la cervelle sous tous ces chapeaux ? Je commence à en avoir marre... mais marre ! Ras la casquette !

ALINE, embrassant Axelle. – J'ai eu toutes les peines du monde à me débarrasser de Patrick.

AXELLE. – Toujours aussi collant ton mec ? C'est Patex, pas Patrick qu'il devrait se prénommer ton pote ! (Elle rit.)

ALINE. – Il est d'une jalousie maladive. (L'imitant.) Tu vas où ? Tu m'jures qu'il n'y aura pas de mec avec vous ? Pourquoi tu m'emmènes pas ? Pourquoi vous ne vous réunissez qu'entre filles ? Etc... etc...

AXELLE. – T'avais qu'à lui répondre qu'il y avait trois filles célibataires et que le seul mec présent, ce serait Simon, le mari à Andréa.

ALINE. – Il est sympa le Simon ?

AXELLE. – Très sympa ! Il nous a raconté ses aventures de vacances... ses safaris... Incroyable ce que ce type a pu vivre dangereusement auprès des fauves.

ALINE, montrant Francis qui tourne le dos. – Par contre, en tenue de pingouin, il n'a pas vraiment l'allure d'un baroudeur, le Simon...

AXELLE. – Ah non non, ce monsieur c'est…

Aline arrive sur scène juste comme Francis se retourne vers elle. Ils se découvrent mutuellement et coupent la parole à Axelle. Celle ci va suivre les échanges suivants, son regard, complètement étonné, allant de l'un à l'autre des interlocuteurs.

ALINE, tombant des nues. – Francis !

FRANCIS, même jeu. – Aline!

ALINE. – Qu'est ce que tu fiches ici ?

FRANCIS. – Et toi ?

ALINE, un peu agressive. – Je suis invitée chez des amies qui, jusqu'à preuve du contraire, ne sont pas les tiennes.

FRANCIS, inquiet.Tu portes le chapeau maintenant ?

ALINE, un peu agressive. – Toi aussi à ce que je vois...

FRANCIS.Tu n'en portais pas auparavant... Ça t'énervait le chapeau que tu disais...

ALINE. – Et alors, j'ai pas le droit de changer de look ? Sache mon petit bonhomme que j'aime le chapeau... que j'en porte à longueur de temps... que je mange avec... que je dors même avec parfois. Ça te pose un problème ?

FRANCIS.Ça te grattait le cuir chevelu autrefois... les chapeaux... (Instinctivement il se gratte le bas du corps.)

ALINE, le montrant du doigt. – Et alors ! Tu te grattes bien les roubignoles et ça ne t'empêche pas de porter un slip ! (Facultatif, à vous de voir si trop grossier.)

FRANCIS, s'arrêtant net.C'est nerveux... c'est quand...

ALINE, le coupant. – Quand monsieur est contrarié, il a des démangeaisons sur tout le corps. Je sais !

AXELLE, tombant des nues. – Vous vous connaissez ?

ALINE. – Un peu qu'on se connaît... (Le présentant.) Francis Petipois... mon ex.

AXELLE. – Le mec que t'as largué parce qu'il était triste comme un bonnet de nuit ?

ALINE.Six mois de cohabitation avec lui et tu finis, shootée au Prozac dans un hôpital psychiatrique.

FRANCIS.Tu m'as pourtant dit, un jour, que j'étais la lumière de ta vie, non ?

ALINE.T'as dû n'être allumé qu'un seul jour alors parce que, tout le reste du temps, on a vécu dans la pénombre. Et dans tous les sens du terme, la pénombre. C'est tout juste s'il ne fallait pas s'éclairer à la bougie pour économiser du courant électrique.

AXELLE, à Francis.Et radin en plus !

FRANCIS, rectifiant. – Économe... c'est pas pareil.

ALINE.Tu n'as pas honte de parler d'économie alors que c'était moi qui faisais bouillir la marmite !

FRANCIS. – Je te remercie de me rappeler que j'étais chômeur... que je n'avais pas encore trouvé ma voie... C'est très délicat de ta part.

ALINE.Si tu n'avais pas passé ton temps sur ta console de jeux débiles, tu l'aurais peut être trouvé ta voie !

AXELLE, à Francis.Il paraît qu'à un moment, y avait juste à traverser la route pour trouver du boulot. (A actualiser.)

