Paul m’a laissé sa clé !

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Quand Sophie vient cambrioler cet appartement apparemment vide pour le weekend, elle ne se doute pas que Paul, le locataire, a tendance à laisser sa clé à bien du monde. Surprise en flagrant délit, elle va être obligée de mentir et de changer d’identité pour essayer de se sortir d’affaire. Mais ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle est chez Paul, champion du monde toute catégorie du bobard. Lorsque ses mensonges vont se télescoper avec ceux de Paul, le résultat ne va pas être triste.

Cette comédie délirante où les personnages entrent et sortent sans arrêt commence à cent à l’heure pour finir à deux cents à l’heure. Attachez vos ceintures si vous ne voulez pas exploser de rire !




Paul m'a laissé sa clé !

Acte I

Scène 1

On entend le bruit d’un orage à l’extérieur. La scène est dans la pénombre, on voit une porte s’ouvrir et une lampe torche se promener dans la pièce. La lumière s’allume. On découvre une femme trempée (cheveux et vêtements).

Sophie. — Bon, c’est bien ce qu’il me semblait : il n’y a personne ! Oh ! la vache ! Qu’est-ce que j’ai pris sur le nez ! (Elle prend le bout de la manche de son pull qu’elle essore. De l’eau s’en échappe.) Regarde-moi ça ! (Elle regarde autour d’elle.) Bon ! Ça m’a bien l’air d’un appart de mec, ça ! Alors, qu’est-ce qui va m’intéresser que je vais pouvoir embarquer, ici ?

Elle fouille dans des tiroirs, sur le bureau. Le téléphone sonne, elle continue de fouiller sans s’en inquiéter. Un répondeur se met en marche, elle sursaute.

Paul, voix du répondeur. — Bonjour ! Vous êtes bien chez Paul Lefort. Dommage ! Il n’y a personne…

Sophie. — Ça c’est ce que tu crois, mon gars…

Paul, voix du répondeur. — Je suis absent tout le week-end. Je suis à Ibiza, je rentre dimanche soir…

Sophie. — Super ! J’ai deux jours pour trier ce qui m’intéresse…

Paul, voix du répondeur. — Les gars, vous pouvez laisser un message ! (Très dragueur.) Les filles, vous pouvez laisser aussi vos coordonnées et vos mensurations ! Eh, pas de panique, les filles ! Un peu de patience, je vous rappelle dimanche soir sans faute !

Sophie, levant les yeux au ciel. — Bonjour le gros lourd !

Paul, voix du répondeur. — Salut ! Parlez après le bip ! (Bip.)

Monica, voix off avec accent italien, très énervée. — Allô ! Paul ! C’est Monica… Tu es là ? Je sais que tu es là… Si tu es là, décroche… Paul, t’es qu’un salaud ! Pourquoi tu m’as quittée ? On ne me laisse pas tomber comme une vieille chaussette, moi ! J’te préviens, tu vas le regretter ! Eh, Paul ! Si je te croise avec une autre fille, je lui arrache les cheveux, je la transforme en hachis parmentier ! Alors si tu es là, décroche !… Bon, tu n’es pas là ?… Eh bien, tu vas avoir une drôle de surprise à ton retour d’Ibiza, c’est moi qui te le dis ! (Elle raccroche.)

Sophie. — Holà ! Elle n’a pas l’air très commode, celle-là ! Pas étonnant qu’il l’ait quittée, son bonhomme ! Bon, eh bien, si j’ai bien compris, le propriétaire des lieux ne revient pas avant dimanche soir ; donc j’ai tout mon temps ! Je vais commencer par me sécher les cheveux… (Elle retire son pull, le pose sur le dossier d’un siège, va dans la salle de bains et revient avec une serviette. Elle se frictionne les cheveux puis se fait un turban avec la serviette.) En fait, je vais me sécher complètement !

Elle commence à déboutonner son chemisier et va s’enfermer dans la salle de bains.

Scène 2

Aussitôt entre Léo, le voisin de palier, très efféminé, très maniéré, pantalon de couleur vive, chemise à fleurs.

