Mission 47 à Palerme

Genres :
Thèmes : · · · · · · ·
Distribution :

« Mission 47 à Palerme ou les raviolis étaient fourrés au maquereau »
Recette :
Prenez un couple d’Esturgeon, deux hôteliers véreux, trois siciliens mafieux à point, saupoudrez de quelques agents secrets, dont un russe et un de marque, James Bond en personne ! Pour pimenter le tout, ajoutez deux créatures de rêve, Larissa et Rosita. Laissez mijoter à fou rire et servez avec une bonne dose de gags… Voilà, votre mission 47 à Palerme est à point !

SCÈNE 1

 

Décor : chambre d’hôtel miteuse. Un fil à linge est tendu de part et d’autre de la scène. Musique sicilienne.

Gina arrive avec Jean-René, habillé très chaudement : il a une chapka sur la tête.

Gina - Et voilà votre chambre, Monsieur ! (Elle ramasse le linge étendu.)

Jean-René (fait le tour du propriétaire, très inquiet) - Merci madame.

Gina - Gina !

Jean-René (pose ses deux valises) - Eh bien, dites donc ma chère madame Gina, c’est plutôt spartiate comme chambre ! Pourtant vous avez trois étoiles d’affichées à la porte de votre hôtel…

Gina - Bien sûr, elles y sont, mais ce sont de vieilles étoiles, elles sont un peu filantes !

Jean-René - Je dirai même plus : complètement éclipsées ! Enfin, cela me suffira pour une nuit.

Gina - Pour une nuit ? Monsieur ne reste pas visiter notre belle Sicile ? Monsieur n’est pas tourista ?

Jean-René - Non madame, je ne suis pas « tourista », je suis « travaillata » !

Gina - Traviata ? Comme l’opéra ?

Jean-René - Taratata, finito, merci et au revoir.

Gina - Oh, Monsieur a du caractère, on voit bien que Monsieur est Russe !

Jean-René - Russe ? Puis quoi encore, pourquoi pas Esquimau ? Non, madame Gina, je suis Français ; Vendéen par ma mère, Breton par mon père. C’est un interrogatoire ou quoi ? Allez, ouste !

Gina - Très bien, je me sauve.

Elle sort.

Jean-René - Ah, comme pot de colle, on ne fait pas mieux. Tourista ! Traviata !… (Gina frappe à la porte.) Santa Maria ! Ça continue !… Oui, quoi encore ?

Gina (entre) - J’oubliais, Monsieur… Le lit, vous le voulez garni ou non garni ?

Jean-René - Le lit, je le veux avec une bonne couverture, voilà, un point c’est tout.

Gina - Très bien, je ferai le nécessaire.

Elle sort.

Jean-René - Ah, enfin un peu de calme. (Il est assis, on re-frappe à la porte.) Ah, c’est pas possible !

Gina (entre) - J’oubliais, Monsieur, la couverture, vous la voulez toute la nuit ?

Jean-René - Bien sûr, quelle question !

Gina - Très bien. Au fait, le pourboire… (Elle montre sa main.)

Jean-René - Tenez, voilà… Et laissez la porte ouverte, ça ventilera un peu là-dedans. (Gina sort.) Jean-René, reprends-toi mon petit vieux !… Récapitulons. Ce matin, j’embarquais au Bourget avec seize tonnes de farine, direction Moscou. Et voilà que huit heures plus tard, je me retrouve à Palerme avec ma cargaison. C’est pas possible ! Moi, Jean-René Esturgeon, le plus grand importateur de caviar, me retrouver dans un… oui, on peut le dire, dans un bordel pareil ! Enfin, heureusement, ma farine est stockée au frais. Par contre, je n’ai pas d’avion avant une semaine. Y a plus d’hélice, comme ils disent. Ah ! là ! là ! Elle est belle la Sicile !

Possibilité de mettre une musique. Tonio entre, suivi du Padre. Ils sont armés et regardent dans la pièce pour voir s’il n’y a pas de risque.

Tonio - Oui, elle est belle la Sicile, monsieur Esturgeon !

Jean-René - Heu… messieurs, bonjour.

Giuseppe - Bonjour. On peut entrer monsieur Esturgeon, pour parler affaire ? (Aux autres.) Tonio, Padre !

S’apercevant qu’ils ont oublié Padre, Tonio sort et va le chercher.

Tonio - Padre ! Ma che si ! (Prononcer « maqué ».)

Jean-René - Aff… aff… affaire ? Oui, oui, ma foi…

Padre est dans un fauteuil roulant car il a du mal à marcher. Il a une couverture sur les genoux.

Padre - Vous me semblez étonné que nous venions vous parler affaires, monsieur Esturgeon.

Tonio et Giuseppe assoient Jean-René dans le fauteuil et l’entourent.

Jean-René - Oui, je ne travaille pas du tout avec la Sicile.

