On ne veut pas d’hommes dans cette maison

Après un veuvage ou des déboires conjugaux, Amélie, Marlène et Léa, trois sœurs, ont décidé d’habiter ensemble la maison familiale. Les charges étant difficiles à supporter, elles décident de prendre des locataires avec une seule restriction : qu’ils ne soient pas des hommes. Se fiant à leurs prénoms, Léa a signé un bail à Camille et Louison, mais quand ceux-ci se présentent, force est de constater qu’ils sont bien des spécimens masculins. Dès lors, Amélie et Marlène s’efforceront par tous les moyens d’empêcher leurs locataires de s’installer sereinement. Quand, en plus, dans le quartier, a lieu un cambriolage qui oblige tout le monde à se cloîtrer tandis que se présentent une troisième locataire ainsi que le lieutenant de police chargé de l’enquête, l’affaire se complique et nos deux locataires mâles ne vont pas tarder à s’en apercevoir.




On ne veut pas d’hommes dans cette maison

Acte I

Sur scène, Amélie et Marlène. Amélie est assise sur le canapé, une calculatrice à la main et des factures tout autour d’elle. Marlène, un plumeau à la main, époussette tout ce qui est à sa portée.

Marlène, chantant sur l’air de Vive le vent. — « Vive le vent, vive le vent, vive le vendredi parce que, parce que, demain c’est sam’di. Vive le vent, vive le vent… »

Amélie. — Marlène ! Tu ne peux pas te taire ?

Marlène. — Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? Elle ne te plaît pas, ma chanson ?

Amélie. — Comment veux-tu que je me concentre ? Au cas où tu ne l’aurais pas remarqué, je suis en train de faire les comptes. Eh oui, il faut bien que quelqu’un s’en occupe dans cette maison ! Mais encore une fois, je m’aperçois que tu t’en contrefiches royalement.

Marlène. — Tranquille, Amélie ! Tranquille ! On a tout le week-end pour s’en occuper. Alors, on se calme, on se décontracte. (Elle rechante tout en lui époussetant le visage avec son plumeau.) « Vive le vent, vive le vent, vive le vendredi… »

Amélie. — Arrête ! Ne commence pas tes gamineries !

Marlène. — Relax que je te dis !

Amélie. — Comment veux-tu que je me décontracte lorsque je vois toutes ces factures ? Eau, électricité… Tiens, et ça… La facture du couvreur. Elle vient d’arriver. Non, mais tu as vu ?

Marlène, jetant un œil sur la facture. — Ah oui ! Tout de même ! On avait un trou dans la toiture, maintenant nous avons un trou dans le budget. Quand j’y pense, nous aurions dû demander au couvreur, tant qu’il y était, de couvrir aussi notre découvert… Ne fais pas cette tête et arrête un peu de dramatiser. Demain, on ira faire un tour à la banque et nous trouverons une solution.

Amélie. — Cette maison est un gouffre financier. Elle est beaucoup trop grande… Nous aurions dû écouter les conseils du notaire. Il aurait fallu vendre.

Marlène. — Vendre la maison ? Tu n’y penses pas ! On en a déjà discuté cent fois, nous n’allons tout de même pas revenir là-dessus. Eh quoi ? On n’est pas bien en cohabitation ? Rappelle-toi l’opportunité que nous avons eue. Tu es devenue veuve le jour où Léa et moi, nous nous sommes fait larguer par nos mecs ; c’est pourquoi nous avons décidé de vivre ensemble et de garder la maison familiale.

Amélie. — Parlons-en de cette maison. Comme elle est restée longtemps inhabitée après le décès de nos parents, elle s’est délabrée. Les travaux de rénovation sont énormes… Je l’avais dit, on ne s’en sortira pas.

Marlène. — C’est bien pour cela que je vous ai fait la proposition de trouver d’autres colocataires pour venir habiter avec nous. Avec ce complément de loyer, nous pourrons payer plus aisément nos charges.

Amélie. — Tu connais mes réserves sur le sujet. Si on accepte n’importe qui, ce sera la porte ouverte à tous les emmerdements.

Marlène. — T’inquiète, sœurette, j’ai bien entendu tes réticences et je les partage. Pour te rassurer, je te les rappelle : nous avons dit des gens solvables et surtout pas de mecs.

Amélie. — Ah non ! Surtout pas de bonhommes ! J’ai eu ma dose avec le mien.

