Le Club champenois

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Juste après la Révolution de Février 1848, un maire de campagne, Pontcharrat, est sommé par le nouveau régime d’organiser dans sa commune un club démocratique. Pontcharrat prépare également le mariage de sa nièce Henriette à Gindinet, l’instituteur. Mais Henriette aime son cousin Cassagnol, un comédien, et le fait venir d’urgence. La réunion du club démocratique et la présentation des futurs candidats aux élections va donner l’occasion à Cassagnol de montrer ses talents en interprétant successivement Jean-Louis, dit le Corinthien, un ouvrier, puis le citoyen Grand-Bagout, un économiste et enfin, l’illustre général Chauvinancourt.

Scène première

PONTCHARRAT, HENRIETTE,
puis la voix de Gindinet dans la coulisse.
pontcharrat, lisant le journal pendant qu’Henriette travaille.

« République française… Décret du Gouvernement provisoire… » (Parlé.) Ah ! très bien ! ah ! très bien ! voyons la rente… ça ne monte pas, j’en ai. (Reprenant le journal.) Encore un décret, deux décrets, quatre décrets, six décrets… (Parlé.) À la bonne heure ! voilà un gouvernement qui fonctionne… oui, mais la rente ne monte pas. (Reprenant le journal.) Ah ! çà, c’est une circulaire… J’en ai entendu parler. Ah ! très bien ! ah ! très bien !

henriette, travaillant.

D’abord, vous, mon oncle, vous approuvez tout, toujours… comme sous l’ancien gouvernement…

pontcharrat.

C’est mon devoir, je suis fonctionnaire. Si, comme moi, tu étais maire… maire de Vitry-le-Brûlé en Champagne…

henriette.

Pour ce que ça vous rapporte.

pontcharrat.

Comment, ce que ça me rapporte !… d’abord je ne paye pas mes ports de lettres quand j’écris à l’autorité ; ensuite je suis le premier magistrat du pays.

AIR : De sommeiller encor, ma chère

Sur ma maison un drapeau se balance,
D’un monument ça lui donne l’aspect,
Je promulgue mainte ordonnance
Pendant l’été contre le chien suspect ;
Sur les murs décrétant l’amende
Contre certaines libertés ;
J’inspire au passant qui s’amende
Le respect aux propriétés.

Qu’est-ce que tu veux ! je suis veuf, j’ai de l’ambition et… il n’y a qu’une chose qui me préoccupe.

henriette.

Quoi donc ?

pontcharrat.

Ce sont les instructions du citoyen Farouchot, le sous-secrétaire du sous-commissaire du canton : il m’invite à ouvrir un club pour propager les idées démocratiques.

henriette.

Eh bien ?

pontcharrat.

Eh bien, ils ne mordent pas au club à Vitry-le-Brûlé. Personne ne vient ! je leur ai pourtant promis les rafraîchissements. Je leur ai loué une salle de bal, celle-ci. Ah bien oui ! la dernière fois, nous étions huit… on bâillait !… et, comme personne ne demandait la parole, j’ai prié Crétinot, le notaire, de nous lire quelques pages de l’Histoire de la grandeur et de la décadence des Romains… Cela fut généralement peu goûté.

henriette.

Alors, il n’y a pas de votre faute.

pontcharrat.

Je le sais bien… mais Farouchot, le secrétaire du commissaire, peut croire que j’y mets de la tiédeur, et, en temps de révolution… C’est plus fort que moi, mais depuis quelque temps, je pense beaucoup aux Girondins… avec ça que je ressemble à André Chénier.

henriette.

Oh ! quelle idée !

pontcharrat.

Une idée de Gindinet… À propos, j’ai une bonne nouvelle à t’apprendre.

henriette, vivement.

Le retour de mon cousin ?

pontcharrat.

Non, je suis sur le point d’obtenir une augmentation de traitement pour Gindinet, notre instituteur primaire et ton fiancé…

henriette.

Une augmentation à lui, mais à quel titre ?

pontcharrat.

À titre de futur neveu, parbleu !… Eh bien, commences-tu un peu à t’y faire ?… C’est un bien bon jeune homme, va.

henriette.

