Les julots braqueurs

Dans les années 60, dans une ambiance des films dialogués par Audiard, deux petits proxénètes, poussés par leurs gagneuses, se lancent dans un hold-up. S’en suivent trahisons et rebondissements pour s’emparer du butin du g=braquage.

Décor (1)

Deux décors différentsActes 1 et 3 : une arrière salle de bistrot parisien. Acte 2 : le salon salle à manger d’un appartement.Le mobilier nécessaire consiste en un canapé, une table de bistrot et 4 chaises, un panneau à double face. Ce mobilier reste en place pour les deux décors, et est transformé en conséquence.L’arrière salle de bistrot : le canapé est recouvert d’un tissus rouge évoquant la moleskine d’une banquette de café. La table de bistrot est nue. Le panneau suspendu au dessus de la banquette représente une publicité pour un apéritif d’époque. Côté jardin, un accès vers le bar, côté cour, la porte donnant sur les toilettes.La salle à manger-salon : le tissus rouge est enlevé du canapé, la table est recouverte d’une nappe, le panneau est retourné et présente un tableau. Côté jardin, l’entrée de l’appartement, côté cour, accès à la chambre à coucher.

LES JULOTS BRAQUEURS

Pièce en 3 actes

de

Bruno SAVIN

 

 

Personnages :

 

 

MAX (Maxime PRINCE)

Petit proxénète

GU (Gustave LHERBIER)

Petit proxénète, ami de Max

MADO (Madeleine)

Prostituée, « gagneuse » de Max

LILI (Nathalie)

Prostituée, « gagneuse » de Gu, amie de Mado

FRED (Frédéric CHARRON)

Banquier, client de Mado

Inspecteur MARCEL (Marcel MARCEL)

Inspecteur Principal à la PJ.

Inspecteur BONAL

Jeune inspecteur de la PJ, équipier de MARCEL

ALBERT

Garçon de café, propriétaire du bar

Distribution des rôles

Le garçon de café peut être remplacé par une serveuse.

En revanche, les policiers sont obligatoirement des hommes, car, à cette époque, la profession n’était pas ouverte aux femmes.

Décors

Actes 1 et 3 : une arrière salle de bistrot parisien.

Acte 2 : le salon salle à manger d’un appartement.

Le mobilier nécessaire consiste en un canapé, une table de bistrot et 4 chaises, un panneau à double face. Ce mobilier reste en place pour les deux décors, et est transformé en conséquence.

L’arrière salle de bistrot : le canapé est recouvert d’un tissus rouge évoquant la moleskine d’une banquette de café. La table de bistrot est nue. Le panneau suspendu au dessus de la banquette représente une publicité pour un apéritif d’époque. Côté jardin, un accès vers le bar, côté cour, la porte donnant sur les toilettes.

La salle à manger-salon : le tissus rouge est enlevé du canapé, la table est recouverte d’une nappe, le panneau est retourné et présente un tableau. Côté jardin, l’entrée de l’appartement, côté cour, accès à la chambre à coucher.

Notes de l’auteur

Cette pièce s’inspire des films français de gangsters des années 60, souvent sur un scénario d’Albert Simonin et des dialogues de Michel Audiard.

Elle s’inspire également du film de Claude Sautet, « Max et les ferrailleurs ». L’auteur a tellement adoré ce film qu’il lui est venu à l’esprit d’en reprendre en partie l’intrigue, mais en la transformant et en la transposant dans le monde d’Audiard et de Simonin. L’acte 2 pourrait faire croire que la pièce reprend l’intrigue du film.

L’auteur s’est également attaché à replacer l’action dans son contexte historique. Les informations suivantes sont toutes vérifiées, comme indiqué ci-dessous.

Références chronologiques et historiques

  • L’action débute en novembre 1963, et se continue vers mai-juin 1964.

  • Les nouveaux francs sont apparus en 1960.

  • John Kennedy a été assassiné le 22 novembre 1963.

  • L’attaque du train postal Glasgow-Londres a eu lieu le 8 août 1963.