Marlène. — Et moi donc !

Amélie. — Quand j’y repense… Mon bonhomme, il ne pensait qu’à lui. Rien pour ma pomme, tout pour sa poire… N’en parlons plus… Mais tu comprends pourquoi, maintenant, je préfère regarder où en sont les comptes. Et pour ne plus avoir de soucis, une seule résolution : pas d’hommes dans cette maison.

Marlène. — Puisque je te dis que nous sommes d’accord ! Moi aussi j’ai découvert depuis longtemps que les hommes, c’est comme les crabes et les crevettes : tout est bon sauf la tête… Dis, Amélie, tu la connais, la plus petite prison du monde ?

Amélie. — La plus petite prison du monde ? Non… Vas-y, dis-moi.

Marlène. — C’est le cerveau des bonhommes parce que, chez eux, il n’y a pas beaucoup de cellules.

Arrivée de Léa.

Léa. — Salut les frangines ! Vous allez bien ? Bonjour, Amélie. Bonjour, Marlène. (Elles s’embrassent.)

Marlène. — Ça va, Léa ? Dis-moi, nous ne t’avons pas vue de la journée. D’où tu sors ?

Léa. — Ouh là là, les filles ! Si vous saviez… J’ai rencontré un charmant monsieur, ce midi, à la cafétéria, et comme j’ai sympathisé, il m’a proposé de venir prendre le café, ce qui fait qu’après, je me suis un petit peu attardée chez lui.

Amélie. — Tu es vraiment incorrigible ! Dès le premier jour, tu acceptes de suivre le premier venu.

Léa. — Tu sais, Amélie, j’ai vu tout de suite que c’était un monsieur sérieux… Il m’a dit qu’il était pilote de ligne. Pilote de ligne… Ça, c’est la classe ! Pilote de ligne ! Vous vous rendez compte ?

Marlène. — Tu parles ! Et moi, je suis la femme du pape ! Qu’est-ce que tu peux être naïve, ma pauvre Léa ! Prête à gober n’importe quoi. Tu n’as pas encore compris qu’inventer une belle profession, ça permet d’appâter en attendant qu’une Léa comme toi vienne mordre à l’hameçon… Pilote de ligne, tu parles ! Pêcheur à la ligne, c’est plus probable. Je t’ai déjà dit de te méfier des pêcheurs, parce qu’à force de nager en eaux troubles, ne t’étonne pas de tomber un jour sur un maquereau.

Léa. — Jalouse ! (Elle boude.)

Amélie. — En tout cas, surtout, n’oublie pas ce que nous avons dit : qu’importe la profession, pilote de ligne, acteur de cinéma ou président de la République, pas d’hommes dans cette maison.

Marlène. — C’est bien pour cela que nous avons bien l’intention de ne louer qu’à des femmes. Tu t’en souviens, Léa ? Alors ton pilote de ligne, même s’il t’a fait décoller, tu seras priée d’aller le voir ailleurs, mais pas ici.

Léa. — Oui, ça va ! C’est bon !

Marlène. — Ne te fâche pas, ma petite sœur. Tu sais que si nous te disons tout cela, c’est uniquement pour ton bien. Nous n’avons pas envie que tu te fasses embobiner par le premier margoulin venu, voilà tout.

Amélie, à Marlène. — Demain matin, avant de passer à la banque, nous irons faire un tour à l’agence de location pour voir où ils en sont. Si ça se trouve, ils nous auront déjà sélectionné de bonnes candidates.

Léa. — Pas la peine, les filles. J’ai fait le boulot à votre place.

Amélie. — Comment cela ? Que veux-tu dire ?

Léa. — Ben oui, cet après-midi, en sortant de chez mon aviateur, je suis passée devant l’agence et j’ai vu le responsable dans la vitrine… Vous l’aviez vu ? Quel beau garçon ! Comme j’ai eu envie de sympathiser avec lui, je suis entrée. Je lui ai expliqué que nous cherchions des locataires.

Amélie. — Enfin, Léa ! Personne ne t’a demandé de t’occuper de cela.

Léa. — Et pourquoi pas ? D’habitude, c’est toujours vous qui vous occupez de tout. Pour une fois que je pouvais rendre service… Vous n’avez pas à vous en faire. Tout est signé.

Marlène. — Comment cela ? Léa ! C’est moi qui devais m’en occuper. Nous en avons parlé plusieurs fois, tu ne t’en rappelles pas ?

