Le Paradis, c’est bien ici ?

Un célèbre acteur se réfugie au Paradis, gîte isolé en pleine montagne, pour y vivre quelques jours dans l’anonymat ; hélas, ce paradis, beaucoup plus fréquenté qu’il n’y paraît, devient de plus en plus infernal.
“Le Paradis c’est bien ici ?”, une comédie où gags, jeux de mots et situations explosives s’enchaînent à un tempo sans relâche.

Avec une distribution pour six femmes et quatre hommes, ou sept femmes et trois hommes (le rôle de Jean-Paul pouvant être féminisé), Yvon Taburet renoue ici avec ses plus grands succès (“Un réveillon à la montagne”, “On a perdu le Youki”, “Grand-mère est amoureuse”, etc.). En 2022, ses pièces ont passé le cap des 14 000 représentations.




Le Paradis,c’est bien ici ?

Acte I

Arrivée de Lucas sur scène, débraillé, l’air hagard. Il est visiblement épuisé. Il a enlevé sa veste et s’éponge le front.

Lucas. — Quelle chaleur ! Mais quelle chaleur ! Je suis crevé, moi… Complètement crevé… Ça fait au moins trois heures que je marche dans cette fichue montagne… Je ne sais pas comment je me suis débrouillé, mais j’ai l’impression que j’ai réussi à me paumer… Comment s’y retrouver ?… Tous ces chemins se ressemblent… (Avisant des spectatrices.) Oh ! des marmottes ! Comme elles sont mignonnes ! (Il s’adresse à distance, en se penchant légèrement.) Viens ! Viens ! N’aie pas peur… Quelle jolie, petite marmotte ! Tu sais que tu es belle, toi ? T’as le poil tout luisant… Oh ! quel beau poil !… Oh ! mais y en a d’autres par ici !… Y en a même plein… J’ai dû les réveiller… Holà ! On se calme ! Rendormez-vous, les marmottes ! Ce n’est pas le moment de s’agiter. (Apercevant le gîte.) Mais qu’est-ce que je vois ? Sauvé ! Je suis sauvé ! Le Paradis ? Eh bien… Allons-y ! Tout droit vers le paradis !

Il entre. Il avise une bouteille d’eau minérale dans un plateau, sur le comptoir. Il se dirige droit dessus, la décapsule et, négligeant le verre, boit goulûment à la bouteille. Après une courte pause et un grand sourire de satisfaction, il s’apprête à boire à nouveau lorsque surgit Claire, la patronne.

Claire. — Non, mais dites donc ! Faut pas vous gêner !

Lucas. — Excusez-moi, je crevais tellement de soif…

Claire. — Et alors ? Vous croyez que c’est une raison ? Ce n’est pas un abreuvoir, ici, c’est un gîte, et un gîte respectable… Quand on a soif, on demande, non mais ! C’est tout de même la moindre des choses.

Lucas sort une liasse de billets. Il en extrait un billet de cent euros qu’il tend à Claire.

Lucas. — Ne vous inquiétez pas ! Je vais vous la payer, votre bouteille. Tenez !

Claire. — Cent euros ! Vous n’avez pas plus gros, par hasard ?

Lucas, ne saisissant pas l’ironie. Si, j’ai des billets de cinq cents.

Claire. — Des billets de cinq cents ! Et il est fier d’exhiber son oseille ! Vous vous croyez où, à sortir vos gros billets comme ça ? Dans une partie de Monopoly ? au casino ? Vous pensez peut-être que je vais vous rendre la monnaie sur un billet de cent ?

Lucas. — Ben oui, pourquoi pas ?

Claire. — Pour une bouteille à deux euros cinquante ? Vous rigolez ! Non seulement vous vous servez comme un malpoli, mais en plus vous voulez me payer avec ça ? Vous avez décidé de me pourrir la journée ou quoi ?

Lucas. — Écoutez, ne vous emportez pas pour si peu… Ce n’est tout de même pas de ma faute si je n’ai pas de monnaie !

Claire. — Et qu’est-ce que vous faites avec tout cet argent liquide en pleine montagne ? Hum ? Votre fric, qui me dit que ce ne sont pas des faux billets ou, pire, de l’argent volé ?

Lucas. — Mais non… Je vous assure…

Claire. — « Je vous assure, je vous assure… » Vous m’assurez de quoi ? Vous croyez que vous avez une tête d’assureur ? Non, vous avez plutôt la tête d’un gars qui aurait quelque chose à se reprocher… Vous êtes en cavale, c’est ça ?