ALINE.Eh oui, mais pépère Francis préférait la position allongée, sur le canapé à se prendre au jeu d'un sérial killer ou d'un justicier masqué. C'était son truc, ça !

FRANCIS, faussement triste. – Pourquoi tu m'as quitté Aline ?

ALINE, à Axelle.Non mais je rêve ! Il me demande pourquoi je l'ai quitté. (A Francis.) Mais parce que tu es un véritable fainéant, un loser, un bon à rien. Je m'emmerdais avec toi, Francis. Six mois à tes côtés et j'étais mûre pour entrer en maison de retraite.

FRANCIS. – Mais je t'aimais moi... et je t'aurais accompagné jusqu'à ce qu'on ait l'âge d'entrer en Ehpad.

ALINE.C'est plus de l'amour, c'est de la rage ! Un an à me courir après, à me harceler à tous les coins de rue, à m'envoyer des poèmes débiles...

AXELLE, admirative.Ah la vache, un poète !

ALINE. – Calme toi, c'est pas du Lamartine non plus. Écoute un peu...(Elle déclame.)

Je voudrais tant que tu te souviennes

Cette chanson était la tienne

C'était ta préférée, je crois

Je l'ai écrite rien que pour toi.

AXELLE, en riant. – Ah d'accord, il s'emmerde pas le copain, il pique carrément les textes des autres.

ALINE. – Écoute la suite...(Elle déclame.)

Dans les discos aux chaleurs moites

Nous dansions enlacés, Aline,

Ah qu'est ce qu'on est serré, au fond de cette boite

Chantent les sardines, chantent les sardines...

AXELLE. – Il a démarré à fond avec Jacques Prévert mais il termine en quenouille avec Patrick Sébastien.

FRANCIS. – Ça venait du cœur...

AXELLE.On sent bien que c'est pas parti de la tête.

ALINE. – Comme je ne répondais pas, monsieur est venu brailler sous mes fenêtres (Elle chante.) Et j'ai crié, crié-é Aline, pour qu'elle revienne et j'ai crié, crié-é, oh, j'avais trop de peine...

AXELLE, à Francis. – Ah ouais, vous ne vous êtes pas foulé sur ce coup là aussi. Encore du pot qu'elle s'prénomme Aline, la copine.

ALINE. – Tous les soirs, pendant huit jours, il m'a poussé la même sérénade en chantant archi faux! J'ai même eu droit à une pétition des locataires de mon immeuble.

FRANCIS. – J'ai essayé de me faire pardonner en t'invitant, à une soirée romantique, au restaurant...

ALINE.Parlons en de ta soirée romantique au restaurant... Un Big Mac chez MacDo, arrosé de Coca... Big Mac dans lequel tu as planté tes dents avec voracité en faisant gicler le Ketchup sur ma robe toute neuve. Bravo !

AXELLE, pragmatique, à Francis.Quand ça veut pas, ça veut pas...

FRANCIS, faussement triste. – De toute façon, je n'ai jamais eu de chance dans la vie.

ALINE.Enfin là ça y est maintenant. A te voir fringué autrement qu'en jean délavé et polo crasseux, j'imagine que tu as pris un nouveau départ ?

Francis reprend sa mine triste et essaie d'apitoyer tout le monde.

FRANCIS. – Bof...

ALINE, énergique.Quoi bof ? ! Remue toi le croupion bon sang ! T'as vu ta tronche ? On dirait un cocker déprimé devant sa gamelle vide. C'est tout juste si tu n'as pas les oreilles qui pendouillent de chaque côté de tes joues.

AXELLE.Ne l'engueule pas ton Francis parce qu'apparemment il est dans un sale pétrin.

ALINE, réagissant. – D'abord, ce n'est pas MON Francis et ensuite, depuis que je le connais, je ne l'ai jamais vu ailleurs que dans de sales draps.

AXELLE. – Ouais mais là, j'ai l'impression qu'il y va de la vie d'un de ses proches...

ALINE, se radoucissant, à Francis. – C'est vrai ?

FRANCIS, baissant la tête. – Wouiiii.

ALINE. – Tu ne pouvais pas le dire plus tôt, bougre d'andouille !

FRANCIS. – Tu ne m'as pas laissé parler.