Léa. — C’est le monsieur de l’agence qui m’a convaincue. Je vous ai dit qu’il ressemblait à Brad Pitt ? Vraiment canon, le mec. Et vous savez quoi ? En plus, il m’a payé un café. Vous vous rendez compte ? Je me présente, et tout de suite : « Vous désirez un café ? » Vraiment trop chou, le gars.

Marlène. — Tu parles ! Ton brave type, c’est un bon commercial, voilà tout.

Léa. — N’empêche que moi, je trouve ça sympa. T’arrives dans une agence, et on te propose un café. Tu crois que si t’arrives dans un café, on va te proposer un appartement ? Oh ! ben non !

Amélie. — Je repense à ce que tu viens de dire… Tu as bien dit « tout est signé » ?

Léa. — Oui, les filles. À partir d’aujourd’hui, nous avons trois locataires.

Amélie. — Tu les as vues ? Les locataires… Elles sont comment ?

Léa. — Je ne sais pas. Je ne les ai pas vues, mais j’ai bien vu leurs chèques et leurs signatures. Elles ont payé trois mois d’avance plus la caution. Pas de soucis, les filles, je me suis occupée de tout. J’ai même déposé les chèques à notre banque.

Amélie. — Léa, ces fameuses locataires, tu dis que tu ne les as pas vues ?

Léa. — Mais non, mais quelle importance ? Elles ont des bons revenus, c’est ce que m’a dit le responsable de l’agence. Il m’a montré la pile de demandes et il m’a dit : « Choisissez-en trois. » Alors j’ai regardé les noms et j’ai choisi… Tiens… Je me souviens même de leurs noms. Camille Charpentier, Louison Levêque et Prune Legrand.

Amélie. — Camille Charpentier, Louison Lévêque et Prune Legrand…

Marlène. — Se faire aider par Mme Charpentier pour nous aider à payer le couvreur, finalement c’est assez logique.

Léa. — Et Louison, c’est tout à fait charmant comme prénom. Pas courant, mais charmant.

Marlène. — Louison ? Moi, je trouve que ça fait un peu campagnard. Si ça se trouve, elle va débarquer avec du lait et des œufs de sa ferme.

Amélie. — Tant qu’elle ne commencera pas à faire sa cocotte, nous pourrons la tolérer.

Léa. — Prune aussi, c’est joli.

Marlène. — Quelle idée d’appeler sa gamine comme ça ! Remarque… La mère était peut-être flic et adorait mettre des PV. (Devant Léa qui ne comprend pas.) Ben oui, des prunes !

Léa. — Ah oui ! Des prunes !

Marlène. — Il faudra qu’elles s’arrangent avec la salle de bains du haut. Nous, nous utiliserons celle du bas. Les seules pièces communes seront la cuisine et ce salon. Ça devrait le faire.

Amélie. — Tout de même, j’aurais bien aimé les rencontrer avant de signer… J’espère qu’elles seront sérieuses, parce que… Rappelez-vous, les filles, qu’est-ce qu’on a convenu ?

Léa et Marlène. — Pas d’hommes dans cette maison.

Amélie. — Et tant pis si l’une d’entre elles a un copain, elle ira le voir ailleurs. Je veux bien accepter une colocation, mais je ne veux pas que cette maison se transforme en… Vous m’avez comprise. Non, mais c’est vrai, quoi !

Marlène. — T’as pas un peu fini de t’exciter toute seule ? Elles ne sont pas encore arrivées que déjà tu t’énerves.

Léa. — C’est vrai, attends donc de les voir avant de juger.

Amélie. — Vous ne pourrez pas m’empêcher de penser qu’on s’engage dans une drôle d’aventure.

Marlène. — Amélie, sais-tu que la routine est certainement plus dangereuse que l’aventure ? N’ayons pas peur de la nouveauté, laissons les choses venir et essayons de ne pas voir le mal partout. Moi, je suis sûre que nos locataires vont être charmantes et que leur intégration va bien se passer.

Amélie. — Puisses-tu dire vrai !

Marlène. — En attendant, la bonne nouvelle, c’est que nous ne sommes pas obligées de nous lever tôt demain pour aller à la banque. Amélie, laisse tomber tes calculs. Terminés les agios… « Bonjour, monsieur le banquier. Bonne nouvelle ! Nous ne sommes plus dans le rouge. » Tiens, en parlant de rouge, tout ça me donne soif. On pourrait peut-être boire un coup pour fêter cela.

