De la fuite dans les idées

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François est un auteur à succès mais, pour une fois, il est en panne d’imagination. Pressé par son éditeur, il décide de s’accorder une journée consacrée à l’écriture, aidé par une secrétaire intérimaire. Sa petite amie, Nelly, prévoit d’aller chez sa mère. Toutes les conditions sont réunies pour profiter d’un environnement calme et studieux, propice à la création.
À moins que… son meilleur ami, qui a mal interprété la « panne » en question, ne lui envoie une call-girl, que François confond avec la secrétaire. À moins que… le voisin ne lui envoie un plombier, pour régler une fuite d’eau, qui risque bien de semer la zizanie à l’étage du dessous. Et la journée est loin d’être finie ! Les fâcheux se suivent les uns après les autres et la sonnette n’a de cesse de retentir !
Bref, une journée de folie qui aura au moins le mérite de lui donner l’idée de sa prochaine pièce !
Il ne manque plus que le coup de théâtre final… qui va arriver bien malgré lui.

Acte I

François est assis devant son bureau. Il tape sur le clavier de son ordinateur, se relit en marmonnant.

François. — Nul ! C’est complètement nul ! (Il prend une feuille de papier, griffonne, raye, fait une boule de sa feuille, la jette dans la corbeille, recommence, soupire, refait rageusement une boule.) Et zut ! C’est pas possible ! Mais qu’est-ce qui m’arrive, bon sang ?

Nelly arrive, une tasse à la main. Elle parle à voix basse.

Nelly. — Je peux ? J’ai pensé qu’une tasse de thé…

François. — Tu sais bien que j’en bois jamais.

Nelly. — Oui, mais comme tu prends déjà beaucoup de café…

François. — Écoute, c’est gentil mais j’aimerais surtout être tranquille. J’ai besoin de concentration.

Nelly. — Oui, oui, je sais. (Elle pose la tasse.) Je te la laisse ici, au cas où… Alors ? Ça avance ? (Regard noir de François.) Oh là là ! C’est pas la peine de me regarder comme ça ! Ce que tu peux être de mauvaise humeur quand tu écris !

Le téléphone sonne.

François. — Je te parie que c’est encore lui !

Nelly. — Qui ça ?

François. — L’éditeur ! Il n’arrête pas, il me poursuit, c’est du harcèlement moral !

Nelly. — Réponds, c’est peut-être quelqu’un d’autre…

Il soupire, décroche, met la main sur le combiné.

François. — Qu’est-ce que je t’avais dit ! C’est lui !

Il appuie sur le haut-parleur et on entend l’éditeur. Il lui répond tout en faisant les cent pas dans la pièce.

Éditeur. — Allô ! Allô ! François ?

François. — Allô, oui, bonj…

Éditeur. — Alors ? Vous en êtes où ?

François. — Eh bien, ça avance… doucement.

Éditeur. — Doucement ! Il va falloir passer à la vitesse supérieure, enfin ! La sortie des nouveautés est prévue dans un mois !

François. — Oui, je sais, mais…

Éditeur. — Je vous rappelle que vous avez intérêt à sortir une pièce chaque année. On est vite oublié, vous savez, et j’en connais qui sont prêts à tout pour être dans le trio de tête. Bref, elle est bientôt finie, j’espère !

François. — Pratiquement. Quelques détails encore à revoir, c’est tout.

Éditeur. — Il me la faut pour après-demain.

François. — Après-demain ? C’est un peu juste…

Éditeur.  Vous rigolez ou quoi ? On a fait une pub pas possible pour annoncer votre prochaine création ! J’ai été assez patient, il me semble ! Enfin, elle est pratiquement terminée, oui ou non ?

François. — Euh… oui…

Éditeur. — Alors je ne vois pas où est le problème.

François. — C’est que je vais être très pris, ces jours-ci, et…

Éditeur.  Il faut la vérifier, signer le bon à tirer et la faire passer à l’imprimeur. Elle est là, votre priorité !

François. — Oui, je sais…

Éditeur. — Bon… on est lundi, disons… allez, vendredi, dernier délai !

François. — Je vais faire mon possible.