Tonio - C’est peut-être le commencement du début…

Giuseppe - … d’une longue collaboration entre vous et nous, monsieur Esturgeon.

Jean-René - Ma foi, pourquoi pas… si vous voulez de ma marchandise, messieurs.

Padre (très posé) - Oh, excusez-nous, j’ai oublié de présenter la famille. (Il désigne Tonio.) Antonio, dit Tonio : le mari de la troisième fille de la femme de mon cinquième fils Gino.

Jean-René - En fait, le gendre de Johnny… de Gino.

Giuseppe (menaçant avec un couteau) - C’est cela même. Monsieur Esturgeon, on n’interrompt pas Padre quand il parle de la famille.

Padre - J’en étais où avec tout ça ?

Jean-René - Eh bien, vous en étiez à Tonio.

Giuseppe (encore plus menaçant) - Monsieur Esturgeon, vous avez une cervelle de moineau ou quoi ? Padre parle.

Padre - Calme-toi Giuseppe, ne vas pas irriter notre futur collaborateur ! (Il désigne Giuseppe.) Lui, c’est Giuseppe, l’aîné de mes sept fils. C’est lui qui reprendra le commandement du clan à ma mort.

Jean-René - C’est drôlement organisé chez vous, c’est efficace.

Tonio - Et lui, c’est Pedro Piquouzi, dit Padre, le père de mon père, c’est-à-dire mon grand-père.

Jean-René (content de lui) - C’est comme chez nous !

Tonio - Voilà la carte du clan Piquouzi de Palerme.

Jean-René (tremble à la vue de la carte) - Merci, euh… c’est original cette petite tête de mort !

Giuseppe - Oui, ça égaie un peu. Une carte blanche, c’était trop triste.

Jean-René - Ah ! ah ! Vous avez un sens de l’humour. Eh bien moi, je vois que vous me connaissez déjà.

Padre - Un petit peu, monsieur Esturgeon ! Dites-nous tout sur votre famille, on ne la connaît pas.

Giuseppe - En France, on connaît surtout les familles de Marseille.

Jean-René - De Marseille ? Vous commercez avec Marseille ?

Tonio - En quelque sorte, oui. On fait surtout des échanges, du troc.

Jean-René (pensant être de bon conseil) - Si je peux me permettre de vous donner un conseil, messieurs Piquouzi, méfiez-vous des Marseillais, ils sont roublards.

Padre - Rassurez-vous monsieur Esturgeon, nous sommes encore plus roublards qu’eux ! (Ils rigolent tous. Les Piquouzi arrêtent de rire, Jean-René continue.)

Jean-René (rigole bêtement) - Ah ! ah ! Vous avez un sens de l’humour, monsieur Piquouze !

Giuseppe - … zi !

Jean-René - Piquouzi, excusez-moi.

Giuseppe - Monsieur Esturgeon, Padre vous a demandé de vous présenter. Pressez-vous s’il vous plaît, notre patience a des limites.

Tonio (menaçant) - Oui, des limites limitatives. Nous, les Siciliens, nous sommes des faux calmes.

Jean-René - Eh bien, je m’exécute. Esturgeon Jean-René, cousin des Morue de Cherbourg et originaire de Calais. Pour la petite histoire, les Morue, c’est du côté de ma femme.

Padre - Ce n’est plus une famille, mais un véritable aquarium, monsieur Esturgeon !

Jean-René (lui tapant dans le dos) - Ah ! ah ! ah ! Bah dites donc, le pépé, il pète la forme, il a toute sa tête !

Giuseppe et Tonio empoignent Jean-René.

Giuseppe - Monsieur Esturgeon, un peu de respect pour la famille si vous ne voulez pas que l’on transforme votre tête !

Jean-René - En quoi ?

Tonio (armé de son couteau à cran d’arrêt) - En tête de merlan frit !

Padre - Calmez-vous, nous avons assez rigolé maintenant ! Parlons un peu affaires…

Jean-René - Oui, vous avez raison monsieur Piquouzi. Je rigole, je rigole, je m’emporte. Il faut me comprendre, en arrivant ici avec ma marchandise, je ne pensais pas que je pourrais faire affaire.

Tonio - Doucement monsieur Esturgeon, doucement.

Giuseppe - Il faut que nous vérifions la qualité de votre produit.

Jean-René - Vous pouvez y aller sans problème. C’est la meilleure qualité du moment. Ce n’est pas de l’allégé, c’est du cent pour cent. Pensez donc, ma marchandise était destinée pour le gouvernement russe.

Padre (très étonné) - Le gouvernement russe ? Vous en êtes sûr ? (Prononcer « sourd ».)

Jean-René (ne comprend pas) - Du côté des oreilles, tout va bien !

Tonio - Padre n’a pas dit « sourd » mais « sûr ». (Prononcer « sourd ».)

