Réception chez les Schmoll (ou La Cravate bleue)

Mme Simone Ernestine Shmoll née Fourier, propriétaire des établissements Schmoll, femme autoritaire et insatisfaite, recherche en permanence de bons partis pour sa fille et, accessoirement, des amants fortunés pour elle-même.
Mr Charles Schmoll, directeur des établissements Schmoll et souffre-douleur de madame, ne va pas lui faciliter la tâche, de même que leur fille, Elglantine Schmoll, dont ils ignorent l’émancipation.
Une épouvantable querelle en résultera avec le couple de la Lavandière, avant que les choses ne rentrent dans l’ordre, moyennant des arrangements conformes à l’hypocrisie de l’époque.
La pièce, dans l’esprit du Boulevard, nécessite des comédiens ayant de “l’abattant”

 

 

 

 

 

 

 

 

Réception chez les Schmoll

 

Ou

 

La cravate bleue

 

Une comédie en 3 actes de JB. MARSAUT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Réception chez les Schmoll

 ou

La cravate bleue

 

 

Comédie

 

 

L’action se passe dans le salon d’apparat des Schmoll, petit-bourgeois provinciaux.

 

 

Madame Simone Ernestine Schmoll, née Fourier, propriétaire des Etablissements Schmoll, femme autoritaire et insatisfaite, méprisant son mari, en recherche permanente de bons partis pour sa fille et, accessoirement, d’amants fortunés pour elle-même.

 

Monsieur Charles Schmoll, Directeur des Etablissements Schmoll, souffre-douleur de Madame.

 

Eglantine Schmoll, fille à marier de Mr et Mme Schmoll.

 

Georges-Henri de la Lavandière, fils héritier de Mr et Mme de la Lavandière, d’une grande famille d’industriels.

 

Pierre-Honoré de la Lavandière, riche industriel, père de Georges-Henri.

 

Madame de la Lavandière, épouse de Pierre-Honoré

 

Madeleine (Annette Webin), du village de Kühldorf (Alsace), au service des Schmoll.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Acte I, Scène 1

 

Dans le salon de Mr et Mme Schmoll.

La scène est vide au lever de rideau. Un magnifique bouquet de fleurs trône sur une table.

 

On entend Monsieur parler depuis une pièce à côté (son bureau, à droite).

 

 

 

 

 

Monsieur

Chériiiie ?...Où est ma cravate bleue ? Je ne la vois pas…Simone ?...

 

Il entre

Monsieur

Chérie, je ?...Ben !?!...Bon.

 

Il ressort. La pendule sonne cinq heures.

Madame, très élégante, entre

Madame

Bon ! Alors…La coiffure, çà va. Le maquillage…aussi. Ma broche et mon col…parfait. Tout doit être parfait. Le salon…Ah, Seigneur ! Le guéridon qui n’est toujours pas débarrassé. Madeleine !...Il faut que je fasse tout, ici. Et le prétendant d’Eglantine qui va arriver d’un moment à l’autre. Et Monsieur qui n’est pas là, évidemment. Madeleine ! Avez-vous préparé le service pour l’apéritif ?...Madeleine ?

 

La bonne entre (avec une coiffe alsacienne). Ses cheveux semblent légèrement en désordre, un pan de son chemisier est sorti

Madeleine

Ja, Madame ?

 

Madame

Eh bien, ma fille ? Que faisiez-vous donc ?...Notre invité arrive dans moins d’une demi-heure et vous n’avez toujours pas débarrassé ? Et Monsieur, où est-il ? L’avez-vous vu ? Sommes-nous prêts ?...Je vous pose une question, Madeleine.

 

Madeleine

Ach, Ja Madame. Sicherlich, nous sommes prêts. Je m’en occupe. Que Madame ne s’inquiète pas.

 

Madame

Et ce beau jeune homme, (elle se reprend, légèrement confuse) euh, ce…enfin, ce livreur, avec qui je vous ai vu causer tout à l’heure. Celui qui a livré ces fleurs, et qui vous faisait du boniment…Vous a-t-il dit qui les envoie ? Je n’ai vu aucun mot.

 

Madeleine

Ach Ja, Madame. Elles sont magnifiques.

 

Madame

Je sais, mon petit. Ne répondez pas à côté. Je vous demande qui me les a envoyées. Dîtes-moi tout.

 

Madeleine

Ach, euh…Je ne sais pas, Madame.

 

Madame

Comment çà, vous ne savez pas ? On me livre des fleurs, des fleurs somptueuses, et même  extravagantes…et vous ne cherchez pas à savoir qui me les envoie. C’est un monde !

 

Madeleine

Euh…non, Madame. (Elle regarde les fleurs) D’habitude, il y a un mot avec.

 

Madame

Oui, merci Madeleine. Je sais. Justement. Il n’y en avait pas.

 

Madeleine

Ah.

 

Madame

Ah…Et c’est tout ?

 

Madeleine

Euh…Quoi, Madame ?

 

Madame

Il n’y avait pas de mot…Pas de mot…Et donc…Vous n’avez pas cherché à savoir ?