Léa. — Déjà ? Il n’est même pas 18 heures.

Marlène. — Il est moins le quart. Six heures moins le quart, l’heure du Ricard ! On ne va pas chipoter pour un quart d’heure. Et puis nous avons deux bonnes nouvelles à fêter. La première : nous ne sommes plus à découvert. Et la seconde : nous sommes vendredi et c’est le début du week-end. Alors, n’est-ce pas une bonne raison pour trinquer ? (Elle rechante.) « Vive le vent, vive le vent, vive le vendredi… »

Léa. — Quelle alcoolique, celle-là !

Amélie. — Léa, au cas où tu l’aurais oublié, je te rappelle que Marlène est tout le contraire d’un chameau. Un chameau peut travailler trois jours sans boire, mais elle, elle pourrait boire trois jours sans travailler.

Marlène. — Oh ! la médisante ! Médisante et faux-cul. Je te parie que dans moins d’une minute, tu me supplieras de trinquer avec toi.

Léa. — Bon, alors ? On le prend, cet apéro ?

Marlène. — D’accord ! Nous allons boire à la santé de nos futures locataires.

Marlène sert et elles commencent à trinquer. Sonnerie de la porte d’entrée.

Amélie, se déplaçant pour aller ouvrir. — Qu’est-ce donc ?

Elle ouvre pour laisser passer Camille. Il porte un casque sur la tête, des gants aux mains et dans le dos porte une sorte de machine rectangulaire surmontée d’un ou plusieurs tuyaux. Elle pourra être sonore ou non. Camille entre dans la pièce en donnant l’impression d’être propulsé par la machine. Tout en faisant plusieurs allers-retours sous le regard médusé des filles, il sort une télécommande de sa poche et, après plusieurs tentatives infructueuses, tend la télécommande à Léa tout en continuant à être propulsé.

Camille. — Je n’y arrive pas ! Tenez ! Appuyez sur « stop » !

Léa veut s’exécuter mais fait tomber la télécommande puis shoote sans faire exprès dans celle-ci, qui atterrit sous le canapé. Pendant ce temps, Camille continue ses allers-retours, se cognant contre les cloisons pour repartir dans l’autre sens, comme une voiture téléguidée mal maîtrisée.

Léa. — Oh ! zut ! La télécommande ! Elle est partie sous le canapé !

Elles cherchent à quatre pattes la télécommande, tandis que Camille continue son manège.

Marlène, brandissant la télécommande. — Ça y est ! Je l’ai !

Elle appuie sur « stop ». La machine s’arrête.

Camille. — Merci ! Avec ces gants, je n’arrivais pas à l’éteindre. (Il enlève son casque.) Un peu d’air ! Bonjour, mesdames !

Marlène. — Qu’est-ce que c’est que ce truc de ouf ? C’est dingue !

Camille. — C’est un appareil à propulsion. Cela permet de développer la vitesse de déplacement tout en économisant les efforts.

Léa. — Waouh ! C’est génial !

Marlène. — À condition de savoir l’arrêter. Si nous n’avions pas été là, à cette heure-ci vous seriez encore en train de tourner comme une sauterelle handicapée.

Camille. — C’est à cause de mes gants. Ce n’est pas pratique avec des gants.

Léa, examinant l’appareil. — On doit se sentir pousser des ailes avec ça.

Camille. — Oui mais il faut éviter de passer par la fenêtre, le modèle est sans parachute. Ça pourrait être dangereux.

Amélie. — Surtout si on ne sait pas l’arrêter.

Marlène. — Ce n’est pas courant comme engin. Vous avez trouvé ça où ?

Camille. — Je ne l’ai pas trouvé, je l’ai inventé.

Amélie. — Ah bon ? Vous l’avez inventé ?

Camille. — Oui, madame.

Marlène. — Quand on voit comment vous maîtrisez la bête, vous n’avez pas intérêt à trop traîner dans les courants d’air parce qu’alors là, c’est le crash assuré.

Camille. — Ceci n’est qu’un prototype. Il y a encore quelques petits réglages à faire. C’est pour ça que le casque est bien utile… Si je vous disais qu’en venant ici, je me suis pris un mur et j’ai frôlé une trottinette… Heureusement, plus de peur que de mal.

Amélie. — Moi, il faudrait me payer cher pour que j’essaie un truc pareil.

