La marquise et la pomme de terre

Au dix huitième siècle, la pomme de terre débarque dans un château, affolant les servantes et la propriétaire de la demeure. On entend une musique grand siècle, puis le rideau s’ouvre sur un salon du 18ème.

Décor (1)

La marquise et la pomme de terreDécor et costumes : 18ème siècle

Scène 1 : Servante Marie / Jardinier

Marie / (Elle parle toute seule et fait le ménage) Et voilà ! Ah c'est bien la vie d'châtieau. Et qui c'est-t'y qui s''tape tout l'boulot, c'est la Marie. Et vas-y que j'te brique ! Et vas-y que j'te nettoye ! Surtout qu'des machins à astiquer, ça y'en a ! Des vases, des épées, des portraits, et tout un tas d'trucs qui servent à «rin » du tout. Forcément, c'est une famille qu'a la bougeotte. Résultat, chaque fois qu'y s'promènent, y ramènent du raffut. Ah ça c'est bien «bieau» les souv'nirs, mais mé, ça m'fatigue.

Le jardinier entre

Jardinier / Hé la Marie ! J'a quelque chose à t'dire !

Marie / Tiens, vlà l'jardinier. C't'y là, il a pas inventé la compote. T'as t’y «essiyé» tes pieds ?

Le jardinier essuie ses pieds sur le paillasson

Marie / «Essies» les mieux qu'ça, j'vas pas tout l'temps r'commencer. Et pis tu touches à rin ! Vas pas casser queq'chose, pa'c'que qui c'est-y qui s'fait enguirlander après, c'est la Marie !

Jardinier / (Il continue à s'essuyer les pieds) C'est pour le dîner. Va y'aver du chang'ment.

Marie / Du chang'ment ? J'aime pas l'chang'ment.

Jardinier / C'est que madame la Marquise reçoit du monde.

Marie / Ben voyons. Faut tout l'temps r'cevoir dans ce châtieau.

Jardinier / Un noble, qu’est d’la haute, et qu’est très connu.

Marie / Ouais. Et ben les nobles, y gagnent pas tout à être connus.

Jardinier / Iil vient d’Versailles.


Marie / Oh ben s'il vient d’Versailles, alors faut s'attendre à tout.


Jardinier / Et il n'est pas tout seul, il est venue avec son amie.

Marie / Il pouvait pas v'nir tout seul ! Et ben non ! Faut qu'y nous ramène une copine ! Et comment que c'est-y qu'y s'appelle, c't'y là, qu'est connu ?

Jardinier / De Mirabeau.

Marie / D'Mirabeau ? C'est un menuisier ?

Jardinier / C'est un Comte. Mais madame la Marquise, elle dit qu'il est très important parce que c'est un comte qu'y paraît qui cause bien, et que c'est un comte qui compte beaucoup à Paris.

Marie / Il compte quoi, les vaches ?

Jardinier / Non. Il compte sur nous.

Marie / Et ben, qu’y compte pas trop !

Jardinier / Madame la Marquise, elle l'a dit : c't'y-là, va faller le soigner. Et madame a fait le menu : pâté de lapin, "cérottes", truite au cidre..


Marie / Du lapin, d'la truite au cidre. Va encore faller que j'braconne avec le garde-chasse pour en trouver.

Jardinier / Et, d'la «poumme» de terre !

Marie / D'la poumme de quoi ?

Jardinier / D'la poumme de terre. Rapport à c'que ça pousserait dans la terre.

Marie / Et pou qué qu’ça pousse pas dans un pommier ?

Jardinier / Ben non. C'est nouveau. C'est monsieur D'Mirabeau qui les a apportées. Paraît que le roué adore.

Marie / Oh ben, si le roué adore.

Jardinier / Et paraîtrait que le roué a dit qu'y fallait qu'on en mange. Parce que c'était bon pour la santé.

Marie / Le roué, il doit aussi adorer le pain dur, parce nous, celui-là, on en mange tous les jours.

Jardinier / Les poummes de terre, il dit que ça s'appelle des tubercules.

Marie / Des tuberquoi ?

Jardinier / Des tubercules. C'est comme qui dirait des racines. Comme les cérottes.


Marie / C'est nouveau, vlà qu'maintenant, les cérottes, c'est des racines.

Jardinier / Faut croire.

Marie / Pardi, y vont nous faire manger des racines à c't'heure. Si c'est des poummes, y z'ont qu'à en faire du cidre.

Jardinier / C'est pas les mêmes poummes. Celles-là, y'a pas d'jus.

Marie / Et ben mé, j'suis pas près d'y goûter à leurs poummes de la terre. J'ai pas envie d'm'empoissonner.

Jardinier / Le comte d’Mirabeau, il en mange une fois par semaine. il dit que c'est très bon. Mais faut les faire cuire.

Marie / Ça s'mange pas cru ? Qu'est-ce que c'est t'y qu'ce légume qu'on peut pas manger tout cru. Et les épluchures ? On a t'y le droit de manger les épluchures ?

Jardinier / J'ai essayé, c'est pas bon. Les feuilles non plus. Mais peut-être que si tu d'mandes à madame Alice...

Marie / Madame Alice ! C't'elle là, un blaireau, elle en f'rait un poulet !