Léo, étonné. — Tiens, c’était resté allumé. Mon petit Paul, heureusement que Léo passe derrière toi. (Appelant) Minou !… Minou, minou, minou !… Où es-tu ? Elle est où la minette ? Nicotine ?… Tu es là, minette ?… C’est moi ! Viens voir ton Léo ! Ben oui, papa Paul est parti, tu sais bien que c’est moi qui viens te donner à manger chaque fois que papa Paul est en voyage ! Viens voir ta copine ! (Il s’arrête devant une photo de Paul, puis sur un ton amoureux.) Ah ! Paul ! Mon petit Paul, si tu n’aimais pas autant les femmes, tu jetterais peut-être de temps en temps un œil sur moi ! Enfin, l’espoir fait vivre ! Nicotine ! Tu es dans la cuisine, ma minette ? (Il va dans la cuisine.)

Aussitôt, Sophie ressort de la salle de bains. Elle a enfilé un peignoir d’homme, et a toujours la serviette enroulée dans ses cheveux. Elle pose ses vêtements mouillés sur le dossier de siège où se trouve son pull.

Sophie. — Voilà, je vais mettre ça ici pour que ça sèche un petit peu. Bon, je ne vais pas squatter ici, quand même, mais pour une fois que je ne suis pas stressée par le temps, je vais me poser cinq minutes ! (Elle se laisse tomber dans le canapé.)

Léo, voix off, au chat. — Oh ! la petite voleuse ! Je n’aime pas qu’on chaparde comme ça ! (Sophie se lève d’un bond.) Je te préviens : je n’aime pas me fâcher, mais je vais te flanquer une fessée ! (Il entre et aperçoit Sophie. Ils sursautent tous les deux.) Oh ! mon Dieu ! Vous m’avez fait peur !

Sophie. — Ah ! mais c’est vous qui m’avez fait peur !

Léo. — Je m’excuse de vous avoir surprise, mademoiselle, je ne savais pas que vous étiez là. Oh là là ! La trouille que vous m’avez foutue !

Sophie, s’excusant. — Écoutez, je vais vous expliquer.

Léo. — Non ! Moi, je vais vous expliquer !

Sophie. — Vous devez vous demander ce que je fais ici…

Léo. — Eh bien, je ne m’y attendais pas, effectivement.

Sophie. — Et dans cette tenue !

Léo. — Oh ! une bonne douche en plein été, ça fait du bien ! Moi j’adore les douches en fin d’après-midi. Ça me délasse ! Après, on se sent beaucoup mieux.

Sophie. — Non, non ! En fait, j’ai pris l’orage tout à l’heure, et j’étais toute trempée. Alors je me suis permis de prendre un peignoir pour me sécher.

Léo, s’excusant à son tour. — Mais ne vous justifiez pas, mademoiselle !

Sophie, le prenant pour Paul. — Euh… Paul ? C’est bien Paul ?

Léo. — Oui, c’est bien Paul… (Un temps.) Paul qui m’a laissé sa clé pour que je vienne nourrir Nicotine.

Sophie. — Nicotine ?

Léo. — Oui ! Nicotine, la chatte !

Sophie, soulagée. — Ah ! d’accord ! Et vous êtes…

Léo. — … ravi ! Oui, je suis ravi de faire votre connaissance !

Sophie. — Non, mais je veux dire… Vous êtes…

Léo. — … confus de vous avoir fait sursauter tout à l’heure.

Sophie. — Non, mais vous êtes qui, au juste ?

Léo. — Ah ! pardon ! Je n’avais pas saisi ! Je m’appelle Léo, je suis le voisin d’à côté, j’habite sur le même palier. La porte juste à gauche en sortant.

Sophie. — Ah ! d’accord !

Léo. — Paul ne vous a jamais parlé de moi ? Normal, il n’y a sûrement pas très longtemps que vous êtes avec lui…

Sophie. — Hein ? Pardon ?

Léo. — Je vous demande s’il y a longtemps que vous êtes ensemble, avec Paul.

Sophie, réfléchissant. — S’il y a longtemps que je suis avec Paul ?

Léo. — Oui.

Sophie. — Euh… non, non ! C’est récent ! (Au public.) Je dirais même très récent !

