Perdu dans une boite à chaussures

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Chris, retraité de 58 ans, nostalgique d’un jeunesse gâchée par une histoire d’amour non cicatrisée, loue des chambres d’hôte à des étudiants.
Les jeunes nouveaux locataires, pris d’amitié pour Chris, vont découvrir dans une boite à chaussure sa correspondance de jeunesse.
Entre confidences croisées et détermination, ils préparent un plan diabolique pour aider “le vieux” à panser ses blessures et refermer cette parenthèse de vie.

Texte déposé.

Acte 1 – Scène 1 : Ma vie dans une boite à chaussure

Ambiance de début de soirée. Eclairage tamisé.

Chris est déjà sur scène à l’ouverture du rideau.

Salon chaleureux. Il y a un fauteuil, un lampadaire, une table et quelques chaises, un canapé, un porte-manteau, un coin bar / cuisine.

Sur un meuble-étagère, une platine disque, une collection de vinyles, des livres, des disques, des objets déco, dont un jardin Zen et son râteau, une boîte à chaussures, la photo de mariage de Chris et Kevin.

Chris se prépare un thé. Il semble calme, posé. Il fait le tour du salon, remet certains objets en place, redresse un tableau.

Son téléphone portable sonne. Il prend l’appel.

CHRIS

Allo ?...

Chris continue à s’activer dans le salon tout en parlant au téléphone

Oh, oui, bonsoir, mademoiselle… Cyndi, si vous préférez… Mais alors, appelez-moi Chris. Oui, Monsieur… ça me vieillit… On pourrait croire que j’ai 60 ans ! Pardon ? Euh… 58, depuis peu...

Vous appeliez pour la chambre ? Pas de souci, tout est prêt. La maison est bien vide depuis la fin de l’année universitaire passée. Vous faite bien finalement de venir un peu avant la rentrée. Je sais que chaque année, il y a pas mal d’étudiants qui galèrent pour trouver un logement.

Un temps. Chris est toujours en train de faire le tour du salon, à ranger, machinalement.

... Oui, pour votre ami Benjamin, c’est prêt aussi, vos deux chambres son mitoyennes. (Rieur) Personne d’autre, j’espère, sinon je devrai partager mon lit, et je ne suis pas sûr que mon mari apprécierait la chose, d’autant qu’il n’est pas là en ce moment.

Un temps

Oui… Oui… Bien sûr... Oh, c’est super ça !...

Chris semble tout à coup préoccupé, et pressé

Oh, veuillez m’excuser, mais quand on parle du loup… J’ai un double appel de mon mari… Je vous laisse et je vous dis donc à demain matin ? … Bonne soirée, mademoiselle, euh… Cyndi, bonne soirée…

Chris se déplace côté bar et prend le double appel

… Allo ? Kevin ? Salut. J’étais en ligne avec la nouvelle locataire. Elle arrive demain matin... Oui, elle a l’air très sympa. Elle est étudiante en psycho, à la fac. Et la chambre bleue c’est pour son copain, Benjamin, je crois.

Ben, écoute, ils m’ont demandé deux chambres séparées, ce n’est sûrement qu’un copain de fac.

Alors, dis-moi, comment va Martine ? Elle est sortie de l’hôpital ? …Bon, super, tu lui fais un gros bisou de ma part. Oh, oui, Ok, tu peux rester là-bas quelques jours pour l’aider, si tu veux, je gère ici et en plus, je vais avoir de la compagnie.

Tout à coup plus triste, il s’approche du jardin zen et gratte le sable avec le râteau tout en parlant

Tu me connais, quand je suis seul, j’ai un peu le blues, je me dis que je suis déjà trop vieux, je repense à toutes mes années d’adolescent, et d’étudiant gâchée, et même après, enfin, jusqu’à ce qu’on se rencontre... Je sais, y’avait des bons moments, aussi... enfin, on en a parlé souvent, je sais...

Reprenant le contrôle et son énergie bienveillante habituelle

Bon, ben, sur ces bons mots du condamné à mort, je te laisse !... Oui, encore quelques petits trucs à régler. Allez, bisous et… on s’appelle ?... Bisous… moi aussi.

 

Chris va se servir une tasse de thé, qu’il pose sur la table.

Il va chercher un disque et le place sur la platine. Musique douce et apaisante.

Il s’installe à table, commence à boire son thé, pensif.