AXELLE.Un de ses proches qui aurait la cervelle en danger. Un truc incurable soit disant.

ALINE. – C'est vrai ?

FRANCIS, même jeu. – Wouiiii..

ALINE. – Une personne que je connais ?

FRANCIS, même jeu.Forcément que tu la connais et ça me fait de la peine pour toi...

ALINE, croyant avoir compris. – Ta mère ! La mère Madeleine, cette sainte femme qui a passé sa vie à essayer de te remettre dans le droit chemin au point d'en perdre la tête. C'est ça ? C'est elle ?

FRANCIS, bredouillant. Oui... euh... non... oui... c'est à dire que...

AXELLE.Ouh là ! Il est dans le déni complet le Francis.

ALINE, le prenant dans ses bras.Sois courageux Francis et pardonne moi mon emportement. Tu me connais, je pars au quart de tour. (Elle pleure.) Je l'aimais bien, ta mère.

FRANCIS, jouant le jeu. Môman... Elle t'aimait bien aussi.

AXELLE.Pourquoi vous parlez d'elle à l'imparfait... elle n'est pas encore morte.

FRANCIS, jouant le jeu. C'est comme si c'était fait, hélas...

AXELLE. – Le fait de se pointer en deuil pour venir la voir, ça ne va pas lui remonter le moral, à la mourante. Il ne vous manque que le goupillon et le seau d'eau bénite

FRANCIS, jouant le jeu. De toute façon, la cervelle, ça ne pardonne pas.

AXELLE.Vous alliez chez elle quand vous vous êtes arrêté ici tout à l'heure ?

FRANCIS. J'allais lui rendre une dernière visite...

ALINE, réalisant.Attends voir... Ta mère habite à Grapillon les Raisins, à cinq kilomètres de l'autre côté de la nationale... (Elle montre l'opposé.)

FRANCIS. Au dernier moment, j'ai pas eu le courage et je suis parti au hasard, sans but, à l'opposé... pour disparaître.

AXELLE.Mais c'est qu'il nous ferait un p'tit coup de mou, le Francis.

ALINE, un peu inquiète. Eh oh Francis, pas de connerie !

FRANCIS, jouant les déprimés. Quelle importance... de toute façon, je suis seul au monde maintenant.

AXELLE, gentiment. – Faut pas dire ça, on est là, nous.

ALINE, réalisant.T'as raison, continues à l'attirer. Dans une heure il sera collé à toi comme une bernique sur son rocher et tu auras toutes les peines du monde à t'en détacher.

FRANCIS, jouant de + en + les déprimés. Je vois bien que personne ne m'aime... (S'en allant vers la porte.) Laissez moi partir vers mon destin...

ALINE, agacée. – Et c'est quoi ton destin ?

FRANCIS, se retournant, pathétique. Partir... me cacher pour mourir... comme les oiseaux...

ALINE. – Eh ben, vu la grosseur du perdreau, ça va prendre du temps.

AXELLE, la reprenant. – Aline ! On ne va pas le laisser partir dans l'état où il est !

ALINE. – Axelle... ce mec est dans son état normal. Est ce que tu comprends ça ? Francis Petipois ne rit jamais.

AXELLE, la reprenant en riant. – C'est un Petipois triste. Là, avoue quand même qu'il y a de quoi faire la gueule...

Depuis quelques répliques, on entendait des voix en coulisses. Elles se sont amplifiées progressivement et brusquement, tous les convives arrivent, portant chacun un accessoire pour dresser la table. Les uns, des assiettes, d'autres les couverts, verres, bouteilles, carafes etc.. etc... Bien évidemment, ils portent encore tous leurs chapeaux et sont très agités. Ils passent, dans un premier temps, très vite, sans prêter attention aux autres qui se sont instinctivement déplacés sur le côté, en masquant plus ou moins Francis.

ALISSON, fonçant vers la table, sans regarder personne. – Chaud devant, chaud !

AGNÈS, une pile d'assiettes dans les mains.Dégagez la piste, c'est lourd !

ANNA, scandant. – On a faim, on a faim !

ANDRÉA.Si au lieu de chasser le loup des Carpates en pleine nuit, vous aviez lancé le barbecue en plein jour, on serait déjà à table.

SIMON. – Anna a voulu que je lui raconte l'histoire deux fois...