Jean-René - Ah, d’accord, je vous « l’assourd », je l’échange contre du caviar.

Padre - Du caviar, ce n’est pas bête ! Eh bien nous, ce n’est pas du caviar, mais des dollars que nous avons à vous proposer. Tonio, montre à Monsieur.

Tonio (va voir Giuseppe) - Ma che… (Prononcer « maqué ».) Qu’est-ce que c’est du caviar ?

Giuseppe - Tonio, tu ne sais pas ce que c’est du caviar ? Tonio, tu es vraiment une bambino. Le caviar, c’est… euh, Padre ?

Padre - Deux ânes ne diraient pas mieux ! Le caviar, c’est comme une espèce de crotte de petit lapino qui a un goût de poisson.

Giuseppe - Le lapino ?

Padre - Mais non, le caviar ! Le caviar, ce sont les œufs de l’esturgeon.

Tonio - L’Esturgeon ! (Il regarde Jean-René.)

Padre (s’adresse à Giuseppe) - Mais non, dis-lui, toi.

Giuseppe - Le lapino ?

Padre - Santa Camora ! Le caviar, ce sont les œufs de l’esturgeon, le poisson !

Giuseppe - Tonio, la valise.

Tonio - Si, la valise… la valise. (Il la cherche.) Ma che la valise ? (« Ma che » se prononce « maqué ».)

Giuseppe - Tonio, ne vas pas me dire que tu as perdu la valise ?!

Tonio - Tu balises pour la valise ? Moi aussi, je l’ai oubliée dans le couloir !

Giuseppe - Presse-toi, andouille ! Padre, c’est terrible, il est pire que moi !

Padre - Ce n’est pas ça qui me rassure…

Tonio (revient avec la valise) - Suffisait de demander. Y a quand même des gens honnêtes à Palerme. (Très fort.) Par contre, ce n’est pas moi qui ai le code secret pour l’ouvrir.

Padre - La ferme ! Une code secrète, c’est une code secrète. (Il manipule la valise sous la couverture.)

Giuseppe - Padre, c’est une gynécologue des coffres-forts ! (Padre n’arrive pas à ouvrir la valise.)

Padre - Beh là, faut faire une césarienne !

Tonio tire deux coups de feu et montre la valise pleine de dollars.

Jean-René - Nom d’un pétard, y a pour un paquet là-dedans !

Giuseppe - Exactement un million deux cent trente-deux dollars.

Jean-René - Un mi… un mimi… un million de dollars !

Padre - Oui, monsieur Esturgeon, un million de dollars, et ça, ce n’est que l’acompte, monsieur Esturgeon. Le deuxième million viendra à la livraison complète de votre came.

Jean-René (n’en revient pas) - Attendez, attendez, vous, vous êtes prêt à me donner deux millions quatre cent soixante-quatre dollars pour mes seize tonnes de came, comme vous dites ?

Padre - Oui, c’est à prendre ou à laisser monsieur Esturgeon. Votre décision ?

Jean-René - Je prends, je prends ! A ce tarif-là, je peux vous en livrer toutes les semaines !

Padre - O.K., tapez-là. Je savais que vous étiez un homme raisonnable, monsieur Esturgeon.

Jean-René - Et voilà qui est fait. (Il tape dans la main.)

Giuseppe - Maintenant, monsieur Esturgeon, on va vous laisser la valise, vous allez nous donner la clé de l’entrepôt et on va se charger de la marchandise.

Tonio - J’espère pour vous que toutes nos informations sont bonnes, monsieur Esturgeon.

Jean-René (très étonné) - Parce que vous avez été informé ?

Padre - Oui, une voix féminine nous a informés de votre arrivée ici avec la came… Au fait, monsieur Esturgeon, il y en a combien au juste ?

Jean-René (cherche) - Il y en a exactement seize mille trois cent vingt-six kilos, soit trente-deux mille six cent cinquante-deux livres de pure et riche farine.

Padre vérifie dans son chapeau. Jean-René et Tonio peuvent faire pareil.

Padre - C’est le chiffre exact. Mais entre nous, monsieur Esturgeon, on peut appeler ça de la came.

Jean-René (échange de la clé avec la valise) - C’est comme vous le désirez, pour moi c’est la même chose. Tenez messieurs, voilà la clé. Vous m’excuserez : venant juste d’arriver, je ne peux rien vous offrir, mais je vous promets de fêter cela à votre retour.

Giuseppe - On arrosera ça, comme vous dites chez vous.

Jean-René - Oui, c’est cela, on arrosera ça, en bonne et due forme.

Padre - Mes hommes vont aller tout contrôler. Surtout, souvenez-vous monsieur Esturgeon : au moindre problème sur la...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Achetez un pass à partir de 5€ pour accédez à tous nos textes en ligne, en intégralité.



Retour en haut
Retour haut de page