Prologue

 

A l’avant-scène, un passage délimité par un tulle et le bord de la scène.

Sur le tulle, des tableaux très laids.

Nous sommes dans une belle maison de vacances.

Xavier, pull sur les épaules, entre.

Il est suivi par Martine, Véronique, Luc, Mireille et Alain qui filme avec son caméscope.

Ils découvrent la maison.

Chacun y va de son commentaire.

Pendant toute la scène, ils déambulent, se croisent, entrent et sortent. Ils sont parfois « in », parfois « off ».

Xavier - Top ! Porte à porte de Paris à ici, on a mis trois heures et vingt-deux minutes ! Pas mal, non ?

Mireille - Qu’est-ce que c’est beau !

Véronique - C’est immense !

Xavier - Vous allez voir, c’est un vrai paradis.

Mireille - Où est la cuisine ?

Martine - Sur la gauche, là…

Alain (filmant les tableaux au mur) - Dis donc, il aime le mauvais goût le proprio.

Xavier - C’est sa femme qui peint.

Alain (filmant un autoportrait) - Celui-là, c’est pire que tout.

Xavier - C’est elle. C’est la propriétaire. Un autoportrait.

Mireille (qui revient) - J’ai pas trouvé la cuisine !

Martine - Si. Sur la gauche…

Mireille - Il n’y a pas de cuisine sur la gauche ! Où sont les enfants ?

Alain - Dehors, avec Carmen.

Xavier - Super ta petite caméra ! C’est du numérique ?

Alain - Oui, je m’en sers pour mes expos.

Véronique - On est loin de la plage ?

Xavier - A une minute trente par le petit chemin.

Véronique - Ah oui ! C’est tout près, alors.

Xavier - Une minute trente !… Ben, venez voir la vue !

Tout le monde se retrouve face au public, face à la mer.

Martine - Pour les chambres, nous on a déjà nos habitudes, chaque année on prend la même…

Mireille - Oui, oui… Tu me montreras la cuisine.

Xavier (sur un ton de conférencier) - Alors, vous y êtes ? Ici, la maison est située au fond d’une crique, délimitée par des rochers qui ont tous une forme particulière. Il faut les connaître. En face, vous avez la Tortue… Tu filmes, Alain ?

Alain - Oui !

Xavier - C’est pas la Tortue par là…

Alain - Elle est où ?

Xavier - Juste là !… C’est bon ?

Alain - Euh… Je crois, oui.

Xavier - A côté, c’est le Béret !… D’accord ?

Tout le monde acquiesce sans vraiment voir.

Luc regarde ailleurs.

Xavier s’en aperçoit.

Xavier - Luc ?

Luc - Oui ?

Xavier - Vous connaissez le coin ?

Luc - Non.

Xavier - Non, parce que je vois que vous regardez ailleurs… Le Béret ! La Tortue ! La Limace !

Mireille - Et la cuisine ?

Le tulle se lève doucement.

Derrière, on découvre le décor d’une chambre à coucher.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- 1 -

Chambre A. (Luc et Véronique)

 

La chambre est plutôt spartiate. Un lit, une petite fenêtre à droite.

Luc - J’ai vérifié : des trois chambres, on a la plus petite. Tu trouves ça normal, toi ?

Véronique - Qu’est-ce que ça peut faire ? On sera tout le temps dehors.

Luc - Tiens, ils ont pris cette chambre Alain et Mireille ? Elle est mieux que la nôtre, non ?

Véronique - Pourquoi ?

Luc - Regarde, elle est mieux orientée. Elle doit être plus claire.

Véronique - Tu crois ?… Non, c’est pareil.

Luc - On peut toujours leur demander de changer.

Véronique - Pour eux, c’est pratique : ça communique avec la chambre des enfants.

Luc - Ah non ! J’ai visité : les enfants, ils sont en dessous avec Carmen. Je vais lui demander.

Véronique - Non, Luc, arrête.

Luc - Si ça se trouve, ça l’arrange de changer.

Véronique - Moi je m’en fous, je reste là.

Luc - Eh ben, tu seras dans la chambre avec Alain et Mireille. (Il appelle.) Alain !

Véronique - Luc !

Luc (appelant) - Alain !… Vous êtes bien installés ?… Vous êtes bien installés ?… Non, parce que ici la vue est superbe si vous voulez.