Léo. — Je vous demande ça parce que je ne vous ai jamais vue avant.

Sophie. — Normal, c’est la première fois que je viens !

Léo. — Ah oui ! Et comment êtes-vous entrée, alors ?

Sophie. — Hein ? Comment je suis entrée ?

Léo. — Oui, c’était bien ma question.

Sophie. — Eh bien… euh… (Elle cherche.) Comment je suis entrée… Comment je suis entrée ? Par la porte, pardi !

Léo. — Oui, je me doute bien, par la porte… parce que par la fenêtre, on est au cinquième, ça fait haut, ma cocotte !

Sophie. — Non, mais je veux dire… Paul m’a laissé sa clé !

Léo. — Mais oui ! Bien sûr ! Alors ça, c’est tout lui. Il est parti tout à l’heure pour deux jours, il me dit : « Léo, tu veux bien t’occuper de ma minette pendant que je suis absent ? » Mais il oublie de me dire que vous êtes là ! Ah là là ! Sacré Paul ! Incorrigible !

Sophie. — Oui, sacré Paul !

Léo. — Eh bien, bonjour ! Donc, comme je viens de vous le dire, moi c’est Léo.

Sophie. — Bonjour, Léo ! Moi, c’est Sophie. (Elle lui tend la main.)

Léo. — Ah non ! On se fait la bise, entre voisines ! (Ils se font la bise.) Je peux te dire tu, Sophie ?

Sophie. — Oui, si vous voulez. Enfin, si tu veux !

Léo. — Pourquoi Paul ne t’a pas emmenée à Ibiza ?

Sophie. — Hein ? Pourquoi ? Mais parce que… (Elle cherche un mensonge.) Parce que je ne supporte pas le train… et jusqu’en Espagne, en plus, c’est trop long ! Voilà !

Léo. — Mais Ibiza c’est une île, ma cocotte ! (Il regarde sa montre.) D’ailleurs, son avion a dû décoller, à l’heure qu’il est.

Sophie. — Ah ! ben oui ! Oui, bien sûr ! Justement… Il voulait que je le rejoigne en avion.

Léo. — Et alors ?

Sophie. — Eh bien, alors… alors… (Elle cherche un autre mensonge.) Alors l’avion, je ne supporte pas non plus. Voilà ! J’ai peur ! J’ai peur en avion, j’y peux rien, c’est comme ça. En plus, pour atterrir sur une île, tu te rends compte, une toute petite île… si le pilote se loupe ou si l’avion n’a plus de freins en bout de piste, plouf ! à la mer ! Alors j’ai dit non.

Léo, en extase. — Eh bien, moi, j’aurais rêvé que Paul me dise : « Mon petit Léo, tu veux m’accompagner à Ibiza ? » Oh ! le pied ! Juste lui et moi ! (Un temps.) Il est beau, hein, Paul ?

Sophie. — J’en sais rien. (Elle se reprend.) Enfin, sûrement ! Enfin, je veux dire oui, bien sûr, il est beau !

Léo. — Je peux bien te l’avouer à toi : ça fait quatre ans que je suis amoureux de lui. (Il la rassure.) Mais ne crains rien, je ne vais pas te le piquer, c’est un vrai hétéro, Paul, tu sais ! À mon grand désespoir, d’ailleurs. Bon, je n’y peux rien, il préfère les filles. Pourtant, j’ai essayé plus d’une fois ! Enfin, qu’est-ce que tu veux : je l’aime et il ne m’aime pas. C’est comme ça ! C’est la vie !

Sophie. — C’est triste, dis donc !

Léo. — Oui, mais enfin, n’exagérons rien, c’est pas une tragédie grecque non plus ! C’est pas Titus et Bérénice ! Je ne vais pas aller me jeter dans la Seine pour en finir ! D’ailleurs, elle est trop froide ; rien que d’y penser, j’en ai des frissons partout ! Alors comme ça tu vas l’attendre ici toute seule jusqu’à dimanche soir ?

Sophie. — Rester ici jusqu’à dimanche ? Ah ! sûrement pas !

Léo. — Ah bon !

