Ça se corse

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Elisa et Joseph ont gagné un séjour en Corse. Leur maison étant isolée, ils font appel à un couple pour la garder. Ils vont partir, mais c’est sans compter avec leur entourage quelque peu encombrant ainsi que des événements extérieurs. Bref, chaque fin d’acte se transforme en catastrophe, remettant leur départ au lendemain…

ACTE I

SCèNE 1

 

Joseph est affalé sur un fauteuil, lisant un journal. Sonnerie de la porte d’entrée.

Joseph - Tu vas ouvrir, chérie, je suis occupé !

Elisa (entre par la porte de droite) - Occupé ! Occupé à ne rien faire, comme d’habitude.

Joseph - C’est sûrement ce couple qui vient habiter ici pendant notre absence.

Elisa va vers le vestibule et se retourne.

Elisa - Dépêche-toi ! Tu te vautres sur ce fauteuil alors que nous partons dans deux heures pour la Corse ! (Elle sort.)

Joseph (s’étirant sur le fauteuil) - Justement, si on doit vivre au milieu des Corses, il faut bien que je m’entraîne à leur vie trépidante, que je m’exerce aux coutumes du pays. (Elisa revient par le vestibule, précédant Dominique. NDLA : cette version opte pour un personnage féminin, mais il est très facile d’adapter le texte pour un homme. Joseph s’extirpe de son fauteuil.) Madame Tourange sans doute ?

Dominique - C’est cela ! Je ne suis pas trop en retard ?

Joseph - Nous partons dans deux heures. D’ailleurs, vous voyez, je me préparais…

Elisa (le coupant) - Mon mari s’entraîne pour les vacances. Mais c’est un couple qui devait habiter ici. Je ne vois pas de monsieur Tourange ?

Dominique - Mon mari doit me rejoindre dans trois jours. Nous habitons toute l’année dans une charmante station balnéaire, face à la mer, et dans trois jours, une ribambelle de cousins et neveux vont débarquer chez nous. Nous leur laissons la place. Vous savez, la mer… Nous sommes un peu blasés. Il me rejoindra dès qu’ils seront arrivés. De toute façon, il avait des peintures à terminer.

Elisa - Ici, vous serez dépaysés. Cependant, nous avons une piscine.

Dominique - Oui, je l’ai aperçue en arrivant.

Joseph - Avec des vagues, comme dans l’océan.

Dominique - Ce sera parfait.

Elisa - Vous serez quand même isolés.

Dominique - Tant mieux. Mon mari et moi rêvions de deux semaines au calme, entre nous…

Joseph - En amoureux, quoi !

Dominique - Donc, vous partez pour quinze jours.

Elisa - Dix-huit exactement. Nous allons en Corse.

Joseph - En fait, nous embarquons sur le ferry avec la voiture dans trois jours seulement.

Dominique - Et il vous faut trois jours pour aller à Marseille ?

Joseph - Non mais ma femme a une tante à La Madrague, non loin de Marseille, et nous en profitons pour lui rendre une petite visite en passant.

Elisa - C’est une sœur de ma mère. Une vieille dame charmante.

Joseph - C’est surtout sa maison qui est charmante. Elle domine la mer… Et comme ma femme est la seule héritière…

Elisa - Il n’y a pas que ça ! Tante Joséphine est une personne adorable.

Joseph - Adorable, adorable… Elle se met surtout à adorer tout ce qui touche à la religion.

Elisa - Écoute, elle n’est plus toute jeune et elle veut préparer ce qu’elle appelle « le salut de son âme ».

Joseph - En attendant, elle ne bouge plus de l’église et ses meilleurs copains sont des moines. Il y a un monastère pas très loin de chez elle et c’est une passionnée d’art roman.

Elisa - ça ne veut pas dire… Asseyez-vous madame Tourange… ça ne veut pas dire qu’elle leur donne tous ses biens !

Joseph - Va savoir ?

Elisa - Mais c’est vrai qu’une petite visite… Après tout, je suis sa nièce.

Joseph - ça ne mange pas de pain et en plus, ça nous coûte rien, on passe devant chez elle.

Dominique - J’ai cru comprendre que vous avez gagné ce voyage en Corse.