Marlène. — Telle que je te connais, tu finirais dans les orties et, c’est bien connu, il ne faut pas pousser mémé dans les orties.

Amélie. — Non, mais dis donc ! Tu as fini ? Un peu de respect, tout de même.

Marlène. — Te fâche pas. Je rigole.

Léa. — Je n’en reviens pas. Et vous dites que c’est vous qui l’avez inventé ?

Camille. — Oui, madame. Je suis inventeur, c’est mon métier.

Léa, le regardant d’un air énamouré. — Oh ! c’est dingue ! Je n’ai jamais connu d’inventeur.

Amélie, à Léa. — Ah ! toi, ne commence pas à chauffer ! (À Camille.) Alors comme ça, vous êtes inventeur ?

Camille. — Oui, madame.

Marlène. — C’est peut-être vous qui avez inventé la machine à défriser le persil et le fil à couper le beurre ?

Camille, prenant un air étonné. — Ah non, madame ! Ça, ce n’est pas moi.

Amélie, en aparté, à Marlène. — L’eau chaude non plus, ni l’eau tiède d’après ce que je vois.

Camille. — Non, madame… Et je n’ai pas inventé, non plus, la machine à enfoncer les portes ouvertes.

Amélie. — C’est bon. Pas la peine de vous vexer.

Marlène. — Tout cela ne nous dit pas ce qui nous vaut le plaisir de votre visite.

Camille. — Je suis venu me présenter et visiter la maison avant d’y emménager.

Amélie. — Y emménager ? Comment cela ?

Camille, tendant la main à Amélie. — Camille Charpentier. Je suis votre nouveau locataire. Je suis vraiment enchanté de venir cohabiter avec vous.

Marlène. — Quoi ? Vous vous appelez Camille ?

Camille. — Ben oui… Camille Charpentier, c’est moi.

Léa. — Camille ? Mais vous n’êtes pas une femme !

Camille. — Ah non ! Ça, je peux vous l’assurer, je ne suis pas une femme.

Léa. — Vous ne pouvez pas vous appeler Camille, ce n’est pas possible.

Camille. — Mais si, je vous assure, c’est bien le prénom que m’ont donné mes parents.

Amélie. — Léa ! Qu’est-ce que tu as fait ?

Léa. — Je ne pouvais pas deviner, d’habitude ce sont les filles qui s’appellent Camille. Les garçons ne s’appellent pas Camille.

Amélie. — Et Camille Saint-Saëns, le musicien, Camille Pissarro, le peintre, et Camille Desmoulins, le révolutionnaire, ce sont des filles, peut-être ? Ma pauvre fille, si seulement t’avais eu un soupçon de culture générale !

Léa. — C’est bon ! Ce n’est pas de ma faute.

Marlène, à Léa. — Tu les as pourtant vus, les dossiers des candidats, à l’agence. Ça devait bien être marqué quelque part que monsieur était un homme.

Léa. — Ben non, moi j’ai juste regardé les prénoms. (À Camille.) C’est de votre faute, aussi ! Quelle idée de s’appeler Camille !

Camille. — Ah ça ! Moi, je n’en suis pas responsable, et comme dit madame, il y a plein d’hommes qui s’appellent Camille.

Amélie. — C’est ce qu’on appelle un prénom mixte. Il est porté aussi bien par des hommes que par des femmes.

Léa. — C’est nul, les prénoms mixtes. Moi je m’appelle Léa, pas Léon !

Marlène. — Bon, ce n’est pas grave, nous allons arranger cela… (À Camille.) Comme vous pouvez le constater, cher monsieur, il y a eu méprise sur la personne, donc nous n’allons pas pouvoir vous accepter.

Camille. — Ah ! mais si, vous allez m’accepter !

Amélie. — Monsieur, il faut que vous sachiez que nous avons une règle dans cette maison : les hommes n’y sont pas tolérés.

Camille. — Ah bon ? Quelle drôle d’idée ! C’est une blague, n’est-ce pas ?

Marlène. — Vous trouvez peut-être qu’on a des têtes de comiques ?

Amélie. — Mon petit monsieur, vous n’avez pas l’air de bien comprendre. Ici, quand on dit non, c’est non, alors vous allez reprendre votre petite télécommande, appuyer sur « démarrage » et vous allez tranquillement retourner à l’agence. Je suis sûre qu’ils sauront vous trouver une maison plus accueillante que celle-ci.