Lucas. Non… Pourquoi ?

Claire. — Vous débarquez en costume de ville, ici, en pleine montagne, dans ce gîte isolé, à mille mètres d’altitude, et vous voulez me faire croire que vous n’avez rien à vous reprocher ?

Lucas. — Pour être tout à fait franc avec vous, la seule chose que je pourrais avoir à me reprocher, ce serait mon inconscience… Je suis parti ce matin de la vallée ; en marchant, sans m’en rendre compte, je me suis bêtement perdu. Je commençais à désespérer lorsque j’ai aperçu votre hameau… Comme vous le voyez, c’est aussi simple que cela.

Claire. — Que vous soyez Al Capone ou la reine d’Angleterre, je m’en contrefiche du moment que vous ne cherchez pas à mettre le bazar chez moi… Alors ? Vous les avez, les deux euros cinquante ?

Lucas. — Puisque je vous ai dit que je n’ai pas de monnaie !

Claire. — Vous êtes sûr ? Vous avez bien cherché ?

Lucas, mettant le billet sur le comptoir. Attendez ! Ça suffit comme ça ! Donnez-moi quarante bouteilles, comme ça on n’en parlera plus.

Claire. — Quarante bouteilles ?

Lucas. — Oui, quarante fois deux euros cinquante, ça fait bien cent euros ? Ça vous va ?

Claire. — À consommer sur place ou à emporter ? (Elle commence à déposer une dizaine de bouteilles sur le comptoir.)

Lucas, s’emparant de la bouteille et se resservant un verre. Je vais réfléchir. Pour ce prix-là, vous pouvez bien me laisser le temps de réfléchir, n’est-ce pas ?

Claire, encaissant le billet. Prenez votre temps, le client est roi.

Lucas. — C’est curieux ce gîte, ces chambres d’hôtes, en pleine montagne, au milieu de rien.

Claire. — De rien ? Comme vous y allez ! Vous avez les yeux embués ou quoi ? Vous n’avez pas remarqué ce décor magnifique, ces alpages, ces montagnes à perte de vue ?… Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ? Pourquoi croyez-vous que ce gîte s’appelle le Paradis ? Parce que c’est vrai, ici c’est le paradis !

Lucas. — Des monts, des monts, des monts… et au milieu le Paradis. On peut se demander si c’est vraiment logique ?

Claire. — Pourquoi dites-vous cela ?

Lucas. — Parce que vu d’ici, nous sommes plus entourés par des monts que par des anges.

Claire. — Si vous voulez voir des anges… (Désignant le ciel.) il faudra grimper un peu plus haut. Moi, personnellement, je ne suis pas pressée et je me contente volontiers de mon petit paradis terrestre, mais chacun fait comme il veut… Et vous ? Ça vous plairait de vivre comme un ange ?

Lucas. — Je ne sais pas… J’ai du mal à imaginer… Si j’étais garagiste, ce serait plus facile…

Claire. — Pourquoi ?

Lucas. — Une vie d’ange, c’est plutôt bon pour les garagistes.

Claire. — Qu’est-ce que vous dites ?

Lucas. — Ce n’est pas grave… Laissez tomber ! C’est vrai que c’est calme ici… C’est relaxant. Dites-moi, vous avez la télévision ?

Claire. — Ah non ! Ici pas de télé, pas de journaux. J’ai un petit poste pour écouter les infos et la météo, dix minutes tous les matins et croyez-moi, quand j’entends ce que j’entends, c’est bien assez ! Ça me permet simplement de mesurer le bonheur que j’ai de vivre loin de la ville et de son agitation.

Lucas. C’est pour ça !… Donc, vous ne m’avez jamais vu ?

Claire. — Pourquoi ? Je devrais ?

Lucas. — Non, non… C’est très bien comme cela… Un endroit tranquille, retiré du monde… C’est tout à fait ce qu’il me faudrait en ce moment. Vous auriez une chambre de libre ?

Claire. — C’est bien ce que je disais… Vous, vous n’avez pas la conscience tranquille et vous cherchez à vous mettre au vert, pas vrai ? Alors, dites-moi, qu’est-ce que vous avez fait ? Vous avez dévalisé la banque de France ou vous avez dépecé une petite vieille pour lui piquer ses économies ? Vous pouvez me le dire, vous savez, moi je ne sors pas d’ici, ce n’est pas moi qui irais vous dénoncer.