Puis, s’interrompant, il se lève et attrape une boite à chaussure anodine sur une étagère. En la posant sur la table, on voit inscrit sur l’autre face de la boîte « Correspondance – Chris – 1985/1995 ».

Il se rassoit, ouvre la boîte, en extrait une lettre et la parcours des yeux.

Une voix off, jeune fait entendre ce qu‘il lit.

 

VOIX OFF (Celle de Jean-Luc, jeune)

« Jean-Luc, Nantes, 9 mai 1986.

Mon cher Christophe, n'importe quel expert en graphologie te dirait que l'homme qui écrit cette lettre est un homme exténué, vidé, épuisé. Et il aurait raison, le bougre !!! Tu me dis que tu tentes l’intégration à Sup de Co par la voie parallèle. Notre lointaine amitié, forgée dans l’enfer des 3 heures de cours de math du mercredi matin en Terminale avec monsieur SOSSET, mais aussi dans la densité de nos confrontations footballistiques (salut, Grand Max), notre lointaine amitié, disais-je, m’oblige à te révéler une chose cruelle mais à laquelle tu dois être préparé : La scolarité à Sup de Co est loin d’être le Paradis décrit par ces professeurs de Prépa.

En dépit de toute apparence, il y a un lien entre ces indigènes péruviens et l’étudiant en Ecole Supérieurs de Commerce, un lien qui les unit, au-delà des barrières culturelles et linguistiques, dans un même élan de survie face à une existence qui ne les ménage guère. Ce lien, c’est la feuille de COCA !!! Depuis deux mois, en effet, le labeur quotidien que j’endure m’a fait choisir le dopant naturel aux multiples vitamines et produis chimiques que j’ingurgitais inconsciemment durant la Terminale, en dépit des conseils avertis de la Mère Rika Zaraï qui n’avait pas à l’époque encore écrit son formidable recueil mais qui pratiquait déjà régulièrement les bains de siège pour lutter contre les engelures de l’hiver.

J’en suis venu à rester, toutes les nuits, branché à un goutte-à-goutte, ce qui me permet d’être très frais le matin lorsque démarre une nouvelle mais toujours aussi rude journée. Il est vrai que l’idée d’avoir remplacé le coca par du muscadet est assez astucieuse ; j’envisage d’ailleurs de déposer un brevet prochainement, ce qui m’assurerait une protection de 20 ans sur mon invention. »

 

Chris sourit. Il extrait une autre lettre, puis tout un paquet. Il semble en rechercher une en particulier. Quand il la trouve, il se lève et va s’installer dans le fauteuil.

Il est éclairé par un lampadaire au-dessus du fauteuil.

Il commence à la parcourir des yeux. Une nouvelle voix off se fait entendre : c’est Chris à l’âge de 21 ans.

VOIX OFF (Celle de Chris, jeune)

« Christophe, Castelmaurou, le 19 septembre 1986

Jean-Luc, le moment est venu pour moi de te parler vraiment, comme je te l'avais promis. Si je ne t’envoie cette lettre qu'aujourd'hui, c'est parce que je voulais être un peu plus stable pour me jeter à l'eau. Car, ajouté aux examens que je passais, cela aurait fait beaucoup pour moi. Et puis, avouons-le, il est encore une fois plus facile de parler quand on est éloigné, car on peut surement aller plus loin dans la réflexion.

Mais alors, qu'est-ce que je voulais te dire depuis si longtemps, qui envahit et paralyse mon esprit ? C'est simple. Je crois que je suis amoureux de toi. Et quand je dis c'est simple c'est que je m’imagine déjà dans une société idéale où effectivement il ne relèverait pas de la peine de mort d’exprimer simplement ses sentiments.

Mais voilà, cette société, elle n'existe pas encore, et tout ce que je vois autour de moi est là pour me rappeler qu'elle n'est pas près de naître. Mon seul espoir étant que l'acte d'amour que j'accomplis aujourd'hui engendre des idées, des valeurs desquelles naîtra un jour cette Société tant rêvée. C'est très ambitieux, je sais, mais c'est apparemment indispensable, car depuis que mon cœur se cogne dans ce labyrinthe, quelques fissures sont apparues qui m'ont fait comprendre plusieurs choses et espérer en même temps.

Alors, Jean-Luc, c'est à toi et à toi seul que je pouvais m'adresser, car tu es ma terre promise, ma mission impossible, mes dix commandements grâce auxquels un jour nous pourrons dire « je t'aime », mais pour lesquels aujourd'hui je dois trouver la force du combat.