Sophie. — Hein ? Non… (Elle se reprend.) Je veux dire… je ne vais pas rester ici… que dans cette pièce… je vais peut-être aussi aller dans la chambre et dans la salle de bains.

Léo. — Oui, bien sûr ! (Compatissant.) Le temps va te paraître long sans lui.

Sophie. — Oh ! ben oui alors ! Il me manque déjà, tu penses bien !

Léo, posant la main sur les vêtements humides. — Oh là là ! Mais c’est tout trempé, ça ! C’est tes affaires, je parie.

Sophie. — Eh bien, oui ! Je t’ai dit : l’orage de tout à l’heure, j’étais dessous !

Léo. — Oui, mais là, ça ne va jamais sécher, comme ça, dis donc ! (Il prend tous les vêtements en main.) Je vais te les passer un coup au sèche-linge.

Sophie, voulant les lui reprendre des mains. — Non, non ! Ce n’est pas la peine ! Ne t’embête pas, Léo, je vais me débrouiller toute seule.

Léo. — Allez, allez ! Ne fais pas de manières, ma cocotte !

Sophie. — Non, mais je t’assure, ça va aller !

Léo. — Veux-tu lâcher ça ? Tu sais, ça ne me pose aucun problème. C’est moi qui m’occupe du petit linge de Paul, d’habitude. Je lui fais ses petites lessives, je lui repasse ses petits caleçons, je lui range ses petites chaussettes… Et en plus, je parie que tu n’as même pas de quoi te changer.

Sophie. — En fait… Oui, tu as raison !

Léo. — Tu veux que je te prête des fringues ?

Sophie, regardant comment il est habillé. — Hein ? Non, non, merci ! Ne te dérange pas ! Je vais sûrement trouver quelque chose qui me va dans la chambre de Paul. (Comme elle ne connaît pas l’appartement, elle se dirige vers la cuisine.)

Léo. — Ah ! ben oui ! Je suis bête ! Les habits de ton homme, avec l’odeur du mâle !

Sophie. — Oui, oui ! Voilà, c’est ça ! Je vais mettre les habits de mon homme ! (Elle a la main sur la poignée de la porte.)

Léo. — Ah non ! Là, c’est la cuisine !

Sophie, ouvrant la porte. — Oui, effectivement, c’est la cuisine ! Et là, je vais avoir du mal à trouver de quoi m’habiller ! (Elle rit bêtement.)

Léo. — Je sais que Paul est bordélique, mais pas au point de ranger ses fringues dans la cuisine ! Remarque, un jour – c’était un lendemain de fiesta –, j’ai bien retrouvé le linge sale dans le bac à légumes du frigo et une plaquette de beurre dans son tiroir à chaussettes ! On n’a jamais su qui l’avait mise là, d’ailleurs ! Il faut dire qu’on était dans un état, ce soir-là ! T’imagines même pas !

Sophie. — Pour faire ce genre de truc, si, si, j’imagine très bien !

Léo. — En plus, le beurre avait fondu, y en avait plein le tiroir. Un vrai massacre ! Alors bien sûr, c’est moi qui ai nettoyé toutes les chaussettes. Le seul avantage dans toute cette histoire, c’est que le tiroir fermait très mal ; maintenant plus de problème : il est bien graissé ! Bon, allez ! Je vais sécher ton petit linge et je te le rapporte tout à l’heure.

Sophie. — Merci, Léo, mais ce n’était vraiment pas la peine…

Léo. — Mais si, mais si !

Il ouvre la porte pour sortir.

Scène 3

Sur le pas de la porte, prête à sonner, une dame d’un certain âge.

Henriette. — Surprise !

Léo. — Oh ! madame Henriette ! Bonjour ! Mais qu’est-ce que vous faites là ?

Henriette. — Bonjour, Léo. Paul est là ?

Léo, gêné. — Alors comme ça vous êtes à Paris ! Mais vous prévenez toujours, d’habitude, quand vous arrivez…

Henriette. — Oui, mais aujourd’hui j’ai voulu faire la surprise à Paul. J’arrive directement de Nice. Un voyage exténuant, d’ailleurs ! J’étais à côté d’un gros monsieur qui sentait la transpiration. Une horreur !