Éditeur. — Ça vaudrait mieux, oui. Je compte sur vous !

François. — D’accord.

Éditeur. — Ne me décevez pas !

Il raccroche. Pendant ce temps, Nelly a vu les boules de papier dans la corbeille et regardé l’ordinateur.

François. — Eh ben, je suis dans de beaux draps, tiens !

Nelly, lui montrant l’ordinateur puis la corbeille. — Tu… enfin… tu n’as pas…

François. — Non, je n’ai pas ! Pas une ligne ! J’ai la tête complètement vide, mon cerveau se balade à l’intérieur de mon crâne !

Nelly. — C’est pas possible ! Qu’est-ce qui t’arrive ?

François. — J’ai même pas la moindre idée du début d’une histoire, si tu veux savoir.

Nelly. — Mais pourtant tu as toujours eu de l’imagination ! Tu vas bien finir par l’écrire, cette pièce !

François. — Tu as entendu : il la veut pour vendredi ! Dans trois jours !

Nelly.  Tu peux le faire si tu veux.

François. — Mais c’est pas une question de volonté ! Tu comprends pas que je suis un minable. Je suis fini, je te dis !

Nelly. — Tu dis n’importe quoi. Je suis certaine que…

François. — Arrête ! Tu es gentille mais là tu rêves, je t’assure.

Nelly. — D’abord il faut que tu te calmes et que tu te concentres.

François. — Me concentrer ! Faudrait pouvoir, avec l’éditeur qui passe son temps à m’appeler, toi qui n’arrêtes pas de débarquer pour me demander où j’en suis, à quelle heure je compte venir manger ou si je veux une tasse de ci ou de ça.

Nelly. — Tu es en train de me dire que c’est de ma faute ?

François. — Non, enfin, un peu, en partie…

Nelly. — Alors ça, c’est la meilleure ! Excuse-moi de penser à ce qui pourrait te faire plaisir de temps en temps. Si j’avais su que tu n’avais pas écrit une seule ligne, je me serais pas privée de télé, de musique, de recevoir des copines, de…

François. — Je suis désolé. Pardon. J’ai les nerfs à vif, je suis complètement déboussolé… (Il la prend dans ses bras.)

Nelly. — Tu es en plein stress. Tu devrais te reposer, reprendre tes esprits. Va t’allonger un moment.

François. — Je vais plutôt prendre une douche pour évacuer la tension.

Il part dans la salle de bains. On sonne. Nelly va ouvrir. C’est Noël.

Noël. — Alors, il est où mon auteur préféré ?

Nelly. — Il est sous la douche.

Noël. — Ça va, toi ?

Nelly. — Oui… enfin, pas très fort.

Noël. — Qu’est-ce qui se passe ?

Nelly. — Rien… ou plutôt si… En fait, François n’est pas très en forme depuis quelque temps.

Noël. — C’est grave ?

Nelly. — Non, je pense pas. C’est plutôt un mauvais passage…

Noël. — Je peux faire quelque chose ?

Nelly. — Je crois pas, non. Dès que je veux en discuter avec lui, il se braque, alors…

Noël. — C’est quoi le problème ?

Nelly. — Comment te dire ça… Voilà, il n’y arrive plus. Avant, ça venait tout seul, il ne s’arrêtait que lorsqu’il était arrivé au bout. Il était plein de fougue, plein d’ardeur… mais alors là…

Noël. — Non ?! Tu veux dire qu’il peut plus…

Nelly. — Ben oui. Il a beau essayer, rien ne vient.

Noël. — Rien rien, ou rien mais un petit peu quand même ?

Nelly. — Quand je te dis rien, c’est rien. Pas le moindre petit début de quelque chose. Il commence à peine que déjà tout retombe.

Noël. — Oh ! le pauvre !

Nelly. — Moi j’essaie de l’aider à mon niveau, mais ou j’en fais trop ou pas assez, c’est pas facile…

Noël. — C’est sûr, c’est pas évident, dis donc…

Nelly. — Je sais plus comment l’aider.

Noël. — C’est sûrement une sorte de blocage psychologique.