Véronique - Qu’est-ce qu’il dit ?

Luc - Il n’entend pas, je crois.

Véronique - Laisse tomber, on est très bien ici.

Luc - Et l’autre couple ? Comment il s’appelle, lui, déjà ?

Véronique - Le vétérinaire ? Xavier.

Luc - Ils ont pris la plus belle, juste au-dessus.

Véronique - C’est normal, il connaît la maison, il la loue tous les ans.

Luc - C’est pas une raison pour prendre la meilleure chambre. On paye tous le même prix. Je vais leur demander de changer.

Véronique - Luc, je t’en prie… On est là pour une semaine, commence pas à faire des histoires. Regarde, la vue est superbe… Tu crois que je peux bronzer seins nus ?

Luc regarde autour de lui.

Luc - C’est un trou à rats ! On a pris le trou à rats !

Véronique - C’est quoi le nom des rochers ?

Luc - T’étais pas à la conférence ? La Tortue, le Béret du berger, la Limace…

Véronique - Elle est où, la Tortue ?

Luc - Ben, là, un peu sur la gauche.

Véronique - Je ne vois pas de Tortue.

Luc - Ben si, Véronique… Tu vois le rocher complètement à gauche, là ?

Véronique - Ouais… Quel rocher ?

Luc - Mais… Tu regardes où ?

Véronique - Là.

Luc - Non, mais là c’est le Béret du berger.

Véronique - Je ne vois pas de béret. Il n’y a pas de pompon.

Luc - C’est pas un béret de marin, c’est un béret de berger. Il n’y a pas de pompon sur les bérets de berger.

Véronique - Tu les connaissais, toi, ce Xavier et sa femme ?

Luc - Non, c’est des copains d’Alain, ils ont sympathisé quand il a piqué leur chien. Lui, c’est un bavard, faut s’en méfier.

Véronique - Tu crois que je peux bronzer seins nus ? Ça va pas les déranger ?

Luc - Pas le vétérinaire… il en a vu d’autres.

Pendant les dernières répliques, Luc et Véronique s’en vont.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- 2 -

Chambre B. (Alain et Mireille)

 

Alain et Mireille entrent.

La chambre est un peu plus spacieuse.

La lumière nous fait découvrir un nouvel élément de décor : une table avec deux chaises.

Alain va à la fenêtre. Mireille range les affaires.

Alain - Ah oui ! Ça y est, il a raison, Xavier !

Mireille - T’as trouvé ?

Alain - Je crois. Viens voir. (Mireille s’approche de la fenêtre.) Tu vois le gros rocher au bout de la crique ?

Mireille - Non…

Alain - Eh ben, c’est le béret… Regarde, on voit le pompon.

Mireille - Je vois rien ! J’ai déjà pas trouvé la cuisine…

Alain - Et la tortue ? Tu la vois la tortue ? Bon, c’est pas une tortue figurative. Ça me fait penser à ces tortues peintes par Naxos…

Mireille - Qui ?

Alain - Naxos. Ce nain grec qui peignait des tortues avec ses cheveux… De l’art brut ! Totalement inclassable.

Mireille - Ah oui !…

Alain - Quand tu penses que maintenant il vend des ballons gonflés à l’hélium à Chypre, sur le port, en sandalettes, ce génie… C’est du Naxos ! C’est du Naxos ces rochers. (Soudain il crie.) Hein ?

Mireille - Pourquoi tu cries ?

Alain - C’est Luc qui m’appelle.

Mireille - Qu’est-ce qu’il veut ?

Alain - J’ai l’impression qu’il veut changer de chambre…

Mireille - Ah non ! Ils ont pris le trou à rats !

Alain - Qu’est-ce qu’on fait ?

Mireille - On reste là !

Alain - Qu’est-ce que je dis ?

Mireille - Dis-lui que t’entends pas.

Alain fait signe qu’il n’entend pas.

Alain - Quelle lumière ! Que c’est beau cette lumière !

Mireille - Dis-moi, pour les courses, il faut tout de suite faire une caisse commune.

Alain - Si tu veux, ma chérie.

Mireille - Le paquet de Pim’s framboise qu’on a acheté sur l’autoroute, il est où ?

Alain - Je l’ai laissé dans la cuisine, je crois. Xavier en voulait.

Mireille - Ah ! ben la caisse commune a commencé alors. Tu te rappelles le prix ?