Joseph - Oui, la chance était avec nous.

Dominique - C’est le cas de tous les gagnants, non ?

Joseph - Disons qu’on a eu du bol.

Dominique - C’est-à-dire ?

Le fauteuil où est assise Dominique doit plus ou moins tourner le dos à la table et aux chaises pour le jeu de scène suivant.

Joseph - J’ai joué avec un copain, mon meilleur ami, Louis. Il y a quelques mois, le quotidien régional proposait un concours dont les questions portaient essentiellement sur l’histoire du Premier Empire.

Elisa - Et chaque soir, à cette table, nous nous sommes réunis, Louis, sa femme Pauline et nous deux pour répondre aux questions.

Dominique - Et vous êtes des spécialistes de cette époque ?

Joseph - Pas vraiment, mais je vous raconte.

La lumière abandonne le fauteuil sur lequel restera assise Dominique, immobile, pour se concentrer sur la table et les chaises autour.

 

 

SCèNE 2

 

Joseph et Elisa vont s’asseoir à table et compulsent des livres sur l’épopée napoléonienne. Sonnerie de l’entrée.

Elisa - Ah ! les voilà ! J’y vais !

Elle sort pendant que Joseph continue à chercher dans les ouvrages.

Joseph - Ah… Voilà ! (Il lit.) « La bataille d’Auerstedt devait se solder par cent vingt canons pris à l’ennemi. » Eux aussi ils parlent de cent vingt.

Entrée d’Elisa par le vestibule, suivie par Louis et Pauline (pour Pauline, voir annexe).

Louis - Salut Joseph ! Excuse pour le retard. Pauline avait une urgence.

Joseph (préoccupé) - Bonsoir ! L’urgence, c’est cette question à la noix !

Pauline - Toujours à râler, hein ! (Elle lui fait une bise qu’il ne lui rend pas. À Elisa.) Qu’est-ce qu’il peut être grognon ton homme !

Elisa - Ce soir, ce n’est pas un grognon mais un grognard de l’Empereur que tu as devant toi.

Louis - Les questions sont de plus en plus difficiles apparemment.

Joseph - Tu peux le dire. Écoutez ça : « La bataille d’Auerstedt eut lieu le 14 octobre 1806 au nord de Iéna. Le Maréchal Davout la remporta sur les Pussiens. Après la victoire des Français, combien de canons furent pris à l’ennemi ? »

Louis (qui s’est assis à la table) - C’est raide comme question. Tu as commencé à chercher ?

Joseph - Dès que le facteur dépose le courrier, je commence à fouiner dans tous les bouquins qui traitent de ça.

Elisa - Et Dieu sait s’il y en a des livres qui parlent de Napoléon ! Il paraît qu’il est en tête des sujets sur lesquels on a le plus écrit.

Louis - Et comme les Archives nationales sont fermées en raison de travaux de restauration, pas moyen d’aller voir à la source !

Joseph - ça fait au moins le huitième bouquin qui parle de cent vingt canons pris à l’ennemi ce jour-là.

Louis - C’est presque trop facile.

Joseph - Un peu trop, oui ! Et comment en être sûr ? Il faudrait trouver une autre source d’information.

Elisa - Cent dix-huit !

Louis - Quoi cent dix-huit ?

Joseph - Tu veux dire qu’il suffit de faire le 118 pour avoir ce genre de renseignements ? Tu rêves ma vieille, tu rêves !

Elisa - Cent dix-huit, c’est le nombre de canons pris à l’ennemi ce jour-là !

Louis - Tu lis dans le marc de café ?

Joseph - Tu fais dans la voyance maintenant ? C’est extra, ça ! Extra… mais pas lucide !

Elisa - Plus lucide que tu ne le crois ! Le nombre de scènes que tu m’as faites parce que je garde tous les souvenirs de ma famille, les objets, les lettres, etc.

Pauline - Tu as vraiment trouvé quelque chose ?

Elisa - Il y a deux ans, j’ai commencé à faire mon arbre généalogique. Je me suis rappelée qu’un de mes ancêtres, Eugène, avait participé aux batailles napoléoniennes.