Nelly. — C’est possible, mais moi je pense quand même qu’il devrait se faire violence, se forcer un peu, tu vois, même si le résultat n’est pas à la hauteur de ce qu’il fait d’habitude.

Noël. — Se forcer ? T’en as de bonnes, toi ! C’est surtout dans la tête que ça se passe, ces trucs-là. S’il est en panne, c’est pas en voulant y arriver à tout prix que ça va le faire !

Nelly. — Alors j’ai pas la solution. De plus, il dit qu’il est un minable, qu’il est fini… Je peux pas avoir de la volonté pour deux.

Noël. — Je peux te donner un conseil ?

Nelly. — Dis toujours…

Noël. — Pars quelques jours. Il aura moins la pression, tu seras pas là pour lui rappeler son échec.

Nelly. — Moi, je lui rappelle son échec ? Non mais attends, tu te rends compte de ce que tu me dis ?

Noël. — C’est pas contre toi… S’il se retrouve tout seul, il ne se sentira pas jugé, parce tu sais, il suffit d’un soupir, d’un haussement d’épaules ou d’un regard apitoyé de ta part pour qu’il se sente mal. Tu comprends ?

Nelly. — Oui, je vois ce que tu veux dire, mais le laisser seul…

Noël. — Je vais essayer d’aborder le sujet avec lui par la bande, euh… enfin je veux dire… pas directement, tu vois. Il va peut-être se confier à moi…

Nelly. — Si c’est le cas, surtout ne lui dis pas que je t’en ai parlé !

Noël. — Évidemment. Je suis un peu balourd, mais pas à ce point.

Nelly. — Je sais, c’est juste que je ne voudrais pas qu’en plus il se sente trahi.

Noël. — T’inquiète pas. De ton côté, pense à ce que je t’ai dit.

Nelly. — Partir un jour ou deux… Oui, tu as sans doute raison. Ah ! je crois qu’il a terminé ! Je vous laisse. (Elle sort.)

François sort de la salle de bains en peignoir, serviette autour du cou.

François. — Ah ! tu es là ? Salut.

Noël. — Salut, mon vieux ! Alors, ça boume ?

François, voix morne. — Oui, super !

Noël. — Oh… J’en ai pas l’impression…

François. — Laisse tomber, j’ai pas envie d’en parler.

Noël. — OK. Si tu changes d’avis, je suis là.

François. — Tu veux un verre ?

Noël. — Oui, merci.

François. — Je te sers quoi ?

Noël. — Comme toi.

François. — Alors whisky.

Noël. — Va pour whisky. (François sert les verres. Tous deux s’assoient sur le canapé.) Je veux pas insister, mais t’as pas l’air d’être dans ton assiette.

François. — J’ai connu des jours meilleurs, en effet.

Noël. — Je suis ton pote, tu peux tout me dire, tu le sais.

François. — Je suis en cale sèche, mon vieux. Pas moyen de démarrer, et même si j’arrive à commencer un petit peu, je tiens pas la distance. Le problème est que j’arrive plus à me renouveler.

Noël. — Ah ! la routine ! Elle en fait, des dégâts !

François. — T’as pas tort. Quelque part, c’est vrai que c’est devenu comme un job alors que ça devrait rester une passion.

Noël, effaré. — Ah oui… Tu en es là !

François. — Ben oui…

Noël. — En plus ça se commande pas, ces choses-là…

François. — J’ai plus d’imagination, tu te rends compte ? J’ai l’air de quoi, moi ?

Noël. — Te prends pas la tête, ça sert à rien. Tu devrais rester seul deux ou trois jours, histoire de décompresser un peu.

François. — Oui, mais Nelly…

Noël. — Elle sera d’accord, j’en suis sûr. Elle aussi en a besoin.

François. — Elle t’en a parlé ?!

Noël. — Non, non ! Absolument pas ! C’est juste que je me dis qu’elle aussi est concernée, forcément.

François. — J’avoue que je suis assez invivable, ces derniers temps.

Noël. — Tu vois ! Alors plutôt que de vous attraper tous les deux…

François. — Elle t’a dit ça ?!