Lucas. — Madame, je vous en conjure, écoutez-moi ! Je vous jure que je n’ai rien fait de répréhensible, mais j’ai besoin de me retrouver seul dans un endroit tranquille… J’ai besoin de calme… Je suis fatigué… (Il se cache le visage, la tête entre les mains.)

Claire. — Allons bon ! Alors, dites-moi, qu’est-ce qui ne va pas ?

Lucas. — Ce serait trop long à vous expliquer… Plus tard peut-être… Mais pour le moment, je voudrais simplement prendre un bon bain et me reposer. Vous comprenez ? Tenez ! Je peux vous payer. (Il ressort sa liasse de billets.)

Claire. — Arrêtez de m’agiter ce fric sous le nez toutes les cinq minutes, c’est agaçant ! Bon, montez ! Deuxième étage, la chambre Edelweiss. Vous verrez, c’est marqué sur la porte, vous ne pouvez pas vous tromper… Vous pouvez commencer à vous décrasser, vous en avez bien besoin. Évidemment, vous n’avez pas de rechange… Je vais voir ce que je peux faire… Mon défunt mari faisait à peu près la même taille que vous… Vous pensez rester longtemps ?

Lucas. Oui… Quelques jours, si c’est possible…

Claire. — D’accord. Mais je vous préviens : pas d’embrouilles, c’est clair ?

Lucas. — Ah ! merci ! Merci beaucoup ! Ne vous inquiétez pas ! Tout se passera bien… La seule chose que je souhaite, c’est d’être au calme.

Claire. — À la bonne heure ! Figurez-vous que moi aussi je tiens à ma tranquillité, c’est pour ça que j’aime que les choses soient bien posées dès le début. C’est clair ?

Lucas. — C’est clair… En tout cas, merci… Au fait, c’est comment votre petit nom ?

Claire. — C’est Claire.

Lucas. — Bon, ça va ! J’ai compris ! Je vous l’ai déjà dit : pour moi aussi, c’est clair.

Claire. — Vous me demandez mon prénom, je vous réponds : c’est Claire… Vous saisissez ? Je m’appelle Claire.

Lucas. — Ah oui ! Je n’avais pas compris… Quand vous disiez « c’est Claire », je croyais que… Mais maintenant, tout s’éclaire, vous êtes Claire, c’est clair.

Claire. — Mais oui, c’est ça… Et vous ? C’est comment ?

Lucas. — Moi ? Euh… c’est… Nobodi… Je m’appelle monsieur Nobodi… C’est par là, n’est-ce pas ? (Il se dirige vers la porte menant vers les chambres, l’ouvre, sort, puis ouvre à nouveau la porte. Seule sa tête apparaît. Il tient à deux mains le côté de la porte.) Pour les vêtements, c’est d’accord ? Vous allez m’en trouver ?

Claire. — Si je vous le dis ! Mais ne laissez pas vos mains comme cela, vous allez vous coincer les doigts.

Lucas. — Vous avez raison… Entre la fermeture et Claire, mieux vaut ne pas mettre les doigts.

Il sort.

Claire. — Encore un drôle de zozo que je viens de récupérer, là… Ce n’est pas qu’il a l’air méchant, mais à mon avis il n’est pas net… Pas net du tout. (Entrée de Marie qui vient des chambres. Elle a un bandeau dans les cheveux et une tenue de travail maculée de peinture.) Tiens, voilà la plus belle !

Marie. — Alors ? T’as un nouveau client ? Je viens de le croiser dans l’escalier… Dis donc, il n’est pas causant… J’ai voulu entamer la conversation, mais il s’est contenté de grommeler je ne sais quoi tout en se tenant la tête. Il m’a paru bizarre… Qu’est-ce qu’il a ? Il est malade ?

Claire. — Ça, ce n’est pas impossible… et si ça se trouve, c’est même un grand malade.

Marie. — Pourquoi dis-tu cela ?

Claire. — Non, pour rien, rassure-toi ! Je ne pense pas qu’il soit vraiment dangereux, non… Je pense plutôt qu’il a l’air épuisé… Complètement au bout du rouleau.

Marie. — Un peu comme moi ! Moi aussi, tout à l’heure, j’étais au bout du rouleau. Là, ça y est, j’ai fini… Tu pourras venir voir. Ce vert pomme, c’est sublime.

