Appel d’air

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Un meurtre conduit Julia, jeune rebelle tout juste majeure, en prison ; mais ni les murs gris et froids, ni la présence insidieuse de sa codétenue Karine ne suffisent à estomper l’empreinte d’une atmosphère familiale bourgeoise et suffocante, où le silence du père est comblé en fanfare par les déferlements d’amour et d’attentions d’une mère ivrogne. Au fil des jours et des visites maternelles, les mots se délient, un à un, lentement et en puissance, et arrachent douloureusement les masques que le temps a écorchés.

Nous sommes dans la cellule de Julia Talos fille de Jeanne Talos. Les murs côté cour et côté jardin montent jusqu'aux cintres. Le fond est ouvert sur une chambre qui représente l'espace perdu, le passé de Julia.

La cellule de Julia est séparée de sa chambre par un rideau transparent. De ce fait, Julia pourra voir son passé, mais ne pourra y accéder uniquement lorsque le rideau se lèvera.

Le mur côté cour "nid d'abeille" est mitoyen avec une autre cellule dans laquelle se trouve Karine Touéris. La lumière se fera dans la cellule de Karine selon ses interventions.

L'action sera définie par une lumière froide pour le présent, par une lumière chaude pour le passé.

Jeanne fera ses entrées et sorties, selon le temps de l'action, soit directement par la chambre, soit par la porte de la cellule côté jardin.

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La silhouette de Julia, allongée sur sa couchette, nous tourne le dos. Jeanne, bord scène, tient dans ses bras un couffin. Lumière chaude. Une farandole de personnages s'anime sur les murs de la cellule.

JEANNE émue, fière - Elle s'appelle Julia. C’est ma fille ! Elle vient de naître, elle est belle comme un cœur. Elle pèse 3 kg 450 ! Et elle mesure 10 cm de plus que la normale ! La normale, ce sont les autres bébés. Elle est la plus belle de toutes ! C'est la sage-femme qui l'a dit. C'est ma toute petite à moi. A moi toute seule. Ce que je suis heureuse, heureuse ! Je suis maman ! Je suis maman !

Elle baisse la tête.

NOIR

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Durant le noir on entend des crissements de pneus, des coups de revolver, des sirènes de police. Lumière froide dans la cellule. Julia se retourne lentement, elle tient dans ses mains une peluche. (Un kangourou).

JULIA - Maman ! Maman !

Jeanne est dans la chambre, assise sur le lit de Julia, l'esprit vagabond. La voix de sa fille la sort de sa torpeur.

JEANNE - Oui mon ange ?

Elle se dresse et rejoint Julia dans la cellule. Elle est en chemisier et porte des mules. Dès qu'elle pénètre dans la cellule, La farandole s'anime.

JEANNE - Tu as fait un cauchemar ?

JULIA Apeurée - oui.

Elle la prend dans ses bras.

JEANNE - Ce n'est rien mon cœur. Calme-toi, calme-toi. 

Julia s'agrippe vivement à sa mère qui lui caresse la tête.

  • C'est fini, c'est fini. Tu es en nage. Calme-toi ma chérie.

JULIA - J'ai peur dans le noir maman.

JEANNE - Mais tu n'es pas dans le noir mon ange, la porte est entrouverte, et puis regarde, il y a tous tes copains au plafond.

Julia lève les yeux vers le plafond, observe la farandole un long moment et se love profondément dans les bras de sa maman.

JULIA - J'ai froid.

JEANNE - Toi, te me couves quelque chose. 

JULIA - Où il est papa ?

JEANNE - Il dort.

JULIA - Il ne m'a pas entendu ?

JEANNE - Il est très fatigué. Il a beaucoup de travail en ce moment.

JULIA - Et son travail, il sait qu'il a une fille ?

JEANNE - ... Oui. Il faut te rendormir maintenant. Demain nous irons au restaurant chinois, tu sais, celui qui t'offre toujours des sucreries.

JULIA - Je pourrais prendre des crevettes à la vapeur ?

JEANNE - Tu pourras prendre tout ce que tu veux mon ange.

Elle lui dépose un tendre baiser, se lève et va pour sortir par la chambre quand ...

JULIA - Maman !

JEANNE - Oui ?

JULIA - Laisse la porte ouverte.

JEANNE - D’accord ma chérie. Dors maintenant, dors...

Elle sort par la chambre. Julia reprend sa « position de nuit » sur le côté, dos public. 

Noir dans la chambre.

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Lumière bleue

Julia se tourne, se lève et shoote dans le sol.

Lumière cellule Karine

JULIA - Putain de bestioles ! Vous ne dormez donc jamais.

KARINE - Ferme là JULIA !

JULIA - Va te faire foutre !

Elle se met à genoux et dirige les quelques cafards vers un trou percé dans le mur mitoyen.

- Allez voir par là, allez, allez ... Elle va être contente de vous voir.

Elle colle l'oreille contre le mur. Soudainement, un cri strident retentit de la cellule voisine.

- Qu'est-ce qu'il y a ?

KARINE - Putain de bestioles ! Je vais vous écraser la carcasse.

JULIA satisfaite - T'as de la visite on dirait ? 

KARINE - Occupe-toi de ton cul !

JULIA - Il va très bien mon cul, il est même, très en forme. Regarde-le mieux la prochaine fois sous les douches, tu ne seras pas déçue.

KARINE - Tu me cherches là ?

Un court silence

 - Tu me laisseras te toucher ?

JULIA - Ça dépend.

KARINE - De quoi ? Tu veux quoi ? Des clopes ? Des revues ? Du shit ? Julia ? Dis-moi ce que tu veux. Je peux tout obtenir. Ici, tout le monde m’obéit au doigt et à l’oeil.

