Les Calissons d’Aix

Cette pièce est extraite de “Spécialités françaises”, un recueil de trois pièces courtes écrites par Nicole Genovese :
“Les Haricots de Paimpol”
“Les Calissons d’Aix”
“L’andouille de Vire”

Cette auteure est assimilée à un théâtre comique qui baigne dans une atmosphère néo-absurde. Entre vaudeville et surréalisme, ce recueil crypto-antipatriotique tourne en dérision trois traits de notre fameux caractère français : l’orgueil, la mauvaise humeur et bien sûr la gastronomie !




Les calissons d’Aix

Les calissons d’Aix

Sur le quai d’une gare, plusieurs passagers attendent le train depuis longtemps.

Luce, à un autre passager, Léon. — Pardonnez-moi, monsieur, savez-vous si le train passera ?

Léon. — Je l’attends comme vous, je n’en sais trop rien, cela va bientôt faire dix minutes de retard.

Luce. — Merci. (Silence.) Vous connaissez bien cette ligne ?

Léon. — C’est-à-dire ?

Luce. — Vous prenez souvent ce train ? Il est souvent en retard ?

Léon. — Ma foi, non, je dirais que c’est exceptionnel. Il viendra, tranquillisez-vous. (Silence.) Oui.

Luce. — Pardon ?

Léon. — J’ai oublié de vous répondre tout à l’heure : oui.

Luce. — Ah ! très bien.

Silence.

Léon. — Oui : je connais bien cette ligne et je prends souvent ce train.

Luce. — Oui, d’accord. Merci.

Silence.

Léon. — Je le prends pour aller à mon travail. Je suis secrétaire.

Luce. — D’accord.

Léon. — Je travaille à Aix.

Luce. — D’accord, d’accord.

Silence.

Léon. — Je suis secrétaire dans un cabinet médical.

Luce. — Mm.

Léon. — Un cabinet de radiologie.

Luce. — Très bien.

Silence.

Léon. — Je prends ce train tous les matins, je peux…

Une troisième passagère lui coupe la parole ; c’est Monique.

Monique, à Léon. — Vous voyez bien que vous l’importunez ! Vous ne pouvez pas rester dans votre coin et ne parler à personne, comme tout le monde ? Rhôô…

Léon. — Je… J’ai…

Luce, à Monique. — Merci, madame, mais je sais très bien me défendre toute seule.

Monique. — Quel lourdaud, celui-là !!! C’est un comble !!!

Luce. — Ça va aller, madame.

Monique. — Franchement ! Et je prends le train tous les jours ! Et je travaille à Aix ! Et je suis cardiologue ! Suffit ! On a compris !

Léon. — Mais je…

Monique. — Mon mari a travaillé trente-cinq ans à Aix, et il en fait pas tout un fromage ! (Son mari opine en silence.) Patientez tranquillement et vous serez récompensé de foutre la paix à votre monde, croyez-moi ! Oh !

Silence.

Un randonneur arrive.

Le randonneur, à Luce. — Bonjour, j’ai raté le 8 h 12 ?

Luce. — Bonjour. Non, il est en retard.

Le randonneur. — Ouf !

Il se pose avec son sac.

Léon, au randonneur. — Vous randonnez ?

Le randonneur. — Ça me semble évident, non ?

Léon. — C’est chouette, les randonnées, par ici, il y a le…

Monique. — Mais c’est pas vrai ! Le voilà encore qui fait son guillaume ! son mari.) Enfin, Bernard, dis quelque chose !

Bernard. — Euh…

Monique, au randonneur. — Excusez ce monsieur, il est impossible ! Voilà dix minutes qu’il nous bassine avec ses remarques !

Le randonneur. — Je vois le genre.

Bernard, au randonneur. — Vous revenez des Pillettes ?

Monique. — Tu vas pas t’y mettre, toi aussi !

Le randonneur. — Non, j’ai marché jusqu’au col de la Cagoule.

Léon. — C’est joli, les Pillettes…

Bernard. — Y a des asperges sauvages…

Le randonneur. — J’ai pas vu les asperges.