C’est possible, mais il n’est pas spirituel.

pontcharrat.

Il a une si belle écriture… c’est lui qui me copie tous mes arrêtés.

henriette.

Et c’est pour cela que vous le protégez.

pontcharrat.

Je le protège parce qu’il est sobre et continent, et j’aime assez qu’un mari soit… C’est une vraie demoiselle.

henriette.

Et vous voulez me marier avec une demoiselle ; mais ça ne se fait pas.

pontcharrat.

Allons, assez ! vous raisonnez toujours… Est-ce que vous penseriez encore à votre cousin Cassagnol ? un mauvais sujet…

henriette, à part.

Pauvre garçon !

pontcharrat.

Se faire comédien, histrion ! lui, le neveu d’un maire !… Quelle page dans l’histoire !…

henriette.

C’est bien votre faute… vous l’avez chassé de chez vous…

pontcharrat.

Je crois bien !… un garnement qui avait toujours les brais croisés… autour de ton cou.

henriette.

Puisque c’est mon cousin.

pontcharrat.

La belle raison !

gindinet, dans la coulisse.

Au secours ! au secours !

pontcharrat.

Ce bruit… dans la classe de Gindinet.

Scène II

PONTCHARRAT, HENRIETTE, GINDINET.
gindinet, paraissant avec un martinet à la main et parlant à la cantonade.

Oui, vous êtes des anarchistes ! des terroristes ! des communistes !

pontcharrat.

Ah ! mon Dieu ! qu’y a-t-il ?

gindinet.

Père Pontcharrat ! l’hydre de l’anarchie est entrée dans mon école ! ma chaire a été violée !

pontcharrat.

Vous m’effrayez.

gindinet.

C’est encore la faute de Marmadou… c’est toujours la faute de Marmadou !

pontcharrat.

Qui ça ?

gindinet.

Un de mes élèves, le chef de la Montagne, un gueux, un brigand, un scélérat, je ne peux pas le regarder sans frémir !… ah !

pontcharrat.

Quel âge a-t-il ?

gindinet.

Mais il va avoir huit ans…

henriette, à part.

Il ne lui manquait plus que d’être poltron.

gindinet.

Voici le récit de l’attentat. Conformément au 273e décret du Gouvernement provisoire qui nous enjoint de donner aux enfants une éducation civique et militaire, je lui demande avec bienveillance : « Citoyen Marmadou, qu’entendez-vous par venir reconnaître trouille ? » Savez-vous ce qu’il me répond ?

pontcharrat.

Non.

gindinet.

Il me répond : Zut !… Aussitôt je saisis le glaive de la justice, mon martinet, et je lui applique…

pontcharrat.

Une danse ?

gindinet.

Non, un pensum : je lui applique deux fois le verbe : Je réponds zut au bon M. Gindinet qui m’interroge avec bienveillance.

pontcharrat.

Voilà un verbe !

gindinet.

Au même instant, une grêle de dictionnaires, de catéchismes et d’encriers me pleut sur la tête… je proteste avec énergie et je m’éclipse…

henriette.

Avec énergie ! M. Gindinet est en déroute.

gindinet.

Momentanément ; et si c’était un effet de votre bonté…

henriette.

Quoi donc ?

gindinet.

Vous savez… comme la dernière fois… des échaudés, ça les calme.

pontcharrat.

Comment ! vous transigez avec l’émeute ?

gindinet.

Quand elle est la plus forte.

AIR : les Anguilles

Résister au flot populaire
C’est la politique des sots,
La fortune toujours préfère
Celui qui sait fuir à propos.
Demandez à maint personnage
Son secret pour rester sur l’eau
Il se cache pendant l’orage,
Et reparaît quand il fait beau.

Henriette, prenant une corbeille d’échaudés.

Dans un quart d’heure, tout sera rentré dans l’ordre. (À part, en sortant.) Je ne pourrai jamais épouser cet homme-là !

Elle sort par la droite.

Scène III

PONTCHARRAT, GINDINET.
gindinet,

Aimable enfant !

pontcharrat.

Gindinet, veux-tu que je te dise, je te trouve tiède avec ma nièce.

gindinet.