Noël. — Non, non ! J’imagine, c’est tout.

François. — C’est sûr qu’il y a un peu de tension entre nous, mais c’est normal, la période est critique. C’est de ma faute, je suis plus bon à rien…

Noël. — Arrête, tu as toujours assuré. C’est juste un coup de mou… euh… enfin… un passage à vide. Ça arrive aux meilleurs. Tout va s’arranger, tu verras.

François. — J’ai des doutes, mais tu as raison, ce serait mieux si je pouvais rester seul quelques jours, ça me ferait du bien.

Nelly revient.

Nelly, à Noël. — Tu restes manger avec nous ?

Noël. — Merci, c’est sympa mais je suis pas libre, et puis vous avez besoin de discuter, tous les deux. Bon. Il faut que j’y aille. À la prochaine ! (Il embrasse Nelly et tape sur l’épaule de François.)

François. — Salut !

Nelly. — À bientôt ! (Elle le raccompagne.) Pourquoi il a dit qu’on avait besoin de discuter ?

François. — En fait, je lui ai parlé de ma pièce, que j’y arrive pas, que je sèche comme un cancre devant une dictée de Pivot…

Nelly. — Et qu’est-ce qu’il a dit ?

François. — Comme toi : que c’était un passage à vide, que j’allais me reprendre et qu’il fallait pas que je me décourage… Enfin, tout ça, quoi.

Nelly. — Tu sais, j’ai bien réfléchi. Ce serait mieux si je partais pendant deux ou trois jours.

François. — J’y ai pensé aussi, mais j’osais pas te le demander. C’est vrai que ça m’aiderait d’être seul, dans le sens où je pourrais… je sais pas, moi… pas me préoccuper du temps des repas, pas t’embêter avec mon sale caractère…

Nelly. — Et moi, pas te déranger sans arrêt… Et puis j’avoue que l’atmosphère est un peu pesante. J’ai l’impression d’être au chevet d’un grand malade. J’ose pas faire de bruit, je me cantonne dans la cuisine ou alors je sors faire un tour en ville, et j’ai horreur de ça, tu le sais.

François. — Ma pauvre chérie… Je suis pas facile à vivre, hein ?

Nelly. — En trois ans, je t’ai jamais vu dans cet état. Toutes tes pièces, tu les as écrites sans problème.

François. — Les autres pièces avant toi aussi… Non, mais je vais me ressaisir. J’ai des idées de dialogues dans ma tête, mais dès que je me retrouve devant l’ordi ou devant une feuille de papier je suis comme tétanisé.

Nelly. — Alors dis-les à haute voix en t’enregistrant !

François. — J’ai pas le temps de tout réécouter, de taper, de faire la mise en forme… Il attend le texte vendredi !

Nelly. — L’idéal serait que quelqu’un les tape au fur et à mesure que tu parles, tu gagnerais un temps fou.

François. — C’est sûr, oui, mais je vois pas comment trouver une personne capable de le faire, et surtout en si peu de temps.

Nelly. — Les boîtes d’intérim !

François. — Oui, c’est vrai, seulement je pense pas que ça va le faire, c’est pour demain ! Tu te rends compte ?

Nelly.  Qui ne tente rien n’a rien. Va te rhabiller, je m’en occupe. (François va dans la chambre. Elle cherche sur son portable.) Ah ! voilà… Allô ! Bonjour, je voudrais savoir si vous auriez quelqu’un capable de taper un texte en même temps qu’une personne le dicte… Oui ? Quelle chance ! Par contre, c’est urgent… Pour demain… Demain, oui… Je sais… C’est possible ? Super ! (Elle s’éloigne de la porte de la chambre.) Euh… c’est un homme ou une femme ?… Ah… une femme… Oh non, ça ne pose aucun problème, simplement il faudrait qu’elle ne soit pas trop jeune… euh… enfin, je veux dire qu’elle ait de l’expérience… Ah ! d’accord ! Alors c’est parfait… Oui, je vous envoie un SMS avec mon nom et mon adresse… Merci, bonne fin de journée !

François, revenant. — Alors ?

Nelly. — C’est fait ! Demain matin, sans problème !