  • La chanson de Brel, les bonbons, est sortie en 1963.

  • Le transfert des Halles de Paris vers la banlieue fut décidé en 1962. Le Marché d’Intérêt National de Rungis ouvrit en 1969.

  • La brigade de recherche et d’intervention (BRI), surnommée l’anti gang, a été créée en 1964.

  • La série télévisée « Les Incorruptibles » a été diffusée en France en janvier 1964.

  • Le SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti) a été instauré en 1950. Il a été remplacé en 1970 par le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de croissance).

  • Le Marché Commun remonte à 1957.

  • Une tempête a soufflé les 17 et 18 novembre 1963 sur les côtes ouest de la France, notamment sur les Charentes Maritimes.

  • 22 août 1962 : attentat du Petit Clamart.

  • De nombreuses références à l’Espagne dirigée à l’époque par le Général Franco. Le pays était déjà une destination touristique.

Notes biographiques

Petite biographie des personnages de cette pièce.

Gustave LHERBIER, dit « GU », et Maxime PRINCE, dit « MAX ».

Attardons-nous sur ces deux fringants quadragénaires. Si cette notice biographique est un peu plus longue que pour les autres protagonistes, c’est parce que ces deux personnages font parfois allusion à leur passé.

Amis dés les bancs de la communale, ces deux esprits curieux, peu soucieux de nos ancêtres les Gaulois, s’intéressèrent à la thermodynamique, notamment au phénomène d’échange de température entre le radiateur du fond de la classe et l’air ambiant.

Rapidement, ils délaissèrent la science pour se consacrer au commerce. En avance sur leur temps, ils inventèrent dés les années 1930 le « Hard Discount ». Considérant que les commerçants de leur quartier vendaient leurs produits trop cher, ils eurent l’idée d’en prélever pour les revendre à prix cassés à une clientèle choisie. Les bénéfices furent au rendez-vous, mais la faillite arriva bien vite, et leur entreprise fut mise en liquidation judiciaire, à coups de canne sur leurs fonds de culottes !

Trop jeunes en 1939 pour être appelés sous les drapeaux, nos deux compères, patriotes ardents, furent quasiment tétanisés par l’armistice, et profondément choqués par l’avènement de l’État Français du Maréchal Pétain. En total désaccord avec la devise du nouveau régime, « Travail, Famille, Patrie », surtout d’ailleurs avec le premier terme, ils reprirent leurs activités commerciales, dans un environnement plus propice aux affaires, communément appelé « marché noir ».

En 1943, alors âgés de 20 ans, ils furent conviés à visiter l’Allemagne dans le cadre du STO, le service du travail obligatoire mis en place par le régime de Vichy.

Outre le déchirement d’avoir à quitter la Mère Patrie, ce service obligatoire comportait encore le vocable maudit : TRAVAIL.

Aussi, ils entrèrent dans la clandestinité, mettant leurs compétences aux service des maquis, qu’ils approvisionnaient en produits de première nécessité, le plus souvent réquisitionnés par leurs soins à la Wehrmacht.

A la libération, ils tâtèrent de l’import-export, surtout l’importation de produits américains, alors disponibles en grande quantité.

Constatant l’ignorance totale des GI’s de la culture européenne, et notamment de la galanterie française, ils profitèrent en 1946 de la fermeture des maisons closes pour explorer un nouveau marché.

Recrutant des collaboratrices expérimentées, ils fondèrent alors avec succès leur « Start-up ».

Depuis, ces messieurs continuent à promouvoir le savoir faire féminin…

Fidèles au concept de la petite entreprise, ils n’ont chacun qu’une seule collaboratrice qui leur assure le boire et le manger, ainsi que l’achat des costumes et les mises au poker et au PMU.

Dans l’argot du milieu, ce sont des « julots casse-croute ».

Max a l’apparence du malfrat du milieu des années 60 : costume chic un peu voyant. C’est le plus malin des deux.