Moi, père Pontcharrat ? je suis au comble ; d’abord on n’épouse pas la nièce d’un maire sans être au comble… généralement.

pontcharrat.

Ambitieux !

gindinet.

Et puis, par ce mariage, j’échappe aux poursuites de la veuve Tropical.

pontcharrat, à part.

Nous y voilà. (Ému.) Ah çà ! cette veuve… te fait donc toujours des agaceries ?

gindinet.

Vous appelez ça des agaceries… mais c’est un brochet, c’est une louve affamée qui me suit pas à pas pour me… (Il frissonne.) Brrr !

pontcharrat, de même.

Brrr ! (À part.) Est-il heureux. (Haut.) Gindinet, tu devrais lui faire comprendre que ce qu’il lui faut, à son âge, c’est un homme mûr, un homme tranquille.

gindinet.

Elle ne le comprendrait pas.

pontcharrat.

Cependant, à quarante ans…

gindinet.

Père Pontcharrat, il y a des femmes brunes qui n’ont jamais quarante ans… et celle-ci vous a des yeux !

pontcharrat.

Ah !

gindinet.

Qui vous égrugent !

pontcharrat.

À trois pas ! je l’ai remarqué…

gindinet.

C’est plus fort que moi, quand je rencontre cette femme puissante…

pontcharrat, avec passion.

Vésuvienne ! appelle-la vésuvienne !

gindinet.

Soit, mon sein s’agite, mes jambes se dérobent… et je deviens rouge comme une grenade en fleur…

pontcharrat, vivement.

Gindinet, nous signerons le contrat ce soir, et, dans huit jours, tu seras le mari d’Henriette.

gindinet.

Avec plaisir ; au moins, celle-là, je peux la regarder, ça ne me fait rien du tout.

pontcharrat.

Et, si tu rencontres la veuve Tropical, tu me promets…

gindinet.

De me sauver.

pontcharrat.

Oh ! merci !

gindinet.

Hein ?

pontcharrat.

Merci pour ma nièce… Chut ! la voici.

Scène IV

PONTCHARRAT, GINDINET, HENRIETTE.
henriette, à Gindinet.

Monsieur, vos élèves, oubliant le passé, consentent à vous recevoir.

gindinet.

Comment ! vous êtes parvenue à les apaiser ?

henriette.

Tout de suite.

gindinet, à part.

Quel chic elle a pour fermer l’abîme des révolutions !

pontcharrat, à Gindinet.

Allez, mon ami ; je cours chez Crétinot le notaire, et de là chez tous nos parents et amis, pour la signature.

henriette.

Quelle signature ?

pontcharrat.

Celle du contrat… c’est pour ce soir.

henriette.

Est-il possible !

pontcharrat.

On dansera… j’invite tout le village.

chœur.
AIR : Moi, vous céder la place. (Frisette)

Pour qu’ l’égalité brille
Pas d’exclusion du tout :
Tout le monde est d’ notr’ famille,
Nos amis sont partout.

Pontcharrat sort par le fond, et Gindinet entre à droite.

Scène V

HENRIETTE, puis CASSAGNOL,
des Commissionnaires.
henriette, seule.

Pour ce soir… que faire ?… et mon cousin qui n’arrive pas… Je lui ai pourtant écrit pour le prévenir de ce mariage. Le pauvre garçon ! il n’ose plus se présenter ici… mon oncle l’en a chassé si durement, et il est si timide…

cassagnol, dans la coulisse.

Ohé ! la maison, ohé !

henriette.

Ciel ! cette voix !…

Cassagnol fait son entrée, suivi de deux commissionnaires chargés de malles. Cassagnol précède le cortège en moulinant avec sa canne, à la façon des tambours-majors.

cassagnol, chantant.

Quand les canes vont aux champs
La première va devant,
La seconde suit la première,
La troisième est la dernière
Quand les canes…

Aux commissionnaires qui exécutent le mouvement.

Halte !… front !

henriette.

Cassagnol !

cassagnol.

Henriette !

henriette.

Enfin te voilà !

cassagnol.

Avec armes et bagages. Où est mon oncle ?

henriette.

Sorti.

cassagnol.

Brave homme ! (Aux commissionnaires.) Entrez là.

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