Alain - Deux quatre-vingt.

Mireille - Bon, nous on a déjà mis deux euros quatre-vingt dans la caisse commune, disons trois.

Alain - Pour que ce soit équitable, il faudrait que Luc en mange aussi des Pim’s.

Mireille - Si tu veux, je commence la caisse commune plus tard, mais je retire tout de suite trois euros de notre part de loyer.

Alain - Complique pas les choses, Mireille. La location de la maison c’est un compte à part. Commence la caisse commune tout de suite, je m’arrangerai personnellement avec Luc pour les Pim’s.

Mireille - Et Xavier ?… Il a mangé sa part ?

Alain - Xavier, il est pas à un Pim’s près. Ça gagne bien sa vie, un vétérinaire. Quatre-vingt-dix euros pour piquer un chien !

Mireille - D’autant que Pipo, il était pas difficile. Il se serait contenté d’une piqûre à trente. Il serait mort pareil.

Mireille et Alain s’en vont.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- 3 -

Chambre C. (Xavier et Martine)

 

Xavier et Martine entrent.

C’est la plus belle chambre : grande, spacieuse, une belle lumière venant du balcon inonde la pièce.

Xavier - Moi, c’est quand je vois la Tortue que je me sens vraiment en vacances. La Tortue, le Béret du berger et la Limace. Tu les vois ?

Martine - Arrête avec ces rochers, ça fait dix ans qu’on vient ici, j’ai jamais rien vu.

Xavier - Tu vois toujours pas une tortue, là ?

Martine - Non, il y a que toi qui vois des tortues. (Elle sort une enveloppe de la valise.) Le liquide, où je le cache ?

Xavier - Ah ! alors, attends, ça c’est important.

Il sort. Puis revient.

Martine - Qu’est-ce que tu fais ?

Xavier - Je me mets dans la peau d’un cambrioleur… « Ça sent le pognon dans cette chambre. (Il se balade dans la pièce et s’arrête à la fenêtre.) Oh ! dis donc ! On la voit vachement bien la Tortue d’ici. » (A Martine.) C’est un cambrioleur du coin…

Martine - Bon, tu te dépêches ?

Xavier - Alors, le placard, pas la peine… sous le matelas, ridicule… table de nuit, on évite… le lustre… (Long coup d’œil d’évaluation au plafond.)… y en a pas…

Martine - Dans la salle de bains ?

Xavier lève les yeux au ciel. Il indique la valise.

Xavier - Là !

Martine - Dans la valise ?

Xavier prend un paquet de cartes routières.

Xavier - Non ! Dans les cartes routières. Billet par billet, on les glisse dans la tranche.

Martine - Tu crois ? C’est compliqué, on risque rien ici.

Xavier - On n’est jamais trop prudent. On croit qu’on connaît les gens et puis… (Il glisse une ou deux liasses.) Regarde ! Tu vois qu’il y a des billets là-dedans ?

Martine - Et si on a besoin des cartes ?

Xavier - Pas besoin de cartes, je connais le coin par cœur.

Martine - Pourquoi on les a emportées, alors ?

Xavier - Pour cacher les billets !

Martine - Il passe le portable cette année ?

Xavier - Non. (Il se balade dans la pièce.) Non, là non plus… (Il est accroupi.) Toujours pas… (A plat ventre.) Ah si !… Je sais pas où ils l’ont installé, le relais… Non, ça ne tient pas.

Martine - Essaye en hauteur.

Xavier - Non, rien.

Martine - Monte sur une chaise.

Xavier - Toujours rien. (Il tend le bras.) Ah ! là j’ai une brique… Deux sur la pointe des pieds. C’est-à-dire que si je reste comme ça, on pourra décrocher mais on saura pas qui c’est.

Martine - C’est pratique !

Xavier - Je ne comprends pas. Dans la chambre d’en dessous, ça passe.

Martine - Dans le trou à rats ?… Y a qui ?

Xavier - Les amis d’Alain. Le petit malin avec sa copine.

Martine - Qu’est-ce qu’ils font ces gens-là dans la vie ?

Xavier - Alain m’a dit qu’elle était assistante dentaire et lui on ne sait pas trop. C’est un intello, je crois.

Martine - Ce qui serait bien c’est qu’on leur laisse notre portable… et ils nous préviennent quand il y a un coup de fil.

Xavier - C’est un...

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