C'est ce combat, Jean-Luc, fait de dialogue et de sentiments que j’engage. Contre toi, peut-être, qui n'a pas forcément les mêmes sensations sur tel ou tel point, contre beaucoup d'autres enfin, qui se contentent de juger sans même avoir réfléchi aux conséquences désastreuses de leur intolérance. C'est pourquoi, je te demande, quel que soit le choc émotionnel (positif ou négatif) que tu puisses ressentir après avoir lu cette lettre, de trouver les mots les plus simple et les plus justes pour me répondre et faire progresser notre combat. »

Chris s’est endormi.

Les dernières phrases tournent en boucle dans sa tête, ses rêves prennent la forme sur scène de la projection d’images, avec un montage imprécis, les mêmes mots qui reviennent, avec alternativement la voix jeune de Jean-Luc et de Chris.

Puis d’autres mots, d’autres images, jusqu’à l’enfance.

Puis quelques mots de Chris, sans son, puis sans images.

Enfin, focus lumière sur Chris dans son fauteuil, profondément endormi, la lettre est tombée sur le sol. On n’entend plus que le bruit du disque, arrivé sur le dernier sillon.

NOIR

 

Acte 1 – Scène 2 : L’arrivée de Cyndi

Focus lumière douce du lampadaire au-dessus du fauteuil dans lequel Chris s’est endormi.

On entend le bruit du disque toujours en fin de course.

Puis l’éclairage s’élargit à tout le salon, lumière douce.

Un doux carillon et le chant des oiseaux indiquent qu’il est huit heures.

Tout à coup un coup de sonnette strident retentit !

CHRIS

Sursautant

Whaouuu ! Qu’est-ce que c’est ? Mais quelle heure il est ?

Regardant sa montre, il s’active plus qu’à son habitude

Merde ! C’est la gamine qui se pointe ! Mais je suis par prêt moi !

Il va ouvrir le rideau, laissant entrer la pleine lumière. Tout en s’activant

Bon, concentrons-nous : Le ménage, je l’ai fait hier, les poussières... ça ira !

Moi... (Un peu dubitatif) je l’ai fait hier !

Un nouveau coup de sonnette le fait sursauter. Il se précipite à l’interphone

Je ne m’y ferai jamais ! (Décrochant l’interphone) C’est au bout du chemin, la maison de gauche ! (Il raccroche, toujours aussi actif)

(Se parlant à lui-même) Et le « bonjour mademoiselle », c’est quand tu veux ! Non, suis-je bête, ça aussi tu l’as fait hier, au téléphone !

Il prend un grand souffle, utilise le jardin zen frénétiquement, pour se calmer

C’est bon... tout va bien se passer...

Juste mes chaussures, un coup de peigne...

Il est où ce peigne ! (Ne le trouvant pas, il attrape le petit râteau du jardin zen) Ça ira comme ça !

Un peu de déodorant (Il prend une bombe aérosol, en propulse une peu partout dans la pièce, puis, après une hésitation, s’en asperge lui-même)

Passant devant la photo de mariage avec Kevin, et avant de la ranger

Bisous !

Apercevant les lettres sur la table, à nouveau stressé

Oh ! Les lettres !

Il rassemble les lettres sur la table, les remet dans la boite à chaussure, qu’il range sur l’étagère, inscription « Correspondance Chris » visible. Puis il se ravise et retourne la boîte.

On frappe à la porte.

Au même moment, il voit la lettre qu’il avait lue dans son fauteuil sur le sol. Il panique à nouveau.

J’arrive, je cherche les clés !

Il ramasse la lettre, ressort la boîte y insère rapidement la lettre, remet rapidement la boite sur l’étagère. Un coin de feuille apparait, dépassant du couvercle. Il essaie sans succès de la faire rentrer. Puis renonce.

Il ouvre enfin la porte, épuisé.

CYNDI

Chargée de deux grosses valises, Cyndi se fraye un chemin jusqu’au salon, pose ses charges et peut enfin dire bonjour.

Très enjouée et active

Bonjour Monsieur... enfin Chris, si notre accord tient toujours !

CHRIS

(Reprenant son souffle) Bien sûr, (Forçant le ton) Cyndi !

Je suis désolé pour cet accueil un peu cavalier, mais je finissais tranquillement de me préparer et de préparer les chambres... (tirant une chaise, toujours essoufflé) Asseyez-vous, je vous en prie, vous avez l’ai bien...

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