Louis - Il ne devait pas être un cas unique. À l’époque, toutes les familles avaient des soldats sous les drapeaux.

Joseph (toujours râleur) - Bien obligé ! On ne leur demandait pas leur avis !

Elisa - Oui, mais je me suis souvenue que cet ancêtre était à l’intendance. Quand j’étais gamine, j’ai lu des lettres de lui à sa femme Hortense.

Joseph - Oui, mais si c’était pour lui dire que la bouffe était dégueulasse et qu’ils manquaient de godasses, je ne vois pas en quoi ça nous avance.

Elisa - Il avait une très belle écriture. Si c’était ton ancêtre, tu ne risquerais pas de tenir de lui. Et grâce à ce talent, ses supérieurs le chargeaient de recopier tous les mouvements de l’intendance et entre autres la liste des prises à l’ennemi.

Joseph - Quoi ? Tu veux dire que c’est lui qui…

Elisa - Toutes ces listes qu’on peut voir aux Archives nationales sont de sa main. Et comme il faisait d’abord un brouillon, nous avons ses brouillons !

Joseph - Mais alors…

Elisa - ça fait deux jours que je fouille dans les caisses et j’ai trouvé.

Louis - Mais tu es sûre que…

Elisa - Il est mort en 1830. Il y a longtemps que l’Empire était fini. Il a fait toutes les grandes batailles.

Pauline - Il aurait pu mourir au combat !

Elisa - Son travail n’était pas de se battre mais de préparer les fournitures pour les hommes et de répertorier ce qui restait après les batailles.

Joseph - Un planqué, quoi !

Elisa - Un planqué qui va peut-être nous faire gagner ce concours.

Pauline - Avec leur fermeture pour travaux, nous sommes peut-être les seuls à avoir accès aux doubles des dossiers des Archives nationales.

Elisa - La plupart des historiens ont arrondi le nombre de canons pris à l’ennemi pour cette bataille à cent vingt. Mais en réalité, il s’agit de cent dix-huit canons que les Français ont récupérés ce jour-là.

Louis - ça c’est une sacrée chance !

Elisa - Je peux vous donner le nombre de fusils, de baïonnettes et même de chaussures récupérés sur les morts, qu’on a pu comptabiliser après cette victoire. Ainsi que pour les autres batailles d’ailleurs. (Elle sort par la porte de droite.)

Joseph - Mais alors, pour les cinq questions précédentes, parce que là, on est au sixième jour du concours, on peut avoir les réponses ?

Elisa (revenant) - J’en suis sûre. Il suffit de tout lire. J’ai déjà trouvé la solution aux deux premières questions. Tout est là. Je pourrais même préciser ce que Napoléon a mangé le lendemain de la bataille d’Austerlitz. (Elle pose un énorme carton sur la table.)

Pauline - Le concours ne concerne pas que les batailles. Il faudrait trouver d’autres sources.

Elisa - L’ancêtre Eugène était un bavard. Il aimait les ragots. Sa femme Hortense devait se régaler et s’empresser de tout raconter à ses amies.

Joseph - S’ils aimaient les ragots, ta mère doit tenir d’eux. Je n’ai jamais vu une pipelette comme elle !

Elisa (haussant les épaules) - Maman n’est pas là pour se défendre, alors évitons de parler d’elle, veux-tu ?

Louis - Si on essayait de répondre aux trois questions qui nous manquent ?

Elisa - Allons-y ! Chacun d’entre nous va trier une partie du courrier d’Eugène.

La lumière décline et revient sur le fauteuil occupé par Dominique. Louis et Pauline s’éclipsent discrètement. Elisa sort aussi et revient avec un plateau chargé de boissons et de verres.

 

 

SCèNE 3

 

Joseph (revenu vers Dominique) - Voilà comment, sans avoir de connaissances historiques particulières, nous avons gagné un séjour d’un mois en Corse pour deux personnes dans un des plus beaux hôtels de l’île…

Elisa - … grâce à mon trisaïeul et à ma manie de garder précieusement tous ces souvenirs. (À Dominique) Qu’est-ce que je vous sers ? Un whisky ?

Dominique - Volontiers !

Elisa - Et toi ?