ANDRÉA, à Anna, en riant.T'avais pas tout pigé du premier coup ?

ANNA, admirative. – Si, mais il raconte tellement bien... surtout quand un des loups lui saute dessus et que Simon lui brûle le museau avec un bout de bois juste enflammé... Une veine qu'il ait réussi à allumer son feu à temps...

ANDRÉA, à Anna, moqueuse.T'as pas à t'inquiéter, les aventures de Simon se terminent toujours très bien.

ANNA, admirative. – On ne s'en lasse pas.

ANDRÉA.Ouais, mais ça va venir... t'es pas rendue à la fin du repas.

AGNÈS, s'apprêtant à se retourner. – Où est passée votre amie Axelle ?

ALISSON, même jeu. – Planquée dans un coin pour ne pas bosser sans doute...

AXELLE, se manifestant. – Pas de médisance, les filles, j'étais à la réception d'Aline.

Tous se se retournent.

TOUS, en choeur, joyeuses. – Aline !

Tout le monde va l'embrasser, sans s'occuper de Francis qui se tient un peu à l'écart en tournant le dos.

ANDRÉA, faisant les présentations.Simon, mon mari... Aline, responsable du rayon bricolage chez Kifétou, notre employeur préféré.

SIMON, faisant la bise. – Ravie de te connaître.

ALINE. – Moi aussi. Axelle m'a déjà parlé de toi et de tes aventures.

SIMON, modeste. – Bof, la routine. (Montrant Francis du bras.) C'est ton copain ?

TOUTES, en choeur, joyeuses. – Patriiiick !

AXELLE, les calmant d'un geste. – On se calme les nanas. Je ne vous ai peut être pas aidées à mettre la table, mais ça fait une demie heure que je joue les assistantes sociales avec ce monsieur.

ALINE, le présentant, blasée. – Francis Petipois, mon ex... (Francis se retourne, tout penaud.)

ALISSON. – On n'avait dit pas de mec... qu'est ce qu'il fiche ici ton ex ?

ANNA. – Si chacune de nous devait arriver avec son ex...

ALISSON. – En ce qui te concerne Anna, t'aurais pas rempli le jardin.

ANNA. – Je te remercie mais moi je préfère la qualité à la quantité . Et toc !

ALISSON. – L'un n'empêche pas l'autre !

FRANCIS, pathétique. Ne vous fâchez pas pour moi... Je vais quitter les lieux et vous laisser à la joie de vos retrouvailles.

AGNÈS, le regardant de près. – Moi je trouve qu'il a une triste mine... il ne paraît pas très frais le Petipois...

AXELLE. – Je résume pour tout le monde : Francis est l'ex d'Aline... il erre comme une âme en peine... triste, déprimé, presque seul au monde... la mort lui tourne autour et lui même a des idées morbides. J'ai essayé de lui remonter le moral mais rien n'y fait...

FRANCIS, pathétique. Je vais m'en aller...

ALINE, le poussant vers la sortie. – Sage décision Francis.

ALISSON. – En même temps, il me fait de la peine ce pauvre...

ANNA. – Tu ne vois pas qu'il aille se jeter dans la rivière...

FRANCIS, pathétique. Elle est de quelle côté la rivière ? (Il part vers la sortie.)

ALISSON, le rattrapant et le ramenant dans le groupe. On serait responsables... Hop hop hop, Il reste là le déprimé.

ANDRÉA, s'en mêlant.Nous serions les dernières à l'avoir vu...

ANNA. – Et avoir entendu ses appels au secours ...

SIMON. – Si je lui racontais mes aventures, peut être que ça le ravigoterait...

AGNÈS. – Et si vous l'invitiez à votre barbecue, ça pourrait être sympa ?

ALINE, ennuyée. – Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée.

Le téléphone de Francis sonne. Il décroche et s'écarte du groupe tandis que tous les autres forment un petit cercle pour se concerter en silence. Lui va parler un peu en sourdine.

VOIX OFF, gravement, comme au début. – Petipois ?

FRANCIS. – C'est vous monsieur ?

VOIX OFF, un peu agacé. – Le mot de passe Petipois, le mot de passe...

FRANCIS, récitant. – Petit pois pas très fin ne vient pas de chez Cassegrain.