François. — Et ça va coûter combien ?

Nelly.  J’ai pas demandé, mais peu importe ! L’important est que tu puisses apporter ta pièce à l’éditeur vendredi, comme prévu.

François, la prenant dans ses bras. — Tu as raison. Tu as eu une super idée. Je commence à croire que je vais y arriver ! Au fait, tu vas aller où, toi ?

Nelly. — J’irai chez ma mère, elle sera ravie.

François. — Vivement demain ! Je sens que ça va être une journée bénéfique !

Rideau

François termine une tasse de café, allume son ordinateur, s’assoit sur le canapé et consulte quelques fiches. On sonne. Il va ouvrir. C’est son voisin du dessous. Il porte un K-Way dont la capuche (sur sa tête) est mouillée.

François. — Monsieur Mouchard ?

M. Mouchard. — Bonjour. Je peux entrer ?

François. — Euh… oui, bien sûr… (Regardant le K-Way.) J’avais pas vu qu’il pleuvait…

M. Mouchard. — C’est normal, il fait très beau aujourd’hui.

François. — Mais vous venez d’où ?

M. Mouchard. — De chez moi. Voyez-vous, il y a sûrement une fuite d’eau dans votre salle de bains.

François. — Ça m’étonnerait beaucoup, je m’en serais rendu compte.

M. Mouchard. — Ben si, ça vient forcément de chez vous. Il pleut dans nos toilettes, et c’est très ennuyeux parce que ça tombe pile-poil sur la cuvette des W.-C, alors quand on y va on prend tout sur la tête.

François, ne pouvant s’empêcher de rire. — Excusez-moi, c’est nerveux…

M. Mouchard. — Ce n’est pas drôle, je vous assure. De plus, je vais vous faire une confidence : je suis sujet à la constipation, alors forcément, j’y reste un certain temps, voyez-vous.

François. — J’imagine bien, oui.

M. Mouchard. — Et ce n’est pas tout : je suis aussi sujet au rhume de cerveau depuis tout petit !

François. — Ah bon ?

M. Mouchard.  C’est vrai, je vous assure. Quand je suis né, je n’ai pas pleuré comme les autres bébés, non, non, j’ai éternué !

François. — Eh ben…

M. Mouchard. — Ah ! j’en ai lavé, des mouchoirs, vous pouvez me croire ! Vous voulez que je vous dise ? La plus belle invention de l’homme, c’est les mouchoirs en papier ! Merci, M. Kleenex !

François, se retenant de rire. — Certainement, monsieur Mouchard…

M. Mouchard. — Bref, je ne supporte pas l’humidité ; alors là, avec le plafond des toilettes qui goutte…

François. — Franchement, je suis certain que je n’y suis pour rien. Venez voir, mon sol est sec.

Ils vont dans la salle de bains. Pendant ce temps, la femme du voisin entre d’office, un plan à la main.

Mme Mouchard. — Eh ! oh ! Y a quelqu’un ? Robert, tu es là ?

François et Mouchard reviennent de la salle de bains.

François. — Madame Mouchard ?!

Mme Mouchard. — C’est pas la peine de me regarder comme ça, votre porte était pas fermée à clé alors je suis entrée. Dites donc, vous comptez faire quoi pour cette fuite ?

François. — Mais rien, ça ne vient pas de chez moi.

M. Mouchard. — Sa salle de bains n’est pas inondée.

Mme Mouchard. — Cette blague ! C’est normal puisque son eau coule chez nous !

François. — Mais…

Mme Mouchard. — Y a pas de mais ! (Elle étale le plan sur la table basse.) Voilà le plan des étages.

M. Mouchard. — Ah oui ! J’avais oublié de l’emporter…

Mme Mouchard. — Tu m’étonnes ! T’oublies tout, et après tu dis que je suis râleuse ! Bon. Regardez, là c’est votre appartement, et en dessous c’est le nôtre.

M. Mouchard. — Comme vous pouvez le constater, votre salle de bains est juste au-dessus de nos toilettes.

Mme Mouchard. — Tais-toi, c’est moi qui explique !