Claire. — Comment cela, vert pomme ? Si je t’ai demandé de repeindre la chambre bleue, c’était bien pour la repeindre en bleu, pas en vert pomme ! Vert pomme ! N’importe quoi ! Franchement, y a des jours… Je trouve que t’en tiens une sacrée couche !

Marie. — Oh ! ça va ! Il n’y a pas mort d’homme ! Je me suis juste un peu emmêlé les pinceaux, voilà tout !

Claire. — Reconnais tout de même que parfois tu m’en fais voir de toutes les couleurs.

Marie. — Ah ça ! Quand on fait de la peinture, c’est normal, mais… (Elle se met à chanter tout en l’enlaçant.) « Quand elle me prend dans ses bras, qu’elle me parle tout bas, je vois la vie en rose… » (Elle veut lui faire une bise sur la joue.)

Claire. Oh ! arrête ! Tu sais bien que je n’aime pas cela ! Pire qu’une chèvre à vouloir me lécher tout le temps !

Entrée d’Aimé.

Aimé. — Vous ne voulez pas vous faire lécher ? Eh bien, vous avez tort ! Depuis le temps, vous devriez le savoir. N’oubliez pas : l’avenir appartient à ceux qui se lèchent tôt.

Claire. — Tiens, il ne manquait plus que celui-là ! Qu’est-ce que tu fais là ? Tu ne devais pas aller au village ?

Aimé, embrassant les deux femmes. Bien sûr que j’y suis allé, mais je suis revenu… Tenez, Claire, je vous ai apporté du pâté de lapin.

Claire. Merci, Aimé, ça c’est gentil !

Aimé. — C’est moi qui l’ai fait avec du râble de lapin. Uniquement avec du râble de lapin. Parce que vous me connaissez : moi, je suis pour le développement du râble !

Claire. — Eh bien, merci. Je vais tout de suite le mettre au frais.

Elle sort vers ses appartements privés.

Aimé, à Marie. Dis-moi, Marie, tu cherches à concurrencer les couvreurs ? Tu fais de la peinture sur toi ? Regarde-moi ça ! T’en as partout… Remarque, ça te va bien. C’est décoratif.

Marie. — C’est ça, moque-toi ! En attendant, si tu voyais le travail, tu serais épaté ! Tu veux voir ?

Aimé. — Je serai le premier ?

Marie. — Ben oui !

Aimé. — Si c’est pour un vernissage, je suis verni. Allons donc de ce pas visiter l’exposition de notre grande artiste peintre. Mais avant… Ne bouge pas ! (Il pousse la porte d’entrée et revient avec une valise.)

Marie. — Qu’est-ce que c’est que cette valise ? Tu pars en voyage ?

Aimé. — Non, pas du tout… Figure-toi que ce matin, au village, un type m’a demandé le chemin du Paradis. Je lui ai dit que ça tombait bien, vu que j’habitais juste à côté, alors il m’a dit qu’il devait y apporter une valise à un ami, mais qu’il avait un contretemps et qu’il allait devoir reprendre le train… Quand je l’ai vu dans l’embarras, le pauvre, je lui ai proposé de le dépanner… C’est pourquoi je lui porte sa valise… Mais je ne voudrais pas qu’on me la pique.

Marie. — Ici ? Au Paradis ? Tu as déjà vu des voleurs ?

Aimé. — On ne sait jamais. Même au Paradis, ne tentons pas le diable.

Il porte la valise et ils sortent vers les chambres.

Entrée de Claire, venant de ses appartements. Elle porte une valise.

Claire. — Et voilà ! Avec ça, il va pouvoir s’habiller quelques jours… Mais où sont-ils donc passés ? (Son portable se met à sonner. Elle répond.) Allô !… Ah ! c’est l’escaladeuse… Ça va. Et toi ?… Tu m’amènes des clients ? Mais ce n’était pas prévu… Non, non… Il n’y a pas de problème… À tout à l’heure ! (Elle raccroche.) Les clients arrivent… Faudrait peut-être que j’aille aérer les chambres. Le touriste, ça aime respirer l’air pur. (Avisant la valise.) Ah oui ! Les affaires pour le dépressif… Oh ! de la crotte ! Je veux bien rendre service, mais je ne suis pas sa bonne… Je vais lui dire de venir la chercher lui-même.