VOIX OFF. – Parfait. Vous êtes dans la place Francis ?

FRANCIS. – J'y suis monsieur.

VOIX OFF. – Parfait. Vous avez repéré le chapeau ?

FRANCIS, ennuyé. – Le problème, c'est qu'ils ont tous des chapeaux, m'sieur !

VOIX OFF. – Aïe, c'était pas prévu....

FRANCIS, ennuyé. – Il me faudrait un indice supplémentaire m'sieur...

VOIX OFF, agacé. – OK. Écoutez bien parce que je vais raccrocher aussitôt : La cervelle est sous le chapeau... d'une femme. A plus tard, Francis. (Il raccroche.)

FRANCIS. – D'une fem... (Regard vers le groupe.) Eh m'sieur, m'sieur... y a encore un problème.

Il raccroche à son tour et prend sa tête des mauvais jours. Les autres viennent vers lui.

ANDRÉA. – Des mauvaises nouvelles ?

FRANCIS, plaintif. – Oh làlà...

ANNA. – Ça ne va pas comme vous voulez ?

FRANCIS, plaintif. – Oh oh oh làlà... non.

ALISSON. – On peut vous aider ?

FRANCIS, reluquant tous leurs chapeaux. – Oh làlà... j'vois pas très bien comment...

AXELLE. – La cervelle est toujours en état de marche ?

FRANCIS, plaintif. – Hélas oui.

ALINE. – Comment ça, hélas oui ? Ça te chagrine que la cervelle soit encore en vie ?

FRANCIS, se rattrapant. – C'est cette attente qui est insupportable... qui me mine... qui m'use les nerfs... qui me bouffe... qui me déglingue... qui me zigouille...

AGNÈS, lui tapotant le bras. – Calmez vous. Avec les filles, on vous invite au barbecue avec nous. Ça va vous détendre et vous partirez ensuite quand tout sera clair dans votre tête .

FRANCIS, faussement gêné. – Je ne sais pas si je dois...

ALINE, le poussant vers la sortie. – Si tu as le moindre scrupule, ne te forces surtout pas.

TOUTES, scandant, sauf Aline. – Francis au barbeuc, Francis au barbeuc...

FRANCIS, faussement gêné. – Si vous insistez... je reste. Je suis juste gêné par vos chapeaux... Si vous n'avez pas l'habitude d'en porter, vous pouvez les retirer, ça ne me choquera pas... et je me sentirai moins seul, tête nue.

ANNA. – Désolé, c'est journée chapeau pour tous.

ALISSON, le tutoyant. – Mais on peut arranger ça pour que tu te sentes à l'aise parmi nous.

Elle sort un bob publicitaire qui traînait par là (genre Kronenbourg) et le lui colle sur la tête.

ALINE. – Eh ben, ça va finir de l'arranger. On dirait un pingouin brasseur de bière.

SIMON. – Allez, tout le monde à table et en chantant.

Il entonne la chanson « Il est des nôtres » en modifiant les paroles que tous reprennent en choeur assez rapidement.

SIMON puis TOUS. – Il est des nô-ôtres,

Il port' un chapeau comme les au-autres

Soyons frivo-oles

Plus on est de fous plus on rigo-ole

(A reprendre jusqu'à fermeture du rideau)

A part Aline, peu satisfaite de la tournure des événements, tous les autres, mamie comprise, se dandinent en scène, dansent en s'entrecroisant, tandis que Simon trinque avec Francis et que le rideau se ferme devant eux.

RIDEAU

ACTE 2

Le même jour, un moment plus tard, à la fin du repas. Tous sont bien gais hormis Aline qui fait la tête. Simon se tient près de Francis et, apparemment, lui a bien servi à boire. Ce dernier est bien éméché mais ATTENTION, il n'est pas ivre et ne doit pas tomber dans la caricature de l'homme saoul. Il a le « vin joyeux et triste selon les moments» et part au quart de tour sur les répliques des autres. Dans l'immédiat, Simon le stimule pour chanter et Francis participe de bonne grâce aux mimiques de la chanson.

SIMON, et tous les autres mais sauf Aline .

Ami Francis, ami Francis

Lève ton verre,

Et surtout, ne le renverse pas

Et porte le du frontibus au nasibus

Au mentibus, au ventribus, au sexibus,

A l'aquarium et glou et glou et glou...

