La théorie

Le Malayalam tallipat est une plante bien particulière : elle met environs 60 ans avant de fleurir… pour mourir ensuite. Lorsque Bertrand y pense, une folle idée lui vient à l’esprit : une théorie sur l’amour…il appelle hâtivement Pierre, son fidèle ami, auteur en rade, afin de la lui exposer : et si, pour être vécu le plus intensément possible, l’Amour devait être vécu en compagnie d’une personne condamnée par la maladie ? Après tout, “la compression augmente la densité”… Lorsque Pierre en parle à sa maîtresse, comédienne sans renom, une idée émerge dans son esprit de romancier : et si, pour assouvir le souhait de Bertrand et donner par la même occasion une opportunité à Hélène d’exercer son métier, elle prenait le rôle d’une belle condamnée lors d‘une rencontre fortuite avec son ami ?

Alors que l’Histoire transfigure lentement nos trois personnages, alors que les amours s’emmêlent et les identités s’égarent, la frontière entre réalité et mensonge se fait doucement la malle et les rêves se mettent à devenir réalité…

 

Les personnages évolueront sur plusieurs mois. Le passage d'un appartement à l'autre ne respecte pas de façon précise le déroulement du temps. Il peut s'être déroulé un jour comme une semaine ou bien un mois entre chaque scène.

----------------------------------------------

CHAMBRE DE BONNE PIERRE

Dans le noir le bruit de quelques frappes caractéristiques, mais très irrégulières d'une vieille machine à écrire. (Remington) ainsi que le bruit d’une douche qui coule.

Lumière progressive. Nous découvrons la chambre de bonne. À peu près 15 m2. Des manuscrits et des feuilles volantes entassés de-ci, de-là. PIERRE, de dos, tape de façon très irrégulière sur sa machine...en off

OFF HELENE - J’ai encore envie... 

PIERRE - Non ! Non ! Non !

OFF HELENE - Merci, c’est charmant.

PIERRE - J’en ai assez !

Hélène apparaît avec juste une serviette autour de son corps, les épaules encore mouillées.

HELENE - C’est à moi que tu parles ?

PIERRE - Hum ?

HELENE - C’est à moi que tu disais : l’imitant : j’en ai assez ?

PIERRE - Mais non ! Écoute Hélène, ce n’est pas le moment. Il faut absolument que je remette au moins un chapitre de ce foutu roman.

HELENE - Et alors ?

PIERRE - Et alors ? Je n’arrive même pas à commencer la première page. Je suis à sec. Totalement à sec. 

HELENE - Et bien justement. Ca va te détendre. Allez, viens…

PIERRE - De toute façon, j’ai promis de ne pas rentrer tard. Attention où tu marches s’il te plaît !

HELENE - Quelle idée aussi de mettre ces feuilles sur le sol.

PIERRE - C’est ma façon de travailler. De cette façon, j’ai une vision globale de la progression de mon histoire. 

Il se lève, nous découvrons qu’en fait de Remington, il s’agit d’un ordinateur portable dernier cri. Hélène le saisit par la main et l’entraîne sur le canapé-lit.

HELENE - Entendu. Mais avant, tu me refais magnifiquement l’amour.

PIERRE - Ecoute Hélène...je t’ai déjà dit que…

HELENE - Que ce n’était pas le moment. Je ne suis pas encore sourde. Embrasse-moi…

PIERRE l’embrasse

- Je te reverrai quand ?

PIERRE - Et bien...demain...heu, non pas demain, j’emmène les enfants à leur cours de dessin. Jeudi ! Tu peux rester dormir si tu veux. 

HELENE - Sans toi ce n’est pas la même chose.

PIERRE - A Jeudi…

Il lui dépose un baiser sur les lèvres

APPARTEMENT BERTRAND

Bertrand est en train de corriger des copies. Deux tas impressionnants se dressent à ses côtés. Derrière lui, un désordre de plantes vertes et surtout, beaucoup, beaucoup de livres. 

BERTRAND - Affligeant…6. Désespérant…5. Nul…2….il délaisse un temps ses copies et pose son regard sur une plante Pourquoi n'y ai-je pas pensé ? 

  • Il saisit son téléphone et compose un numéro.