JULIA - Elle est partie il y a une demi-heure, je lui laisserai un message si vous voulez. C'est de la part de qui ?

KARINE - Arrête de faire ta connasse. Dis, tu me laisseras te toucher ?

JULIA - Je ne suis pas une gouine moi !

KARINE - Moi non plus à l'extérieur, mais ici on apprend à faire avec. Ce n'est pas si mauvais, ça a même ses bons côtés. Personne ne vient t'envahir, tu restes comme au premier jour.

JULIA - Il est loin le premier jour ... Si loin que je me demande si je suis encore une femme.

KARINE - Laisse-moi te le montrer que t'es encore une femme.

JULIA - C'est comme si je ne ressentais plus rien. Un vide. Plutôt, un creux, c'est ça, un creux. Comme si on avait gratté la vie à l'intérieur. Il n'y a plus que ma voix qui résonne à l'infini. Tu crois que si on ne se sert pas de la matrice elle se pourrit ? Je suis sûre qu'elle se dessèche, comme une vieille pomme. Y-a plus qu'à laisser entrer les vers.

KARINE - Si c'est que ça, je suis équipée. Une vraie VRP du gode. Toutes les tailles, toutes les matières, avec ou sans piles. Je peux te faire découvrir la Voie lactée, J'ai des références. J'ai envoyé sur orbite plusieurs de mes consœurs. Une vraie pro de la fosse !

JULIA triste - J'aime ta façon de parler. Ça donne envie...

KARINE - Je parle comme je parle ! Je n'ai pas eu la chance d'apprendre les bonnes manières à la maternelle moi ! Petite bourge !

JULIA - La bourge t'emmerde ! Connasse !

KARINE - Allez, laisse-moi te toucher. Je meurs d'envie de te faire connaître le grand bonheur. 

JULIA - Le grand bonheur...

KARINE - Avec moi t'auras l'impression d'entrer dans un nuage, tu flotteras entre deux airs, à l'abandon dans un coin du ciel.

JULIA - Tu vois quand tu veux, tu y mets les formes. 

KARINE - J'ai une grosse motivation. Alors ?

JULIA - On verra...

KARINE - Quand ?

JULIA - Je te ferai signe.

Karine se dirige vers la chambre, se heurte au voile, cherche à distinguer au-dedans, mais celle-ci demeure dans la pénombre.

KARINE - Tu ne m'as jamais raconté comment c'était chez toi.

JULIA - Qu'est-ce que ça peut te foutre ? 

KARINE - Pour savoir, comme ça.

JULIA - Des murs, un toit, un couple qui passe la moitié de son temps à s'engueuler et l'autre à s'ignorer.

KARINE - Tes parents sont le reflet de ton futur, à toi de briser la glace ! Je connais le chapitre sur tes parents. Parle-moi de ta chambre ? Elle était comment ta chambre ?

JULIA - Une chambre.

KARINE - Toutes les chambres ne se ressemblent pas.

JULIA - T'avais pas de chambre chez toi ?

KARINE - Je ne sais pas si le mot chambre convient vu qu'on était six dedans.

JULIA - J'avais oublié que je parlais avec une fille de famille nombreuse.

KARINE - Eh oui ma grande. Mais, ça a ses avantages les familles nombreuses, ça tient chaud en hiver.

JULIA - Moi je me suis toujours sentie seule dans ma chambre.

KARINE - Elle était comment ta chambre ? Y avait du papier peint au mur ? Il était de quelle couleur ?

Au fur et à mesure que Julia énoncera les objets ornant sa chambre, ceux-ci s'éclaireront.

JULIA - Je m'en souviens plus, je ne l’aimais pas. Je l’avais recouvert de posters.

KARINE - T'avais des posters aux murs ?

JULIA - Ouais.

KARINE - C'est chouette les posters.

JULIA - Ca camoufle.

KARINE - C'est mieux que des murs blancs. Et une caisse pour ranger tes jouets, t'en avais une ?

JULIA - Ouais, en bois avec des fleurs dessus.

La caisse prend la lumière

KARINE - Et dedans ?

Un temps

JULIA - des peluches.

KARINE - T'avais des peluches ? Des vraies peluches ?

JULIA - T'as déjà vu des fausses peluches toi ?

KARINE -Parle-moi de tes peluches.

JULIA -Qu'est-ce que tu veux que je te raconte sur des peluches ?

KARINE -C'était quoi comme peluches ?

JULIA - Un gros ours, un petit âne et un dauphin.

L'ours, l'âne et le dauphin apparaissent en lumière

KARINE - Je les vois aussi !

JULIA - Quoi ?

KARINE - Rien continue ! Continue !

JULIA - Quoi continue ? Qu'est-ce que tu veux que je te dise encore ?

pastedGraphic_1.pngKARINE -Tout ! Je veux tout savoir ! Tu leur avais donné un nom à tes peluches ?

JULIA - Non... sauf pour une, Skippy. Rien d'original, c'est un kangourou.

Karine tente d'apercevoir ledit kangourou. Sans succès.

KARINE - Un kangourou ?

JULIA - Avec une poche. Une grande poche.

KARINE - Je ne le vois pas celui-là.

JULIA - Elle a dû le garder. C'est celui avec lequel je m'endormais. Temps T'as jamais eu de peluche ?

KARINE Triste - Si. Moi aussi j'en ai eu une.

JULIA - Bah alors ?

KARINE - C'est pas pareil.

JULIA - Pourquoi c'est pas pareil ? C'était quoi comme peluche ?

KARINE - Un ours.

JULIA - C'est bien les ours.

KARINE - Oui, sauf que celui-ci il avait déjà traîné dans d’autres bras.

JULIA - Comment tu le sais ?

KARINE - Il avait une...

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