Gu est le copain d’enfance type, admiratif de Max et dévoué. Il a un aspect un peu plus « gavroche ».

Madeleine, dite MADO et Nathalie, dite LILI.

Madeleine est la plus agée des deux (entre 30 et 40 ans) et donc a plus d’expérience dans le métier. C’est une femme de tête, qui sait gérer sa barque. Elle est originaire du sud de la France, et on peut lui donner sur scène un accent marseillais.

Elle travaille en exclusivité pour « l’amour de sa vie », Max. Mais rapidement, le manque d’esprit d’entreprise de celui-ci commence à lui peser et elle se verrait bien gérer quelques collaboratrices supplémentaires.

Aussi, lorsque l’opportunité de réaliser un gros coup très rémunérateur se présente, elle ourdit un plan pour le casse.

Lili, quand à elle, est plus jeune (entre 20 et 30 ans) et ingénue, voire un peu « nunuche », comme on disait à l’époque. Tombée amoureuse de Gu, elle assure la subsistance de son Jules. Néanmoins, elle s’est liée d’amitié avec Mado, et se rallie à son plan pour gagner leur indépendance.

Inspecteur Principal Marcel MARCEL et inspecteur BONAL

L’inspecteur principal Marcel est âgé d’une cinquantaine d’années et très expérimenté. Cependant, il est déçu de la vie et notamment de la maigre rémunération des serviteurs de l’État. Il va donc basculer dans la délinquance au détriment de nos deux julots.

Bonal, lui, est un jeune inspecteur dans la vingtaine qui à l’origine avait la vocation. Mais son affectation en binôme avec Marcel en a rapidement eu raison.

A bonne école avec son mentor, il devient son disciple et l’équipe fonctionne bien, un peu à l’instar des Dupont-Dupond.

Frédéric Charron, dit FRED

Directeur d’agence bancaire, il est dans la cinquantaine. Bel homme, bonne éducation, bonne présentation, il est lui aussi déçu de la vie, jugeant que ses capacités dans le monde de la finance sont mal rémunérées. Aussi, il décide de monter un plan machiavélique pour dérober l’argent de sa banque, en manipulant Mado.

ALBERT

Albert n’a pas de passé que l’on peut évoquer. Personnage effacé, sans âge précis, il débute les actes 1 et 3 par un monologue. Durant toute l’action, il semble jouer les utilités, partie intégrante du décor, mais il sera à l’origine du rebondissement final.

C’est le seul personnage qui peut être remplacé par une femme. Mais il faudra réécrire quelques répliques en interaction avec les filles.

Synopsis

Acte 1

En ce beau jour du 24 novembre 1963, Max et Gu décident de changer leurs méthodes et de faire travailler leurs « gagneuses », Mado et Lili, en appartement. En effet, le trottoir ne rapporte plus autant qu’avant. Apparaissent alors deux policiers de la PJ, qui recrutent nos deux maquereaux comme indics.

Acte 2

Six mois ont passé. Les deux filles sont installées dans leurs meubles. Elles se sont constitué une bonne clientèle. Mado, en particulier, a un client directeur d’une agence bancaire du quartier des halles.

Celui-ci se laisse aller à quelques indiscrétions sur le fonctionnement de son établissement, révélant en particulier que chaque fin de mois, de grosses sommes en liquide affluent vers son agence.

Mado envisage un hold-up. Elle pense alors à Max et Gu, les deux « julots », qui, d’abord réfractaires à l’idée, acceptent finalement de braquer la banque.

Acte 3

Nous sommes au lendemain du braquage, qui s’est déroulé sans le moindre accroc.

Les deux macs décident alors de laisser tomber leurs filles et de disparaître avec l’argent.

Arrive alors le banquier qui les menace d’une arme et leur prend leur butin pour son propre compte. En fait, il avait manipulé Mado pour qu’elle monte le coup, pour qu’ensuite, il tire les marrons du feu.

C’était compter sans les filles qui surgissent sur ces entre-faits et qui avaient elles aussi comploté pour garder l’argent pour elles seules. Elles filent avec l’argent.