Camille. — Ah ! mais non ! Il n’en est pas question !

Léa. — Monsieur, soyez raisonnable. Vous voyez bien que je me suis trompée, vous n’allez tout de même pas m’obliger à le regretter toute ma vie, alors soyez gentil et quittez-nous sans faire d’histoires.

Camille. — Puisque je vous dis que ce n’est pas possible. Vous savez bien que c’est une galère pour arriver à se loger. Avant de trouver votre annonce, cela faisait plus de six mois que je cherchais, alors maintenant que c’est signé, vous pensez bien que je ne vais pas renoncer.

Marlène. — Nous allons vous rendre votre argent. Amélie, sors le carnet de chèques. Léa, donne-moi le justificatif de remise de chèque, nous allons rembourser monsieur.

Camille. — Le directeur de l’agence a dû expliquer à madame que nous avions signé pour un bail d’un an minimum. Je suis désolé, madame, mais vous allez devoir me supporter au moins pendant cette période.

Marlène. — C’est vrai, Léa ? Ils ont dit ça, à l’agence ?

Léa. — J’sais pas… Peut-être… Tu sais, avec leur langage, on ne comprend pas forcément tout.

Amélie. — Surtout quand on est plus occupée à regarder Brad Pitt plutôt qu’à l’écouter. Mais quelle idée tu as eue de vouloir te mêler de cela !

Marlène. — On ne va pas refaire le film. Quand c’est fait, c’est fait. Camille.) Et vous ? Vous êtes vraiment sûr de vouloir habiter ici ?

Camille. — Mais oui, puisque je vous le dis !

Marlène. — Je vous préviens : la cohabitation risque de ne pas être agréable. Vous ne nous connaissez pas.

Camille. — Vous savez, je suis souple et très facile à vivre. Vous verrez, je suis sûr que tout va bien se passer. Maintenant que les présentations sont faites, je cours chercher mes affaires et je reviens. À plus tard ! Vraiment ravi d’avoir fait votre connaissance.

Amélie. — Croyez-nous, ce n’est pas réciproque.

Marlène. — Ah non… Pas du tout réciproque…

Camille, remettant son casque et s’apprêtant à appuyer sur sa télécommande. — Vous pourriez m’ouvrir la porte, s’il vous plaît ?

Marlène. — Avec plaisir ! Et ne vous croyez surtout pas obligé de revenir. (Elle ouvre la porte tandis que Camille se propulse vers la sortie. Elle referme la porte.) Avec un peu de chance, il va croiser un camion au premier carrefour… Adroit comme il a l’air de l’être… Paf ! Il va se le manger… Si ça se trouve, nous ne sommes pas près de le revoir, le Superman.

Léa. — Ne commence pas à parler de malheur… Il n’a pas l’air méchant, ce garçon. Vous verrez que…

Amélie. — Nous ne verrons rien du tout. Alors ça y est, dès que le premier mâle pointe le bout de son nez, on commence à oublier les bonnes résolutions ? Léa ! Qu’est-ce qu’on a dit ? Tu ne t’en souviens plus ? Eh bien, nous allons te rappeler… Nous avons dit…

Amélie et Marlène, ensemble. — Pas d’hommes dans cette maison !

Léa. — Oui, j’ai compris… Mais maintenant qu’il va s’installer, qu’allons-nous faire ?

Marlène. — Ne t’inquiète pas pour ça. J’ai ma petite idée.

On sonne à la porte.

Amélie. — Quoi encore ?

Elle va ouvrir. Entrée de Louison. Il porte une grosse valise.

Louison. — Bonjour, bonjour… On m’avait prévenu qu’il y aurait des dames, mais on ne m’avait pas dit qu’elles seraient aussi charmantes. (Il pose la valise.) Ouf ! Qu’est-ce qu’elle est lourde, cette valise ! Vous allez bien ? (Il serre chaleureusement la main à chacune des sœurs. À Léa.) Bonjour… Marlène.) Bonjour… (Après avoir serré la main d’Amélie.) Ah ! c’est curieux, vous, vous avez la main froide… Mais ce n’est pas grave… Comme on dit : la main froide mais le cœur chaud, pas vrai ? Ah ! fatigant, ce trajet ! Permettez ? (Sans attendre la réponse, il s’assied dans le canapé. Il jette un regard circulaire à la pièce.) Ouais… Pas mal… Bon, la déco, pas terrible… Mais autrement, c’est correct.