- Allo ! Pierre, salut c'est moi, Bertrand. T'as une drôle de voix mon vieux…la scarlatine. Tu l'as attrapée ? … alors, ça va; enfin, je veux dire pour les enfants c'est une étape un peu obligatoire, on n'appelle pas ces maladies, infantiles, pour rien non plus. Temps  Pierre, j'ai absolument besoin de te voir …Oui, maintenant, je sais qu'il est très tard...  Fais vite s’il te plaît...

Il raccroche et se dirige vers la salle de bain. Réapparaît, enclenche un disque (Requiem Mozart ou Fauré)  et retourne dans la salle de bain en sifflotant. Noir très court. Il sort en peignoir, vient s'allonger sur son sofa. Se redresse, se sert une grosse gorgée qu'il avale d'un trait et se rallonge. Se redresse à nouveau, remplit à nouveau son verre à ras bord et boit d'une traite. Se rallonge. Seul le requiem envahit l'atmosphère. 

Noir

Pierre pénètre dans l'appartement. Bertrand fait signe à Pierre de s’approcher d’un drap qui recouvre un objet. Bertrand découvre le drap. Une plante se trouve en dessous. Il s'approche et s'éloigne de la plante, l'observant sans retenue.

BERTRAND - Extraordinaire non ?

PIERRE - ... C'est une plante. Ne me dis pas que tu m'as fait traverser cette ville à toute allure pour me montrer une plante ?

BERTRAND - Elle est bien plus que cela.

PIERRE - En apparence pourtant je t'assure qu'elle ne fait penser à rien d'autre qu'une plante.

BERTRAND - Oublie les apparences et écoute-moi.

PIERRE  Tendu - Je t'en prie…

BERTRAND - Et bien cette plante qui se trouve devant toi, est une horloge. 

PIERRE - Une horloge ...Tu es certain que ça va ?

BERTRAND - Une horloge d'un type particulier je te l'accorde, mais une horloge tout de même.

PIERRE - Qu'est-ce que tu racontes ? C'est une plante, avec des feuilles, comme une plante.

BERTRAND - Elle est bien, bien plus que cela. 

PIERRE - Je sais, tu viens de me dire que c'est une horloge. Bertrand. Si en plus, tu m'annonces que cette plante a des pouvoirs surnaturels ou autre chose de ce genre, je te préviens, je pique une colère. Je te rappelle que j'ai traversé cette ville en prenant des risques énormes.

BERTRAND - Et je t'en remercie infiniment, vieux frère.  Assieds-toi. Ce que j'ai à te dire tient de…l'exceptionnel.

PIERRE - Vue l’heure qu’il est, c’est un minimum.

BERTRAND - Grâce à cette plante, je viens enfin, de trouver la lumière.

PIERRE - La lumière ?... Grâce à ta plante verte ? Bertrand ...

BERTRAND - Tropicale. C'est une plante tropicale. Malayalam tallipat. Tallipot si tu préfères.

PIERRE - Je n'ai pas de préférence. 

BERTRAND - On la trouve généralement en Chine, mais celle-ci vient de l'île Maurice.  Tu sais, on ne prend jamais assez de temps pour observer l'essentiel.

PIERRE - Bertrand !

BERTRAND - Oui ? 

PIERRE - Va ... À l’essentiel.

BERTRAND - Tu as raison... la plante que tu as sous les yeux, possède en elle une fleur qui met, à quelques années près, 60 ans pour éclore.

PIERRE - ...C'est ce qui s'appelle se faire désirer. Et ?

BERTRAND - Et elle meurt dans la journée. 

PIERRE - C’est ballot !

BERTRAND - Le secret de la vie. Bertrand invite Pierre à s'asseoir Tu vas comprendre, observe.

PIERRE - Observe ? Que veux-tu que j'observe ?

BERTRAND - Elle...

PIERRE - Bertrand ! Je ne suis pas venu à cette heure pour observer pousser une plante !

BERTRAND - Chut ! Le moment est solennel. 

PIERRE - Solennel…Mais il est complètement… Et tu sais quand sa fleur va éclore au moins ?

BERTRAND - Non. 

PIERRE - Non ?

BERTRAND - Non. 

PIERRE - Mais tu te fiches de moi !

BERTRAND - C'est la raison pour laquelle je t'ai demandé de venir au plus vite. Je m'en voudrais de te faire manquer un pareil spectacle. 