Jardinier / Bon, ben moi, j'y r'tourne. Y'a une vieille taupe dans l'jardin. Ça fait trois s'maines que j'essaie «d'l'aver».

Le jardinier part

Scène 2 : Servante Marie / Madame Alice

Marie / Et voilà ! Encore une corvée pour la Marie. Comme si qu'j'avais «rin» à faire.

Madame Alice entre avec un panier de pommes de terre.

Madame Alice / Marie, j'ai une surprise !

Marie / J'la connais, ta surprise. Et J'aime point les surprises. Ça donne toujours du travail, les surprises.

Madame Alice / Mais là, c'est nouveau, rapport à ce qu'il a rapporté, l'invité de madame. J'en suis toute retournée. Des poummes de terre ! J'sais pas comment qu'c'est que j'vas en faire. Tiens, en vlà une. (Elle lui montre une pomme de terre)

Marie / Alors ? C'est çà des pommes de terre ? Ça r'ssemble à rin. On dirait l'crâne du garde-chasse.

Madame Alice / Ou les fesses du jardinier. (Elles rient)

Marie / Ah ben oui ! Y'a comme un air de famille.

Madame Alice / Déjà, c'est pas beau, alors ça m'étonnerait que ça soye bon. A mon avis, les poummes de terre, ça ira jamais.

Marie / T'as qu'à les mettre dans l'rafraîchissoir. Ça va les t'nir au frais.

Madame Alice / Y'a plus de glaçons. Faudrait que t'ailles en chercher dans la glacière.

Marie / Dans la glacière ! Pas moi ! J'ai peur dans c'trou ! La dernière fois, j'ai failli tomber d'dans !

Madame Alice / T'as qu'à y'aller avec le garde-chasse.

Marie / Oh ben non. J'veux pas que j'me r'trouvions tout' seule avec c’t’espèce de malappris là d'dans ! malotru

Madame Alice / Ah Bon ? Le garde-chasse, il est du genre..

Marie / Sûr qu'il est du genre, du genre qu’aurait comme qui dirait les mains qui tiennent pas en place.

Madame Alice / Il a les mains baladeuses ! Oh ben, j'vas y'aller ! On verra ben s'y m'fait quèqu' chose. Et pis on s'ra pas trop d'deux pour remonter les glaçons.

Madame Alice part.

Marie / (Au public) J'veux pas médire mais à mon avis, l'dîner il est pas prêt d'être servi.

Scène 3 : Servante Marie / Servante Jeannette / Jardinier

Jeannette / Et ben Marie, qui c'est qu'tu fais là ?

Marie / Ben j'travaille ! Ça s'voit point ?

Jeannette / Au fait, t'as vu qui qu'c'est t'y qu'è nous a ram'né la Marquise ?

Marie / Si je l’sais ? On cause qu’ça. La poumme de terre ?

Jeannette / Ben ouais, mais ya aussi une comtesse !

Marie / On en voit tous les jours des comtesses.

Jeannette / Mais c't'elle là, c'est sûr qu'elle mérite l'coup d'œil. C'est la copine au demi rabot.

Marie / C'est une Demi Rabelle !

Jeannette / Oh ben c't'elle là, elle est bonne. La D'mirabelle ! Et la D'mirabelle, elle est aussi de Veursailles.

Marie / Forcément ! Elles sont toutes à Versailles ! Y’a autant d’comtesses à Veursailles que d’chardon dans l’herbage.

Jeannette / Et la poumme de terre, des Amériques.

Marie / Les Amériques, où c'est-il qu'c'est ?

Jeannette / J'en sais rin, mais c'est pas dans la région. Pac'qu'on peut y'aller qu'en bateau. Et encore, paraît qu'on est même pas sûre d'arriver. Le voyage, il dure des mois.

Marie / Des mois ! Et ben, la d'Mirabelle, j'espère qu'elle est plus fraîche que les poummes de terre.

Jeannette / J'en sais rin, mais le majordome, y m'a raconté que le demi rabot, ses copines, il en change comme de ch'mises.

Marie / L’changement, ça doit être la mode à Paris, ça doit pas coûter bien cher.

Jeannette / En tout cas, c'est du beau linge.

Marie / Et l'demi rabot ? Tu l'as vu ? Il est t'y beau ?


Jeannette / Si ça t'nait qu'à mé, l'Mirabot, on l’appellerait Miramoche.


Marie / Miramoche. Elle est bonne aussi, c't'elle-là.


Jeannette / Et sa mégère. Tu verrais comment qu'c'est-y qu'elle est attifée.. Et pis, le rabot, il en fait des manières. (Elle mime Mirabeau, puis elles parlent en faisant des révérences, et en mimant les dames de la cour) Si madame la Marquise le permet, je lui a z'apporté une friandise.

Marie / (Elle en fait autant) C'est qué qu'tu m'amènes mon Mimi ?

Jeannette / C'est quèqu'chose que madame, elle a jamais vu..


Marie / Que j'a jamais vu ? Ca n'étonnerait. Pa’ce que mé, j’en a vu !

Jeannette / Ah ben oui, mais ça c'est la première fois que vous allez en ver.

Marie / Et à qui qu'ça sert ?

Jeannette / C'est...

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