Léo. — Ah oui ! Mais vous tombez mal, Paul n’est pas là.

Henriette. — Il n’est pas encore rentré ? Il revient vers quelle heure ?

Léo. — Holà ! Tard ! Très tard… Il révise !

Sophie. — Ah oui ! Ibiza, c’est pas la porte à côté !

Henriette. — Bonjour, mademoiselle ! Comment ça, Ibiza ?

Sophie. — Eh bien, oui, sur l’île !

Henriette. — Quelle île ?

Léo, rattrapant la gaffe de Sophie. — Hein ? Comment ça, quelle île ? Sur l’île de la Cité, bien sûr !

Henriette. — Ah bon ! Et qu’est-ce que Ibiza sur l’île de la Cité ?

Léo. — Hein ? Ibiza ? Qu’est-ce que c’est ? Eh bien, Ibiza, c’est un lieu de révision pour les étudiants, l’Ibiza-bar sur l’île de la Cité, juste derrière Notre-Dame.

Henriette. — Bon, eh bien, cela m’apprendra à venir sans prévenir ! (Elle se tourne vers Sophie.) Ce n’est pas très grave, puisque je vais enfin pouvoir faire la connaissance de Marie-Clothilde !

Léo, surpris. — Hein ? Marie-Clothilde ? (Une idée lui vient.) Ah oui ! Marie-Clothilde ! Ça tombe bien… (Il montre Sophie.) Justement, elle est là !

Sophie, ne comprenant pas. — Attendez, attendez…

Léo, lui coupant la parole de peur qu’elle ne gaffe. — Alors, laissez-moi faire les présentations : Mme Henriette Lefort, la maman de Paul ; Marie-Clothilde, la chère et tendre Marie-Clothilde !

Sophie. — Ah bon ? Alors je suis… (Elle allait dire « Marie-Clothilde ».)

Henriette, lui coupant la parole. — … enchantée ? Mais moi aussi, mademoiselle, je le suis, croyez-le bien ! Je ne vous imaginais pas exactement comme cela…

Sophie. — Et pourtant si… C’est bien moi ! Excusez ma tenue, madame. (Elle rajuste son peignoir.) Je ne pouvais pas savoir que j’allais rencontrer la maman de Paul !

Henriette. — Mais c’est à moi de m’excuser, mademoiselle ! Je suis quelque peu impolie de venir comme cela sans prévenir, mais depuis le temps que l’on me parle de vous !

Sophie, étonnée. — Ah oui ? On vous parle de moi depuis longtemps ?

Léo. — Oui ! Paul parle souvent de toi à sa maman… Et Marie-Clothilde par-ci, et Marie-Clothilde par-là !

Henriette, agacée par la présence de Léo. — Écoutez, mon petit Léo, vous êtes bien gentil, je vous remercie de nous avoir présentées, mais si vous voulez bien nous laisser, maintenant…

Léo. — Très bien, madame Henriette, je vous laisse. (À Sophie, en essayant de lui faire comprendre.) Marie-Clothilde, je te laisse discuter avec Mme Lefort… qui vient directement de Nice… et qui est déçue de ne pas voir son fils ce soir puisqu’il révise à Ibiza.

Henriette. — Oui ! Sur l’île de la Cité ! Eh bien, elle a compris, mon ami ! Elle n’est pas sotte, tout de même !

Léo. — Cette fois-ci, je vous laisse discuter chiffons entre femmes. Allez, à plus !

Il sort par la porte d’entrée.

Henriette. — Il est gentil, votre petit voisin. Un peu maniéré à mon goût, mais très gentil ! Je peux entrer ?

Sophie. — Mais j’allais vous le proposer, madame Lefort ! (Elle referme la porte d’entrée.)

Henriette. — Cela tombe bien que je fasse enfin votre connaissance, mademoiselle. Je voulais vous parler, ma chère enfant, puisque vous allez bientôt entrer dans la famille.

Sophie. — Ah bon ?

Henriette. — Oui, enfin, c’est une histoire de quelques semaines, quelques mois tout au plus !

Sophie. — Ah bon ?

Henriette. — Écoutez, Marie-Clothilde, cela me fait vraiment plaisir de vous voir enfin.