Marlène. — Ça va ? Vous êtes à l’aise ?

Amélie. — Rassurez-moi : vous n’êtes pas venu jusqu’ici pour prendre racine ?

Louison. — Ah si ! Ça fait du bien de se poser…

Marlène, faussement mielleuse. — Tout va bien ? Monsieur n’a besoin de rien ?

Louison. — Ça va, ça va… Remarquez… Puisque vous me posez la question… Si vous aviez un petit cocktail de bienvenue à m’offrir, ce ne serait pas de refus.

Marlène. — Vous ne voulez pas non plus que je vous masse les pieds, par hasard ?

Louison. — Les pieds ? Mais oui ! Quelle bonne idée ! Ah oui ! Alors là ! Ce serait vraiment extra. (Il enlève ses chaussures.) Faut-il que je garde les chaussettes ? Mais on va peut-être boire un coup, d’abord ? (Avisant les verres sur la table basse.) Je vois qu’on ne m’a pas attendu pour trinquer… Vous étiez impatientes de fêter l’arrivée de votre nouveau locataire, pas vrai ? Ce n’est pas grave, je ne vous en veux pas. (Il se saisit de la bouteille et regarde l’étiquette.) Qu’est-ce que vous buvez ?

Amélie. — Non, mais ça alors ! En voilà encore un qui n’est pas gêné ! La plaisanterie a assez duré. Sachez, monsieur, qu’on ne vous attend pas.

Louison. — Ce n’est pas ce que m’a dit le directeur de l’agence. Il m’a certifié que toutes les formalités étaient réglées et que je pouvais m’installer dès aujourd’hui. Alors je me suis dit : mon vieux Louison, ­allons-y ! Pourquoi remettre au lendemain ce qu’on peut faire le soir même ? N’est-ce pas, mesdames ?

Marlène. — Attendez ! Qu’est-ce que vous venez de dire ?

Louison. — Ce que je viens de dire ? Mais que j’allais m’installer !

Marlène. — Non, vous avez dit… mon vieux… comment ?

Louison. — Mon vieux Louison… J’ai dit « mon vieux Louison ». Normal : Louison, c’est mon nom. Je n’allais pas dire « mon vieux Roger » alors que je m’appelle Louison !

Léa. — Vous êtes Louison ? Dites-moi que ce n’est pas vrai ! Je rêve !

Louison. — Qu’est-ce qu’il y a ? Un problème ? Il ne vous plaît pas, mon prénom ? Moi, je l’aime bien, je trouve ça plutôt mignon… D’ailleurs, ça rime… Louison, mignon… Bon, alors ? On la fête, cette arrivée ? Vous devez être contentes d’avoir un colocataire supplémentaire.

Léa. — Vous êtes un homme !

Louison. — Vous croyez ? Moi qui me prenais pour Miss Univers, je suis vraiment déçu d’apprendre ce que vous me dites. (Devant la mine ahurie de Léa.) Mais non ! Je plaisante ! Bien sûr que je suis un homme ! (Il rit.)

Marlène. — C’est à cause de votre prénom. Nous étions persuadées que vous étiez une femme. Léa, tu t’es encore plantée !

Léa. — Est-ce que je pouvais deviner que lui aussi avait un prénom de femme ? Quelle idée de s’appeler Louison !

Louison. — Et vous, c’est Léa, n’est-ce pas ? J’ai lu votre nom sur le contrat… Léa… Cela vous va bien, mais vous auriez pu aussi bien vous appeler « biscotte ». Savez-vous pourquoi ? Parce que je trouve que vous êtes vraiment craquante… Ne vous offusquez pas ! Vous savez, j’adore complimenter les jolies femmes.

Amélie. — Et vous, vous auriez dû vous appeler « dégage » parce qu’on n’a vraiment pas envie de vous ici.

Louison. — Comment cela, pas envie ? C’est pourtant bien vous qui avez mis une annonce pour trouver des colocataires.

Marlène. — Oui, mais on ne voulait que des femmes. On ne voulait pas d’hommes. C’est à cause de cette tête de linotte… (Désignant Léa.) qui a pensé que...

Il vous reste 90% de ce texte à découvrir.


Achetez un pass à partir de 5€ pour accédez à tous nos textes en ligne, en intégralité.



Retour en haut
Retour haut de page