Alors que les trois personnages se lamentent sur leur sort, arrivent les deux policiers. Les macs produisent un alibi et les envoient sur une fausse piste.

Alors que les macs et le banquier réfléchissent sur leur avenir, retour des policiers qui ramènent les filles et le butin. Profitant du fait que personne ne peut porter plainte, ils décident à leur tour de subtiliser l’argent.

Ils prennent la fuite, mais sont à leur tour arrêtés.

Ils sont donc 7, les macs, les prostituées, le banquier et les deux flics véreux, en état d’arrestation. Ils ont été dénoncés par un personnage qui n’apparaît que très peu dans la pièce, le garçon de café, qui pourra ainsi profiter de la récompense offerte par la banque à qui permettra de récupérer le butin.

Moralité : le crime ne paie pas.

Acte 1

Scène 1

Albert

Décors : l’arrière salle d’un café parisien

Date : 24 novembre 1963, 18h00

En fond, la radio diffuse les informations, on parle de l’attentat qui a causé la mort du Président Kennedy, qui a eu lieu le 22 novembre 1963, ce qui permet de situer l’époque de l’action.

Enregistrement diffusé en off :

Jingle Europe 1 :

Speaker : « Europe 1, 24 novembre 1963, il est 18 h. Au sommaire de ce flash d’information l’assassinat du président des États Unis John Fitzgerald Kennedy, dont les funérailles auront lieu demain 25 novembre. Déjà des voix s’élèvent pour affirmer que Lee Harvey Oswald n’était pas le seul tireur. Ah, nous apprenons à l’instant que Oswald vient lui-même d’être assassiné il y a 40 minutes à Dallas. En attendant de développer cette information, voici les prévisions météo d’Albert Simon.

Albert Simon : Après les fortes tempêtes des 17 et 18 novembre, le temps revient au beau et les températures resteront dans les normales saisonnières. Il y aura de belles éclaircies sur l’ensemble du pays, avec des chutes de neige au dessus de 2000 mètres... »

Albert entre sur scène et commence à nettoyer la table

Albert : Ben, ils l’on pas loupé, le Kennedy. Une balle dans la tronche, et hop, plus de Président. En finale, il l’a pas volé, sa bastos. On n’a pas idée de se balader en décapotable lorsqu’on est chef de l’état. Tenez, l’année dernière, au Petit Clamart, ils étaient douze, armés de mitraillettes, pour se farcir le Général De Gaulle. Et ben, ils ont loupé leur coup. Pas fou, le Grand Charles : ils se trimballe pas en décapotable, cézigue. Toujours en DS, la reine des voiture.

D’ailleurs, dés que j’aurai du pognon, je m’en paierai une, de DS. Le modèle haut de gamme, avec les sièges en cuir. Un vrai pullman, cette caisse. On a l’impression de voyager sur un nuage.

Enfin, avec ce que je gagne dans la limonade, c’est pas demain la veille...

Scène 2

Max, Gu, Albert

Max et Gu entrent dans l’arrière salle

Albert : Bonjour, Monsieur Max, bonjour Monsieur Gu

Max : Salut, Albert…

Gu : Salut, Albert…

Albert : Z’avez entendu à la radio, l’attentat contre Kennedy ?

Gu : Tu parles, Charles, difficile d’y échapper. A la radio, dans la téloche, même dans la rue, on cause que de ça. Bon, c’est pas le tout, Albert, tu nous ramènes deux pastagas bien tassés.

Albert : C’est comme si c’était fait !

Max et Gu prennent place à la table

Max : C’est drôle c’te manie qui z’ont les ricains de buter leurs Présidents !

Gu : J’l’ai toujours dit : ces mec-là, z’ont pas le caberlot structuré comme nous. Faut qu’y flinguent à tout va. Les States, c’est Chicago !!!

Max : Après tout, les mœurs locales, ça se respecte. Les pygmées se collent des os dans le pif, les ricains, eux y butent leurs présidents. C’est culturel, quoi !