François. — Oui, effectivement, je vois, mais chez moi j’ai rien !

Mme Mouchard, à son mari. — Dis quelque chose, toi !

M. Mouchard. — Euh… c’est peut-être une infiltration ou une condensation qui s’accumule ou…

Mme Mouchard. — Si c’est pour dire des âneries pareilles, tu ferais mieux de te taire ! Bon, moi j’ai pas que ça à faire. Tu vois ça avec lui ! (Elle part.)

M. Mouchard. — Je suis désolé, elle a son caractère. C’est depuis sa ménopause. Je pensais que ça ne durerait pas, mais si je vous disais…

François. — Excusez-moi, je ne veux pas être impoli, mais j’attends quelqu’un et je ne veux plus être dérangé de la journée.

M. Mouchard. — Oui, je comprends, mais si ça continue, on fait comment ?

François. — Je sais pas. Franchement, c’est pas le jour, je m’en occuperai demain. D’accord ?

M. Mouchard. — Bon, je vais dire à ma femme que vous allez appeler un plombier, ça la calmera un peu.

François. — Vous avez raison, dites-lui ça. Je veux pas vous mettre à la porte mais…

M. Mouchard. — Oui, oui, je vous laisse. (Il s’en va.)

François finit sa tasse.

François. — Il est froid, maintenant !

Le téléphone sonne. François, qui était occupé à regarder ses notes, met le haut-parleur. C’est Noël.

Noël. — Salut, François !

François. — Salut, Noël.

Noël. — Nelly est partie ?

François. — Oui, tôt ce matin, chez sa mère.

Noël. — Je t’appelle parce que je voulais te faire une surprise, mais finalement je me suis dit que je ferais mieux de te prévenir.

François. — Pourquoi ?

Noël. — Ben voilà : tu vas avoir la visite d’une fille qui va s’occuper de toi.

François. — Hein ?

Noël. — Tu vas voir, mon pote, ça va tout te débloquer !

François. — De quoi tu parles ?

Noël. — C’est rapport à ton problème de libido.

François. — Mais j’ai aucun souci avec ça !

Noël. — Arrête ! Hier tu m’as avoué que tu pouvais plus rien faire, que t’avais beau essayer y avait pas moyen d’y arriver…

François. — Non… C’est pas vrai ! Tu as cru que… N’importe quoi !

Noël. — T’affole pas, ça restera entre nous. Tu me connais, quand même !

François. — Je te parlais de ma pièce ! Je te parlais de l’écrire !

Noël. — Sérieux ?

François. — Mais oui !

Noël. — Mince ! J’avais pas compris ça, moi…

François. — C’est quoi cette histoire de fille ?

Noël. — Ben… c’est une call-girl.

François. — Quoi ?! Non mais t’es pas bien !

Noël. — Je t’ai dit : je croyais que tu pouvais plus… enfin, tu vois…

François. — Et même si c’était le cas, comment tu as pu penser une seconde que je pouvais tromper Nelly ? Tu vas annuler ça tout de suite !

Noël. — Je peux pas. En plus elle va à arriver d’un instant à l’autre chez toi.

François. — Je veux pas la voir débarquer ici, tu m’entends ! Débrouille-­toi comme tu veux !

Noël. — C’est que j’ai déjà payé une blinde, moi, on me remboursera jamais !

François. — Alors ça, mon vieux, c’est ton problème.

Noël. — Mais c’était pour te rendre service puisque je croyais que…

François. — C’est pas le cas, OK ?

Noël. — Oui, oui…

On sonne.

François. — On a sonné !

Noël. — C’est elle !

François. — T’es complètement barjot, mec ! (Il raccroche.)

Il va ouvrir. C’est une femme.

Louise. — Bonjour, je suis envoyée par…

François. — Je sais, mais non !

Louise. — Oh ! pardon, j’ai dû me tromper d’étage… Vous n’êtes pas monsieur François…

François. — Si, mais non !

Louise. — Je ne comprends pas…

François. — C’est une erreur. Je n’ai pas besoin de vos… comment dire… de vos services, si vous voyez ce que je veux dire.