Sophie. — Et moi donc ! Depuis le temps…

Henriette. — Paul me parle de vous depuis de longs mois maintenant. Vous savez comment il est !

Sophie. — Euh… oui ! Enfin, non ! Pas vraiment, en fait !

Henriette. — Mais si, toujours en train de donner moult détails sur tout ce qu’il fait, sur tout ce qui se passe dans sa vie. Il faut qu’il extériorise ses sentiments, mon fils ! Mais peut-être est-il plus réservé avec vous ?

Sophie. — Oui, oui ! Voilà ! C’est ça ! Avec moi, il doit être plus réservé, oui !

Henriette. — C’est normal ! C’est l’amour ! Eh bien, figurez-vous que c’est à la veillée de Noël qu’il a annoncé à toute la famille réunie qu’il vous voyait régulièrement, qu’il était très épris de vous. Il nous a dit que c’est à la messe un dimanche que vous vous êtes entrevus la première fois.

Sophie. — Ah bon ? Il m’a vue à la messe ?

Henriette. — Mais oui ! À l’église de Saint-Germain-des-Prés… Ou bien Saint-Germain-l’Auxerrois ? Je ne sais plus exactement…

Sophie, mentant sans aucune gêne. — Des Prés… Saint-Germain-des-Prés, sûrement ! Si, si ! Parce que Saint-Germain-l’Auxerrois, je n’y vais plus. Avant c’était bien, mais maintenant c’est pas terrible.

Henriette. — Ah bon ? Comment cela ?

Sophie. — Ah ! ben oui ! Depuis qu’ils ont changé de curé, c’est pas top !

Henriette. — Comment cela, pas top ?

Sophie. — Ah oui ! Le nouveau curé, là ! Il est mou, mou, mou !

Henriette. — Ah bon ? Il est mou ?

Sophie. — Ah oui ! Mou, je vous dis ! Alors qu’à Saint-Germain-des-Prés, il a la patate !

Henriette. — La patate ?

Sophie. — Ah oui ! Il vous met une de ces ambiances du diable !

Henriette, offusquée. — Oh ! mon Dieu ! Marie-Clothilde ! Modérez vos propos !

Sophie. — Excusez-moi, ce n’est pas ce que je voulais dire… En fait, je voulais dire, le curé de Saint-Germain-des-Prés, il est gai !

Henriette. — Il est gay ? Vous voulez dire… (Elle fait un geste suggestif : la paume de la main retournée sur l’épaule.)

Sophie, amusée. — Ah non ! C’est pas ça ! Remarquez, je n’en sais rien ! Je veux dire : il est joyeux !

Henriette. — Ah ! d’accord ! Vous m’avez fait peur ! Enfin, j’ai vraiment compris que Paul et vous c’était sérieux ?

Sophie. — Ben, je pense bien. Depuis juillet, ça commence à faire !

Henriette. — Ah ! ce n’est pas novembre ? Il m’avait dit le troisième dimanche de novembre.

Sophie. — Il vous a dit novembre ? Eh bien, il est gonflé, mon Paulo !

Henriette. — Paulo ? Vous l’appelez Paulo ? Mais c’est ridicule !

Sophie. — Peut-être… mais il aime bien !

Henriette. — Remarquez, quand il était petit, on l’appelait bien Popol !

Sophie. — Ce n’est pas mieux !

Henriette. — Surtout qu’il n’aimait pas du tout ! Si vous voulez le taquiner, appelez-le Popol. Vous verrez, il monte tout de suite sur ses grands chevaux. Alors, pour votre rencontre, vous êtes sûre que c’était en juillet ?

Sophie, faussement affectée. — Écoutez, madame, j’étais là, quand même !

Henriette. — Oui, bien sûr, excusez-moi. Mais alors, pourquoi m’a-t-il parlé du mois de novembre ?

Sophie. — Est-ce que je sais, moi ? Peut-être n’a-t-il pas vu le temps passer. Vous savez ce qu’on dit : quand on aime, on ne compte pas !

Henriette. — Toutefois, il nous a tout raconté. Comment votre main a frôlé la sienne au moment de la tremper dans le bénitier… et là, le coup de foudre !