Gu : Heureusement qu’y-a l’Atlantique qui nous sépare de ces branques !

Max : Tu parles, mon pote. Elle est pas encore assez large, la mare aux harengs !

Gu : Qu’est-ce que tu veut dire ?

Max : J’veux dire qu’à chaque fois qu’y font des conneries, on paie la douloureuse !

Gu : Explique ?

Max : Depuis que le Kennedy s’est fait refroidir, les michetons sont collés devant leurs postes de radio ou de téloche, histoire de se rencarder sur le mystère de la balle magique. Pendant c’temps là, y grimpent pas nos gagneuses !

Gu : C’est vrai, c’que tu dis là, Max. Ces deux derniers jours, Lili n’a pas beaucoup dérouillé.

Max : Kif-kif pour ma Mado. J’te dis, c’est comme en 29. Chaque fois qu’un banquier de Wall Street se balançait par la fenêtre, un petit entrepreneur français mettait la clé sous la lourde.

Gu : Que veux-tu, Max, c’est la mondialisation de l’économie. Depuis 1918, les Cow-boys font la loi sur la planète.

Max : C’est profond, c’que tu dis là, Gu. (en criant) Albert, ça vient ces pastagas !

(Arrivée du garçon avec les pastis.)

Albert : Alors, les hommes d’affaires, vous me semblez un tantinet moroses. Qu’est-ce qui se passe ? Les bourses sont en baisse ?

Max : Arrête tes charres, môme. Ton taf, c’est de nous apporter le pastaga, alors te mêle pas des affaires des hommes.

Albert : Désolé, Môssieu Capone,

Gu : Alors tu caltes avant qu’on s’foute en rogne!

(Sortie du garçon de café goguenard.)

Gu : J’te jure, y-a plus d’respect. Et Mado, ça baigne pour elle ? Où-ce qu’elle bosse maintenant ?

Max : Pour l’instant, elle tapine vers la Madeleine.

Gu : Et ça affure bien ?

Max : Y’a pas de quoi pavoiser. J’comptais sur le dévot, le pratiquant assidu. Un p’tit coup de confessionnal, et après la grimpette coquine pour terminer l’nettoyage, mais de nos jours, les lieux de culte se désertifient.

Gu : C’est du propre pour un pays qui était la fille aînée de l’église.

Max : Et de ton côte, Lili… ?

Gu : Elle bosse vers l’Opéra. Je tente ma chance dans le culturel.

Max : Et ça donne bien ?

Gu : L’un dans l’autre, j’fais à peine mes frais. Ça boume un peu en fin d’aprème. Parsifal en matinée, et la flûte enchantée dans la foulée. Et le mélomane est plutôt généreux avec l’artiste.

Max : On est quand même en plein marasme. Quand une nana peut plus nourrir son jules, c’est tout un pan de la civilisation qui s’écroule.

Gu : On va quand même pas aller bosser à l’usine comme des caves ?

Max : Parle pas des horreurs, Gu. T’imagines, des hommes comme nous, dans l’métro à 6 plombes du mat’ ? Non, faut qu’on s’remue.

Gu : T’as un plan ?

Max : Officiel, Gu. J’envisage de me tourner vers d’autres marchés, au sens propre du terme. J’vais tenter le coup dans le quartier des Halles.

Gu : Oh, Max, tu dérailles ! Mado va quand même pas éponger les forts des Halles sur un tas de trognons de choux.

Max : Te cailles pas, mec. Aux Halles, y’a un max de types pleins aux as, mandataires, grossistes… Z’on des biftons plein les fouilles, et entre deux bahuts d’artichauts, y crachent pas sur l’intermède coquin. C’est ce genre de gaziers qui faut viser.

G: J’te signale, Max, que le quartier des Halles, question pain de fesse, c’est pas le désert de Gobi ! A 3 radasses au mètre carré rue Saint Denis, c’est pas la conquête de l’Ouest, mais plutôt le métro à 6 plombes du soir !