Elle sort vers les chambres. Aussitôt après, entrée de Jean-Paul. Après être resté sur le pas de la porte à inspecter les lieux, il s’avance vers le comptoir, s’empare de la bouteille d’eau et boit goulûment.

Jean-Paul. — Je ne me rappelais plus que l’eau pouvait avoir aussi bon goût ! Ah ! ça fait du bien ! Tu parles d’une montée pour venir jusqu’ici ! J’ai cru que je n’allais jamais y arriver… Quelle idée de s’être donné rendez-vous dans un endroit pareil ! « Tu verras, l’endroit est magnifique. En plus, on sera peinards, on ne risque pas d’être dérangés. » Et tout ça pour me poser un lapin… « Je ne serai pas là, mais la valise y sera » qu’il m’a dit lorsqu’il m’a retéléphoné… Bon ! Faut que j’arrête de me lamenter… La valise est là, c’est le principal… C’est curieux, il n’a pas l’air d’y avoir grand monde… Il faudra récompenser le porteur, qu’il m’a dit Luigi… Mais moi, je ne vais pas rester attendre des plombes… Faut encore que je redescende. (Il porte la valise.) Oh là là ! Si j’avais su, j’aurais loué un mulet… En attendant, c’est moi la mule.

Il sort. À peine est-il sorti que des chambres arrivent Marie et Aimé.

Aimé. — Quel talent ! Mais quel talent ! Je n’ai jamais vu des murs aussi bien peints… Si, si ! Je t’assure ! La grande classe ! Je vais te dire : c’est bien simple, à côté de toi, Marie Laurencin fait carrément figure d’amatrice, tu peux me croire.

Marie. — Qui c’est encore celle-là ?

Aimé. — Marie Laurencin ? Tu ne connais pas ?

Marie, boudant. Encore une que t’as cherché à embobiner ? Tu dis que tu t’intéresses à moi, mais je vois bien que tu connais plein d’autres filles… Mon petit Aimé, je te connais : dès que tu vois un bout de jupon, tu ne peux t’empêcher de faire le joli cœur… Ah ! Aimé ! On peut dire que tu le portes bien ton nom. « Aimez-moi les unes les autres. » C’est ça ta devise ? Tiens ! Ta Marie Laurencin, je suis sûre que tu lui as fait le même baratin que celui que tu m’as servi à l’instant.

Aimé. — Qu’est-ce que tu peux être jalouse ! C’est dingue ! Une vraie tigresse ! Au fait, la tigresse, veux-tu voir les agneaux qui sont nés hier ? Je veux bien te les montrer si tu me promets de ne pas les dévorer.

Marie. — C’est toi que je vais bouffer tout cru si tu t’avises de vouloir tourner autour d’autres filles que moi… Alors, c’est vrai ? Tu as de nouvelles naissances ? De quelle couleur sont-ils ? Ne me dis rien ! Je préfère avoir la surprise… Allons-y ! Mais vite fait, alors, parce que la patronne va sûrement me chercher partout et je vais me faire enguirlander.

Aimé. — Faut reconnaître qu’elle n’est pas toujours facile, la Claire… Elle râle tout le temps. Tiens, je suis sûr que même sur son lit de mort, elle continuera de râler. (Il fait le mourant.) Argh ! Argh !

Marie. — Qu’est-ce que tu peux être bête ! Ne dis pas du mal de Claire ou je te casse la tête ! Tu sais bien qu’il n’y a pas plus brave femme à des kilomètres à la ronde… Crois-moi, le Paradis porte bien son nom et, moi, je suis bien contente d’y travailler.

Aimé. — On est d’accord… Alors, tu viens les voir les agneaux ?

Marie. — Allons-y ! Je te suis !

Aimé. — Après vous, très chère… Oh ! mince, la valise ! Je l’avais oubliée.

Marie. — Laisse-la donc ! Tu l’as portée jusqu’ici, c’est bon ! Tu ne vas pas la couver toute la journée ! Le gars qui doit la récupérer n’aura qu’à la prendre, voilà tout !

Aimé. — Oui, bien sûr… Tu as raison… Je vais juste laisser un mot, comme ça il saura que c’est pour lui. (Il sort un papier et écrit.) « De la part de Luigi. »

Marie. — Qui c’est Luigi ?

Aimé. — Luigi ? C’est le nom du gars qui m’a confié la valise.

Marie. — Et il t’a fait confiance en te la laissant ? Avec la tête de truand que tu te paies ? Faut pas avoir peur...

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