Joseph - La même chose. Alors, on s’est partagé ce mois de vacances : la première quinzaine pour Elisa et moi, et la deuxième pour Pauline et Louis.

Dominique - Et vous partez tout à l’heure !

Joseph - C’est ça ! Le temps de vous expliquer quelques détails, on charge la voiture et on est partis !

Elisa - Vous aurez certainement la visite de notre voisine, Mme Lefebvre. Une personne sympathique.

Joseph - Sympathique mais chiante !

Dominique - C’est-à-dire ?

Joseph - C’est-à-dire que c’est une fouineuse ! Elle se croit ici chez elle.

Dominique - Ah ! mais c’est très embêtant ça !

Elisa - Elle n’est pas méchante, mais elle se mêle de tout. On la surnomme « Madame Sans-Gêne ».

Dominique - Mais si je ferme le portail à clef ?

Joseph - Il y a plusieurs trous dans la clôture qui sépare nos terrains. C’est par là qu’elle passe, c’est plus court.

Bruits de voix de l’extérieur.

Elisa - Tiens, justement, c’est elle.

Joseph - Elle a dû voir votre voiture, elle vient aux nouvelles.

Dominique - Mais c’est insensé ! Vous n’êtes plus chez vous !

Elisa - Ne bougez pas, je vais la renvoyer.

Joseph - Je te suis, on ne sera pas trop de deux.

Ils sortent par le fond.

 

 

 

 

SCèNE 4

 

Dominique sort son portable et compose un numéro.

Dominique - Allô !… C’est toi ?… ça va, je suis dans la place… Oui, ils vont partir… Les camions sont prêts ?… O.K. !… Ah ! faudra s’méfier, il y a une voisine qui semble fouineuse. Faudrait essayer de la neutraliser… Je te laisse, on vient !… (Elle éteint son portable.)

Entrée par la vestibule de Mme Lefebvre, femme sympathique et décidée. Tenue de jardinage, voire même des bottes en caoutchouc. Elle est suivie de Joseph et d’Elisa.

Mme Lefebvre (allant vers Dominique) - Alors, c’est vous la concierge ?

Dominique - Euh… oui !

Mme Lefebvre - Vous faites pas d’bile. J’vous aiderai, moi, à la garder c’te maison.

Elisa (faisant les présentations) - Mme Lefebvre, notre voisine. Mme Tourange. (Elles se serrent la main.)

Mme Lefebvre - Il était temps qu’vous arriviez pa’ce qu’avec lui… (Elle montre Joseph.)… les légumes sont plutôt abandonnés.

Joseph - Qu’est-ce que vous voulez ? Moi, mon truc, c’est les fleurs.

Elisa - Mon mari est un maniaque de l’horticulture. Le légume ne l’intéresse pas.

Mme Lefebvre (péremptoire) - Les fleurs, ça vous nourrit pas !

Joseph - La beauté des concombres, l’odeur des petits pois, moi, vous savez…

Mme Lefebvre - Et vous, madame Tourouge, vous aimez le jardinage ?

Dominique - Tourange, pas Tourouge… Tourange !

Mme Lefebvre (menaçante) - Alors, vous aimez bêcher, oui ou non ?

Dominique (pour lui faire plaisir) - Mais bien sûr, chère madame, c’est ma principale distraction.

Mme Lefebvre (à Joseph) - Là, vous voyez ? Tout le monde n’est pas comme vous ! Elle aime les légumes, elle. (Se tournant vers Dominique et lui serrant les mains.) Merci de faire partie de la confrérie, madame Toussarange !

Dominique (timidement) - Tourange, madame, Tourange…

Mme Lefebvre - Vous au moins, vous laissez pas vos légumes à l’abandon comme certains. (Tête de Joseph.) Ces pauvres petits, ici, ils sont livrés à eux-mêmes et ils grandissent sans amour. Quand ils arrivent à naître ! Et quand ils ont la chance de vivre, par hasard, ils deviennent tout de suite orphelins. Mais avec vous ça va changer !

Elisa (espiègle) - Vous voyez, avec madame… tout s’arrange !

Mme Lefebvre - Je vous ai laissé dans l’entrée deux grands paniers de cerises. Va...

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