Louise. — Mais pourtant on m’a dit que c’était urgent de vous venir en aide et…

François. — Et moi je vous dis que je ne suis pas intéressé.

Louise. — Si c’est parce que vous avez des doutes sur mes capacités, permettez-moi de vous dire que je suis très compétente !

François. — Je le crois volontiers, mais c’est inutile d’insister. Je suis désolé, mais vous vous êtes déplacée pour rien.

Louise. — Très bien, mais sachez que vous ne serez pas remboursé.

François. — Ça m’est égal, c’est pas moi qui ai payé ! Au revoir. (Louise repart. Il rappelle son copain, met le haut-parleur.) Allô ! Noël ?

Noël. — Oui…

François. — C’était bien elle !

Noël. — Ah… Et tu as changé d’avis ?

François. — Non. Je l’ai renvoyée dans ses foyers.

Noël. — Elle était pas top ?

François. — La question n’est pas là… Écoute, tes intentions étaient bonnes, mais tu t’es trompé et, même si c’était pas le cas, c’est pas un truc qui me botte. Désolé, vieux, mais t’as payé pour rien.

Noël. — Je suis dégoûté ! Remarque, je pourrais leur dire de lui donner mon adresse. Elle s’en moque, elle, de la tête du client, et j’aurai pas dépensé du fric pour peau de balle !

François. — Si tu veux, mais je pense pas qu’elle t’excite plus que ça, elle est plus de première jeunesse.

Noël. — Eh, oh ! J’ai payé le prix fort, moi, elle était pas en solde ! Je l’avais choisie sur Internet, elle valait le coup d’œil !

François. — Tu t’es fait avoir, mon vieux. Celle qui est venue devait être pas mal, mais il y a trente ans… Si ce genre de passe-temps t’amuse, je te conseille de changer de site.

Noël. — Pff… C’est toujours pareil ! Tu commandes sur photo, tu fais confiance, et celui qui reçoit le paquet se retrouve avec du second choix, comme chez Interflora !

On sonne.

François. — Je te laisse. Ce coup-ci, c’est la secrétaire que j’attendais. Salut !

Noël. — Salut ! Bon, ben courage pour ta pièce.

François. — Merci. (Il raccroche.)

Il ouvre. Une belle jeune femme entre, un petit sac de voyage à la main.

Olga. — Bonjour, je viens de la part de…

François. — Je vous attendais. Entrez, je vous en prie. (Il l’aide à ôter son manteau.) Voulez-vous une tasse de café ou de thé ?

Olga. — C’est très aimable à vous, mais non merci. (Il la regarde avec un peu d’insistance.) Quelque chose ne vous convient pas ?

François. — Non, absolument pas ! Au contraire, je suis certain que je vais y arriver avec votre aide.

Olga. — Ne vous inquiétez pas, je suis très expérimentée.

François. — Je n’en doute pas. Bien. On vous a dit ce que j’attendais de vous ?

Olga. — Oui, tout à fait.

François. — C’est la première fois que je fais appel à une professionnelle, alors, surtout, n’hésitez pas à me dire si je vais trop vite ou quoi que ce soit d’autre.

Olga. — Entendu.

François. — Vous allez être ma secrétaire et je compte sur vous pour me corriger !

Olga. — Pas de problème.

François. — Vous savez taper, bien sûr ?

Olga. — C’est une de mes spécialités, oui.

François. — Parfait. On va commencer, la journée va être chargée !

Olga. — Où puis-je mettre mon bagage ?

François. — Votre bagage ?

Olga. — Je suis engagée pour la journée et j’ai besoin de changer de tenue, vous comprenez ?

François. — Ah ?… D’accord… (Il montre une porte.) La chambre d’amis est là.

Olga. — C’est parfait. À tout de suite ! (Elle y va.)

Il met de l’ordre dans ses fiches. Le téléphone sonne. C’est l’agence d’intérim.