Max : Attend, mec, faut que j’t’explique. Fini le carré de bitume. Elle vont plus arpenter le trottoir, nos greluches. On va les installer dans leurs meubles, façon Pompadour. Intérieur classe, stylé, lumière tamisée, musique langoureuse, champ’ dans des flûtes en cristal, bref, tout sera luxe, calme et volupté !

Gu : Dis donc, y’aura des frais. Faudra payer le loyer, les notes d’électricité et le gaz. T’es sur que c’est rentable, ton bizeness ?

Max : Les prix seront en rapport. Imagine, nos nanas ne seront plus des putes, mais des courtisanes, des hôtesses. C’est pas le même tarif.

Gu : Des hôtesses pour s’envoyer en l’air, t’es sur que tu confonds pas avec Air France ?

Max : Voyons, Gu, faut vivre avec son temps. Le luxe se démocratise, de nos jour. Le SMIG est à la hausse, les bagnoles sont de plus en plus abordables. Tiens, t’as qu’à voir l’autoroute de l’Ouest le mardi soir. Et puis, maintenant, tout le monde peut se payer une téloche. Alors, pourquoi nous aussi, on ne profiterait pas de l’expansion économique.

G: (réfléchissant) Ça m’botte bien, ton affaire. La conquête de nouveaux espaces, l’esprit aventurier… C’est vrai qu’on avait tendance à s’encroûter.

Max : Je savais que je pouvais compter sur toi.

Gu : Et puis, fondamentalement, c’est toujours le même métier. Nos bergères grimpent des michetons, et nous, on enfouille le carbure. Gigo, Max, je te file le train sur ce coup-là.

Max : Allez, à la nôtre, Gu.

Gu : A ta santé, Max.

Max : Gu, j’t’ai déjà dit qu’y’a des mots qui portent la poisse !

Scène 3

Max, Gu, Marcel, Bonal

Entrée des inspecteurs de police.

Marcel : Salut les hommes, pardonnez si j’me trompe.

Gu : Qui c’est, ces lavedus ?

Max : Gu, permets moi de te présenter Monsieur l’Inspecteur Principal Marcel. Pour être plus précis, Marcel MARCEL. Son vieux était bègue, alors quand il l’a déclaré à l’état civil…

Gu : C’est marrant. Remarque, moi, j’avais un pote qui était bègue, mais lui, son bégaiement se tenait au niveau de l’entresol.

Max : Alors ?

Gu : Alors, il a eu des jumeaux.

Marcel : (S’adressant à son collègue) Tu vois, Bonal, ces messieurs ont de l’humour. Faudrait penser à louer leurs services pour animer le prochain banquet des œuvres de la Police.

Max : Bon, que nous vaut le plaisir de la visite de la maison poulaga ? Vous êtes passé à la Mondaine, maintenant ?

Marcel : Non, non. Je suis toujours à la PJ. Tu sais, moi, le pain de fesses, c’est pas mon truc. Mais puisqu’on en est aux présentations, voici mon jeune équipier, l’inspecteur Bonal. Bonal, permets-moi de te présenter ces deux beaux spécimens. Tout d’abord, Monsieur Maxime Prince. Et oui, ça ne s’invente pas. Quoique, dans son domaine, c’est plutôt le roi. Le roi des palmés! Actuellement, tu as la chance de le contempler au plus fort de son activité. Pas vrai, Max ?

Max : Oh, Monsieur l’Inspecteur…

Marcel : Principal, Inspecteur Principal. Le second de ces messieurs s’appelle Gustave Lherbier, Gu pour les amis. Certains pensent qu’il s’agit du diminutif de Gulliver, attendu que monsieur fréquente assidûment une certaine Lili qui exerce le métier de prostituée.

Gu : Gulliver et Lili pute ! Pour la trouver, celle-là, vous avez dû vous y mettre à toute la brigade.

Max : Et encore ! Y’en a la moitié qui l’ont pas encore pigée. Y suivent les cours de rattrapage.