Sophie, au public. — Un coup de foudre dans un bénitier, c’est pas banal !

Henriette. — Puis il nous a décrit comment chaque dimanche vous vous retrouviez assis à la même place dans cette même église.

Sophie. — Ah ! ben oui… Chaque dimanche ! Tant qu’à faire, hein ! Parce que la messe, on aime ou on n’aime pas. Alors, quand on aime, eh ben, on ne regarde pas. Allez, hop ! tous les dimanches !

Henriette. — Eh oui ! Mon fils ne me cache rien, voyez-vous. Il me dit tout. Je suis bien contente d’apprendre que vous êtes une catholique très pratiquante.

Sophie, à elle-même. — Mais je suis bien contente de l’apprendre aussi !

Henriette. — Vous dites ?

Sophie, se reprenant. — Non, je veux dire… je suis bien contente d’apprendre que vous aussi vous êtes une famille très pratiquante.

Henriette. — Mais si j’en juge par votre tenue, vos relations doivent être plus intimes, si j’ose dire…

Sophie. — Eh oui, forcément, depuis novembre ! (Elle se reprend.) Enfin, je veux dire depuis juillet !

Henriette. — Oh ! mais je ne vous juge pas sévèrement, mademoiselle ! Que voulez-vous, il faut vivre avec son temps ! Ceci dit, en respectant nos traditions !

Sophie, imitant l’air coincé d’Henriette. — Mais tout à fait !

Henriette. — C’est ce qui m’amène, justement. Bon, alors, avec Paul, avez-vous fixé une date pour vos fiançailles ?

Sophie. — Ah ! les fiançailles ! Déjà ? Eh bien, on ne perd pas de temps ! Écoutez, là, vous me prenez un peu de court. Je ne peux pas vous dire.

Henriette. — Oui, vous avez raison. Il ne faut pas précipiter les choses. Il vaut mieux savoir d’abord les résultats des examens de Paul. La médecine n’attend pas !

Sophie, ne comprenant pas, le croyant malade. — Ah oui ! Ses examens ! La santé, c’est important ! Surtout avant le mariage !

Henriette. — J’en ai discuté avec un ami chirurgien et il m’a affirmé qu’il peut s’en sortir.

Sophie. — Ah bon ? C’est si grave que ça, alors ?

Henriette. — Si les examens ne sont pas bons, il en a encore pour un an.

Sophie. — Oh là là ! Et ça dure depuis…

Henriette. — … dix ans bientôt ! Mais j’ai confiance en lui, il va surmonter ces épreuves.

Sophie. — Eh bien, il est courageux, dites-moi !

Henriette. — Oui, mademoiselle. Mon fils, Paul, est très courageux, vous verrez. Son frère Damien, lui, n’a pas tenu trois ans !

Sophie, ne comprenant pas. — Mes condoléances, madame.

Henriette. — N’exagérons rien, mon petit. Son autre frère Gildas a tenu cinq ans, lui !

Sophie, prenant un ton tragique. — Dure épreuve pour la famille ?

Henriette. — Alors vous comprenez que j’aimerais que vous le souteniez, surtout, que vous ne le détourniez pas trop de son but. En clair, que vous le laissiez finir en paix.

Sophie, toujours tragique. — Comptez sur moi. Je le soutiendrai jusqu’au bout, madame.

Henriette. — Encore quelques semaines à tenir, et après tout cela ne sera qu’un mauvais souvenir. Vous pourrez épouser un jeune chirurgien !

Sophie, très théâtrale. — Sûrement pas, madame ! Paul restera à jamais dans ma mémoire comme le seul, l’unique amour ! Et ce n’est pas en épousant un jeune chirurgien que je me consolerai de son départ !

Henriette. — Mais que me racontez-vous là ? Ce sera Paul, le chirurgien, d’ici quelques semaines !

Sophie. — Ah bon ! Lui aussi ? Je ne comprends plus rien ! (Au public.) J’ai dû louper un épisode, là !

Henriette. — Dès qu’il est reçu à ses examens de dernière année de médecine, vous allez pouvoir convoler en justes noces avec mon petit Paul. Dix ans que j’attends ce moment, mademoiselle !