François.  Allô !… Oui, c’est moi… Ah ! vous êtes l’agence d’intérim ! Bonjour, la secrétaire vient d’arriver et… Comment ça, je l’ai mise à la porte ?… Qualifiée, oui, j’en suis persuadé… Attendez, elle est comment physiquement ?… Ahhh… Je suis désolé, je l’ai confondue avec une autre personne. Je suis vraiment confus !… Mais bien sûr qu’elle peut revenir, j’en ai besoin ! Encore toutes mes excuses. (Il raccroche.) Oh ! bon sang ! La call-girl, c’est l’autre ! (Olga ressort de la chambre d’amis. Elle porte un tailleur strict et des lunettes rondes sur le bout du nez. Elle a tiré ses cheveux en chignon. Elle tient une petite baguette à la main. Elle va vers le bureau.) Attendez, inutile de vous installer, il y a eu un léger malentendu.

Olga. — Vraiment ?

François. — J’attendais une secrétaire et…

Olga, s’approchant de lui. — Eh bien, me voilà…

François. — Oui mais non, je…

Olga. — Je comprends, c’est un petit jeu, mmhh…

François. — Pas du tout ! C’est vraiment une erreur de ma part…

Olga. — Oh ! le vilain ! Il ne veut pas se mettre au travail ! (Elle lui donne un petit coup de baguette sur le postérieur.)

François. — Aïe !

Olga. — Il veut se faire punir, mmhh ?

François, la fuyant. — Eh, mais ça fait mal !

Olga, le poursuivant. — Tu aimes ça, hein, petit polisson !

François, la repoussant. — Arrêtez, je vous dis ! Je suis sérieux.

Olga. — On dirait que oui. Comme vous voulez. Vous avez le droit de changer d’avis.

François. — C’est une terrible méprise.

Olga. — Je ne comprends pas. On m’a donné votre nom, votre adresse et…

François. — C’était pas mon idée. C’est un ami qui a voulu me faire une surprise. Moi j’attendais une personne pour me seconder dans mon travail. Quand vous êtes arrivée, j’ai cru que c’était elle mais c’était vous. Le problème est qu’elle est arrivée avant vous et que je l’ai renvoyée parce que je croyais que c’était vous alors que c’était bien elle !

Olga. — C’est compliqué, votre histoire…

François. — Je vous assure que vous êtes charmante, mais je ne suis pas du tout intéressé. Il faut que vous partiez.

Olga. — C’est une plaisanterie ! J’ai à cœur de faire mon travail, moi, monsieur. Je suis payée pour passer la journée avec vous, alors je reste ici.

François. — C’est pas possible.

Olga. — J’ai des comptes à rendre, figurez-vous, et si je pars avant la fin du contrat, je risque ma place !

François. — Oui mais moi…

Olga. — Si vous ne voulez pas consommer, c’est votre choix. Je ne vous gênerai pas, mais je reste ici.

François. — Vous ne voulez pas partir ?

Olga. — Non, non.

François. — Je dois absolument écrire ma pièce, et votre présence ici ne me permet pas de me concentrer. (On sonne.) C’est sûrement elle qui revient… Ne restez pas ici, retournez dans la chambre d’amis.

Olga. — Moi, tant qu’on me paie, je vais où vous voulez. (Elle retourne dans la chambre.)

François va ouvrir.

François. — Entrez, je vous en prie…

Louise. — Vous en êtes sûr ?

François. — Je vous fais toutes mes excuses, je n’avais pas compris qui vous étiez, surtout ne m’en veuillez pas…

Louise. — Ne vous inquiétez pas, ça arrive à tout le monde de se tromper, et de toute façon je ne suis pas rancunière. Inutile de perdre plus de temps, vous ne croyez pas ? J’ai cru comprendre que vous étiez dans l’urgence.

François. — Oui… Merci pour votre indulgence. (Il l’aide à ôter son manteau.) Bien, installez-vous.

Louise ouvre son sac à main, y prend ses lunettes qu’elle essuie consciencieusement, les met sur son nez.

Louise. — C’est bon, je suis prête.

François commence à dicter en marchant de long en large.

François. — Alors… l’action se déroule dans un bar… une fille est devant un juke-box, les yeux dans le vague, l’air rêveur… elle se balance en cadence…

Olga sort de la chambre. Elle a remis ses vêtements et défait son chignon.

Olga. — On dirait la...

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