Monique, fond en larmes. — Ça suffit, mais ça suffit !…

Bernard. — Ma Monique… Qu’est-ce qui te prend ?

Monique. — Le silence ! Le silence !… Tout le monde parle, bouge, fait du vélo… tout le temps, ça n’arrête pas… les voitures vont chercher du pain, les machines à laver tournent la nuit, les musiciens chantent dans les cafés… y a les marteaux-piqueurs, les avions, les autoroutes, les caisses enregistreuses… j’en peux plus… j’en peux plus… je veux du silence !

Silence.

Une nouvelle passagère rompt le silence : Mme Brousse.

Mme Brousse. — Écoutez ! (Tout le monde tend l’oreille.) Les rails sifflent… Un train approche !

Un léger sifflement se fait entendre, il augmente et en effet un train passe à vive allure sans s’arrêter. Une fois le train passé, Cléopâtre, une jeune femme déguisée en Cléopâtre, commente :

Cléopâtre. — Il est passé sans nous voir !

Le randonneur. — C’était celui de 8 h 12 ?

Luce. — Y avait des passagers, dans le train ?

Mme Brousse, décidée. — Je vais chercher un agent.

Cléopâtre. — Il est passé sans nous voir !

Mme Brousse quitte le quai.

Léon, à Luce. — Je vous présente mes excuses, j’ai complètement pété un plomb tout à l’heure avec mes histoires personnelles…

Luce. — C’est vrai que c’était déplacé.

Léon. — C’était seulement pour faire connaissance…

Luce. — Je comprends, mais vous voyez où ça nous mène : bonjour la mauvaise ambiance.

Léon. — Je sais…

Cléopâtre, toujours à propos du train. — Il est passé sans nous voir !

Luce. — J’admets que ce soit pas évident selon les caractères, mais c’est plus confortable quand chacun est replié sur soi… C’est plus simple, moins risqué, et puis c’est la loi, vous comprenez ?

Léon. — Tout à fait, tout à fait ! C’est tout à fait ça, c’est mon caractère, j’aime le risque, justement, et suis d’un naturel convivial, petit déjà j’étais un sacré…

Luce. — Attention, vous recommencez…

Léon. — C’est vrai, pardon…

Cléopâtre. — Il est passé sans nous voir !

Mme Brousse revient avec un responsable de gare.

Mme Brousse. — Il va vous expliquer !

Le chef de gare. — Bonjour tout le monde, je suis votre chef de gare. Je suis bien navré mais j’ai reçu de mauvaises nouvelles, il faut que je vous en parle, mettez-vous autour de moi parce que j’ai de la peine à parler fort. Mettez-vous là, non, ici, là, voilà, mettez-vous là, comme ça… (Ils s’exécutent.) Voilà, le train qui vient de passer est bien celui de 8 h 12, il ne s’est pas arrêté car le conducteur a eu un malaise, il semblerait qu’il soit tombé dans les pommes au volant ! Vous imaginez la catastrophe, au volant ! À présent, le train roule tout seul et, comme vous avez pu le constater, il roule à vive allure vers Aix. C’est une catastrophe.

Monique. — C’est terrible !

Cléopâtre. — Un malaise ?!

Bernard. — Y a-t-il des passagers dans le train ?

Le chef de gare. — Malheureusement oui. C’est terrible.

Bernard. — En effet, c’est terrible.

Monique. — C’est terrible.

Luce. — C’est terrible.

Le chef de gare. — Oui, c’est terrible.

Cléopâtre. — C’est terrible.

Le randonneur. — C’est terrible.

Le chef de gare. — Absolument, c’est terrible.

Mme Brousse. — C’est terrible.

Le chef de gare. — Terrible.

Léon. — On pourrait pas faire quelque chose pour aider ?

Monique. — Mais il peut rien faire comme tout le monde, celui-là ! Monsieur se prend peut-être pour un original ? Vous voyez bien que tout le monde se lamente, et vous, tout ce que vous trouvez à faire, c’est proposer votre aide ! Quel toupet !

Léon. — Mais...

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