Bonal : Dites donc, Monsieur le Principal, ils sont plutôt taquins, vos deux oiseaux. (se frottant le poing droit dans la main gauche) Tout d’un coup, je me sens moi aussi d’humeur taquine…

Marcel : Du calme, mon petit Bonal, du calme. D’ordinaire, je ne suis pas farouchement opposé à quelques taloches…

Gu : Des taloches, tu parles, Charles, des gnons, oui…

Max : C’est pas pour rien qu’on appelle votre maison les établissements tape dur !

Gu : Même qu’on raconte que vous être médaillés olympiques du bourre-pif.

Bonal: Vous n’iriez quand même pas prêter l’oreille à de tels ragots.

Marcel : « Serais-tu aussi chaste que la glace et aussi pure que la neige, tu n'échapperais pas à la calomnie. » Shakespeare, Hamlet.

Gu : L’a rien écrit sur le foutage de gueule, ce mec là ?

Marcel : Après cet intermède culturel, j’aimerais que nous ayons une conversation entre hommes du monde.

Bonal : Une conférence au sommet, genre Yalta.

Max : On peut fumer le calumet de la paix, pendant qu’on y est…

Marcel : (à Bonal) Je t’avais dit que c’était des petits mariolles, ces deux zigotos. Donc, ces messieurs exercent la respectable profession de proxénète. Maquereau, barbeau, hareng, comme on dit dans leur milieu. Mais ceux-là ne sont pas encore passés à l’ère industrielle. Il ont chacun une seule gagneuse, juste de quoi payer leurs costards, le PMU et les notes de gaz. Ce qu’on appelle des julots casse-croûte. Le bas de l’échelle, quoi.

Gu : Si vous ajoutez le mépris à l’invective, Monsieur le principal, la conversation va tourner court.

Marcel : (sarcastique) Mon p’tit Gu, aurais-je offensé ta pudeur ? J’en suis vraiment désolé.

Gu : Y’a pas d’mal.

Max : Mais tout cela ne nous dit toujours pas pourquoi le Quai des Orfèvres s’intéresse à nous.

Marcel : Bonal, tu peux affranchir ces messieurs ?

Bonal : Bien sur, Monsieur le Principal. Au 36, nous sommes confrontés à des actes délictueux de plus en plus graves : hold-up, braquages en tous genres, assassinats, bref, recrudescence du crime.

Gu : Nous vivons dans un monde de fureur et de violence.

Max : O tempora, o mores !

(Silence, stupeur de Bonal, air interrogateur de Gu, Marcel rigole)

Bonal : C’est quoi, ça ?

Marcel : Ça, c’est du latin.

Bonal : Et qu’est-ce qu’il veut dire par là ?

Marcel : La même chose que l’autre.

Max : Bon, puisque la conversation ne concerne pas directement notre bizness, on peut peut-être vous offrir quelque chose à boire ?

Marcel : Aimable invitation, mon petit Max, mais je dois la décliner pour deux raisons : la première est hépatique, l’alcool est mauvais pour le foie, la seconde est éthique, je ne trinque jamais avec les malfrats.

Gu : Ça y’est, le v’la qui recommence !

Marcel : Bonal, continue ton exposé.

Bonal : Donc, criminalité en forte progression. Notez bien que le phénomène n’est pas exclusivement français. Au mois d’août dernier, des bandits ont attaqué le train postal Glasgow-Londres…

Max et Gu se lèvent en criant.

Max : On y est pour rien, on a jamais mis les nougats chez les rosbifs !

Gu : Même qu’on cause pas leur patois !

Bonal : Quel bel élan de sincérité !

Marcel : J’ai toujours été sensible aux partitions à deux voix.

Bonal : Rassurez-vous, on ne vous a jamais soupçonné. Ces mecs là, ce sont des pros, des épées, comme on dit chez vous. En ce qui vous concerne, vous ne seriez pas capables de piquer un roudoudou chez la boulangère sans vous faire gauler. Non, ce que l’on va vous demander, c’est beaucoup...

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