Sophie. — Ah oui ! D’accord ! Il va être chirurgien ! Moi, je croyais qu’il était malade !

Henriette. — Malade ? Vous rigolez ! Paul a une santé de fer ! Cela fait dix ans qu’il se bat pour ses études qui sont difficiles, vous pouvez me croire. Dix ans qu’avec son père on dépense sans compter pour qu’il réussisse. Comme nous habitons Nice, nous lui avons loué cet appartement à Paris. Nous subvenons à ses besoins financiers pour qu’il n’ait pas de soucis matériels. Comme cela, il reste concentré sur ses études.

On sonne. Henriette va ouvrir. Un homme sur le palier. C’est Rico. Il a assez mauvais genre, il parle avec la gouaille des bas quartiers.

Rico. — Bonjour, m’dame ! Mam’zelle !

Henriette. — Monsieur, bonjour !

Rico. — C’est bien ici qu’y crèche, le Chirurgien ?

Henriette. — Vous cherchez Paul ?

Rico. — Oui, c’est ça !

Henriette. — Mais Paul n’est pas encore chirurgien, vous savez ?

Rico. — Oui ! J’me comprends, ma p’tite dame ! Alors, je peux le voir ?

Henriette. — Mais qui êtes-vous ?

Rico. — Je m’appelle Rico Domiguès, je suis le patron de l’Hôpital.

Henriette. — De l’hôpital ? Vous manquez de chance, mon brave monsieur, Paul n’est pas là ce soir.

Rico. — Il est déjà parti ? Ça, c’est la poisse ! Il faut que je lui cause, c’est urgent !

Henriette. — Si c’est urgent, ce soir il est à Ibiza, vous pouvez aller le rejoindre là-bas.

Rico. — Vous en avez de bonnes, vous ! Je vais tout de même pas me taper le voyage aller-retour à Ibiza ! En plus, on ouvre à 22 heures !

Henriette. — C’est l’affaire de dix minutes tout au plus !

Rico. — Ibiza, dix minutes ? Eh, vous avez fumé la moquette ou quoi ? Il y a plus de mille bornes pour aller à Ibiza !

Henriette. — Ah ! mais non ! Je comprends la confusion ! Il s’agit de l’Ibiza-bar, derrière Notre-Dame !

Rico. — Mais qu’est-ce qu’il fout là-bas ? Je croyais qu’y d’vait partir tout le week-end !

Henriette. — Tout le week-end ? Sûrement pas ! Il est là-bas pour préparer un examen.

Rico, essayant de comprendre. — Une audition, vous voulez dire !

Henriette. — Audition, examen, révision, appelez cela comme il vous plaira !

Rico. — Ah ! l’enfoiré ! Il va voir la concurrence ! Faut pas qu’y s’tire de chez moi ! Je suis prêt à lui doubler ses cachets s’il reste ! L’Hôpital sans le Chirurgien, c’est plus la peine, j’ai plus qu’à fermer la boutique !

Henriette. — Vous exagérez peut-être un petit peu…

Rico. — C’est à cause de Wendy, c’est ça ? J’ai pas cru qu’il allait se tirer pour ça !

Henriette. — Qui est cette Wendy ?

Rico. — C’est une fille qui travaille chez moi. Une entraîneu… (Il se reprend.) Enfin… une hôtesse d’accueil, quoi !

Henriette. — Et alors ? Que s’est-il passé ?

Rico. — Elle allait accompagner un client jusqu’à sa chambre et le Chirurgien, enfin Paul, lui a carrément éclaté le foie !

Henriette. — Il manque d’expérience. Une opération du foie c’est délicat, je suppose. Il faut lui pardonner !

Rico. — Ouais, j’suis prêt à tout pardonner s’il revient. Si vous le voyez avant moi, dites-lui que j’ai besoin de lui à l’Hôpital. C’est pour une urgence !

Henriette. — Si c’est pour une urgence, je n’y manquerai pas !

Rico. — Alors c’est où, là, l’Ibiza-bar ?

Henriette. — Marie-Clothilde, vous connaissez l’adresse...

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