FRANCIS, tout seul, debout, très fort, sous le regard ahuri des autres.

Il est des nô-ôtres

Il a bu son verre comme les au-autres.

C'est un ivro-ogne,

Ça se voit rien qu'à sa tro-ogne.

ANNA, en riant. – Un pastis bien tassé, deux verres de muscadet et trois de côtes du Rhône, ça vous change l'humeur d'un bonhomme.

ALISSON. – Trois merguez, une platée de mogettes et le voilà qui pète la forme, le Francis.

FRANCIS, bien éméché. – Je lève mon verre... qui est vide d'ailleurs...(Simon le lui remplit aussitôt.) à votre santé à tous. (Il commence à pleurer.) Je voudrais tant qu'il ne vous arrive rien. (Il pleure.)

ALISSON. – Que veux-tu qu'il nous arrive...

FRANCIS, pleurnichant. – Un malheur est si vite venu, hélas...

ALINE, fataliste. – Eh voilà, le croque mort est de retour...

FRANCIS, pleurnichant, même jeu. – Et puis les gens sont si méchants...

ANNA. – Nous ne risquons rien... avec un baroudeur comme Simon à nos côtés.

FRANCIS, les regardant avec affection. – Vous êtes tous tellement gentils...

ALISSON. – Eh ben justement, souris, la vie est belle.

FRANCIS. – Elle est belle elle est belle... c'est vite dit. Quand je pense qu'elle peut s'arrêter comme ça, brusquement, paf... pour l'un d'entre nous... à n'importe quel moment...

ANNA. – Quel boute en train !

SIMON. – Il ferait chialer un peloton de CRS, l'animal !

ALINE, fataliste. – Je vous avais prévenues les filles. Francis, c'est l'antidote au bonheur.

FRANCIS, tristement. – Et j'en serai l'unique responsable...

ANDRÉA.C'est sûr qu'en t'écoutant, on a envie de se flinguer.

ALISSON. – Allez détends toi.

ANDRÉA.Assieds toi.

ANNA. – Sois zen.

AXELLE, elle essaie de lui enlever sa veste.Retire ta veste, tu seras plus à l'aise.

FRANCIS, réagissant violemment en serrant sa veste contre lui.ON NE TOUCHE PAS A MA VESTE ! Compris !

AXELLE. – Oh là là ! Je ne vais pas te la dégueulasser, ta veste ! C'est pire que si tu portais un costard d'Yves Saint Laurent (A actualiser avec une marque de luxe très connue.)

ALINE, fataliste.Il a vécu tellement longtemps dans des fringues crados que maintenant faut pas y toucher à son costard de pompes funèbres.

FRANCIS, allant vers Aline.Toi, tu me comprends, Aline...

ALINE, se reculant.Non non, je ne t'ai jamais compris Francis, alors c'est pas aujourd'hui que je vais y arriver.

FRANCIS, insistant vers Aline.Ma journée avait mal commencée mais grâce à notre nouvelle rencontre... à tes amies super gentilles... je suis heureux, Aline.

ALINE, se reculant.Pourvu que ça dure.

FRANCIS, la prenant dans ses bras.Pendant quelques heures, parmi vous, j'ai oublié la noirceur de mon existence, le sombre individu que je suis devenu... (Se faisant pressant.) Ah Aline, Aline, Aline...

ALINE, prise dans ses bras.Doucement Francis Francis Francis...

Sur cette dernière réplique, un homme arrive de la salle et monte précipitamment sur scène. C'est Patrick, le compagnon très jaloux d'Aline. Il est très excité.

PATRICK, en colère. – Ah bravo ! C'est ça ta réunion entre filles ?

ALINE, surprise. – Patrick !

ANNA – ALISSON – ANDRÉA , surprises. – Ton mec ?

ALINE. – Oui c'est mon mec et j'aimerais bien savoir ce qu'il fait ici...

PATRICK, ricanant. – Ah ah... tu ne t'attendais pas à me voir débarquer en pleine orgie romaine.

ANDRÉA. – Relativise mon gars, j'imagine mal César et Cléopâtre en pleine orgie, allongés sur des transats, autour d'un barbecue Weber. (Ou autre marque très connue.) Et tu te colles un truc sur la tête, c'est obligatoire aujourd'hui.

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