PIERRE - On ne va tout de même pas rester en faction devant une plante sans savoir à quel moment sa fleur est censée éclore ? 

BERTRAND - C'est très important d'assister à la naissance d'un miracle.

PIERRE - Ce n'est qu'une plante Bertrand ! Avec une particularité sans doute rare, je te l'accorde, mais elle demeure une plante. Il est tard, je me lève tôt demain...

BERTRAND - Elle est bien plus que cela. Elle est un guide, un repère de ce que devraient être nos vies. Il n'existe pas de plus délicieux moments que ceux dans lesquels on profite pleinement de ce que l'on va perdre.

PIERRE - Qu'est-ce que tu racontes ? 

BERTRAND - Grâce à cette merveille, j'ai trouvé la solution, Pierre.

PIERRE - La solution a quoi ?

BERTRAND - A l'amour !

PIERRE - A l'amour … Tu me fais tout ce cirque pour me dire que tu as trouvé la solution à l'amour ? 

BERTRAND - Oui...Tout homme a besoin de limites pour se sentir libre. 

PIERRE - Si tu veux tout savoir, je suis en train d’atteindre les miennes...je t’appelle, salut !

BERTRAND - Attend ! ...Une femme malade est l'unique solution pour faire vivre l'amour le plus intensément possible ! L'amour ainsi compressé devient un amour haut de gamme. 

PIERRE - Tu plaisantes ?

BERTRAND - Non.

PIERRE - Bertrand ?

BERTRAND - Oui ?

PIERRE - Tu es sérieux ?

BERTRAND - Oui.

PIERRE - Quand tu dis malade, vraiment malade ?

BERTRAND - Oui, vraiment malade. 

PIERRE - Mon ami est fou. Mon meilleur ami est complètement fou. 

BERTRAND - La compression augmente la densité, Pierre. C'est une loi physique.

PIERRE - On ne peut appliquer une loi physique sur des sentiments. T'es malade !

BERTRAND - Pourquoi pas ?

PIERRE - C’est bien ce que je dis : Il est fou à lier.

BERTRAND - Je veux compresser mes sens et non les laisser se diluer dans le temps...Seul bémol à l'affaire, la médecine.

PIERRE - Quoi, la médecine ? Quoi, la médecine ? Quoi, la médecine ? Bertrand ? Tu délires là...

BERTRAND - Le progrès de la médecine est considérable aujourd'hui. N'importe quelle maladie ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir. Tout juste le petit octroi pour continuer sa route. 

PIERRE - Si tu me trouves un individu qui n'est pas d'accord avec le progrès de la médecine, fais-moi signe.

BERTRAND - Rendez-nous immortels et il n'y aura plus de société. 

PIERRE - Mais oui, bien sûr. Le voilà l'individu… Quand tu parles de maladie. Tu veux parler de quel genre de maladie ? 

BERTRAND - Une maladie incurable. L'équation amour-temps-maladie est l'unique solution pour ne plus jamais laisser à la dérive nos sentiments. Alors ? Elle n’est pas fabuleuse ma découverte ?

PIERRE - Tu veux que je te dise, jusqu'à maintenant ta vie m'amusait, ton côté professeur tournesol, tes aventures avec tes élèves, mieux même, tu me faisais rêver, tu étais une sorte de repère de notre jeunesse évanouie. Tu étais mon album de photos à toi tout seul, mais ce que tu viens de me dire est ignoble. Souhaiter le mal de quelqu'un pour mieux l'aimer tient de la pure folie. Comme j'ai de l'estime pour toi je dirais que tu es plutôt irresponsable et que tu t'es enfermé avec tes crevettes depuis trop longtemps que, t'as oublié de respirer la vie, la vraie, celle de dehors.

 BERTRAND - Astacus Leptodactylus si tu veux bien.

PIERRE - Pardon ?

BERTRAND Ce ne sont pas des crevettes, mais des astacus leptodactylus ou encore écrevisses.

Temps dans lequel Pierre cherche à mieux comprendre puis, cherchant l'humour comme une bouée

PIERRE - ...Et pour son physique, tu as aussi des critères particuliers ou bien elle peut être moche ?

BERTRAND - Malade, ma théorie se défend, moche ça peut devenir suspect. Je voudrais éviter...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Connectez vous pour lire la fin de ce texte gratuitement.



Donner votre avis !

Retour en haut
Retour haut de page