 

Madeleine

Oh ma foi non, Madame ! Certainement pas ! Et puis, je ne m’en suis pas aperçu…

 

Madame

C’est bon, c’est bon. Allez allez, mon petit, nous ne sommes pas en avance…Ah ! Au fait, Madeleine…

 

Madeleine

Ja, Madame ?

 

Madame

Vous avez un soupirant ?

 

Madeleine

Himmel…Ma foi non, Madame. Enfin, euh…Comment…

 

Madame

Allons allons, Madeleine. Ne faîtes pas l’enfant. Je vous ai vue tout à l’heure, avec le coursier des fleurs…Vous minaudiez, mon petit. Vous minaudiez…N’est-ce pas lui, d’ailleurs, qu’il m’a semblé voir repasser devant chez nous, il y a quelques minutes à peine ?

 

Madeleine (confuse)

Oh, Madame, je vous en prie. Je…

 

Madame

C’est bon c’est bon, mon petit. Disposez, disposez.

 

Madeleine fait mouvement

Madame

Madeleine ?

 

Madeleine (s’arrêtant)

Ja, Madame ?

 

Madame

Rajustez quand même votre chemisier, voulez-vous ?

 

Madeleine

Oh ! Mein Gott...Grand merci, Madame.

 

Elle sort, en se pressant

Madame, restée seule, sort de son corsage un bristol et le lit en souriant, puis s’apprête devant une glace

Madame

Pas de mot, pas de mot. Teuh ! Tu plaisantes… (Elle lit :) « De la part d’un fervent admirateur »…Mais il aurait pu signer, tout de même…Même pas ses initiales…Oh, tout cela m’excite, moi…Bon. Allons allons Simone, calme-toi. Il faut raison garder. La tête froide. Et nous allons en avoir besoin aujourd’hui, je le sens…

 

Monsieur entre. Madame range vivement le bristol

 

Monsieur

Ah ! Vous voilà ma chère, enfin ! Pouvez-vous me dire où se trouve ma cravate bleue ? J’en ai besoin.

 

Madame

Voyons mon ami ! Je n’en sais rien…Demandez à Madeleine. Madeleine !

 

Elle se ravise brusquement

Madame

Ah mais dîtes-donc, Charles, justement. Vous n’allez pas mettre cette ridicule cravate bleue, tout de même. Vous n’y pensez pas. Pas aujourd’hui, en tout cas.

 

Monsieur

Comment çà, pas aujourd’hui ? Elle est très bien, cette cravate bleue ! J’y tiens beaucoup.

 

Madame

Allons allons. Foutaise. Vous mettrez votre nœud saumon. Il est du dernier chic, et parfaitement adapté pour la visite qui nous est faite.

 

Monsieur

Ah non, Simone, je vous en prie. Pas le nœud saumon. J’ai l’air d’un plouc avec.

 

Madame

Mais non mais non. Pas du tout. Je vous l’ai dit, pas de cravate bleue. Vous ne pouvez pas. Hors de question. Soyez sérieux, mon ami.

 

Monsieur

Mais enfin, c’est que…

 

Madame

Charles ! …Cessez ces enfantillages, voulez-vous. Vous mettrez votre nœud saumon, un point c’est tout.

 

Monsieur

Euh…Bon…Bien, bien. Bon. Pff…

 

Il ressort, dépité

Madame

Madeleine !

 

La bonne accourt enfin

Madeleine

Ja Madame, qu’est-ce qu’il y a ?

 

Madame

Avez-vous rangé les affaires de Monsieur ? Il cherchait une cravate.

 

Madeleine

Ah, oui, la cravate bleue. Je l’ai rangée dans la…

 

Madame

Très bien. Alors gardez-la.

 

Madeleine

Je demande bien pardon à Madame ?!

 

Madame

Je dis : gardez-la…Ou plutôt non, rendez-la moi !...Ou alors jetez-la, c’est égal.

 

Madeleine

Mais…comment, Madame ? Mais je ne peux pas faire çà !

 

Madame

Il suffit, voulez-vous. Vous ai-je demandé votre avis ?...Eh bien, apportez-la-moi, tiens. Je saurai quoi en faire.

 

Madeleine

Euh…bien, Madame.

 

Elle sort. Madame reprend son maquillage

 

Madame

Tout de même…J’aimerais bien savoir…Un admirateur…Fervent, même. Mmmhh…Qui cela peut-il bien être ? ...Ah, cela m’émoustille ! Bon. Et notre Eglantine, avec mon futur gendre, grand Dieu ! Il ne s’agit pas de rater cette rencontre. Un si beau parti…Les  De la Lavandière, c’est tout de même quelque chose…Un nom, une grande famille…une maison…une vraie,  qui ressemble à quelque chose (Plus bas, marmonnant) Pas comme ici… (Reprenant de la voix) Une voiture…Le père très en vue…Il a de l’ambition, lui. (Plus bas, en marmonnant) Pas comme l’autre, là… Avec un tel beau-père, notre fille n’aura aucun souci matériel (Reprenant de la voix) Bon ! Mais que font-ils donc, tous ?  Charles ?...Charles, vous venez ?...Vous m’entendez, Charles ?...Char-leueu ?

 

Monsieur entre

Monsieur

Voilà voilà ! Me voici. Vous êtes contente ?

 

Il arbore son nœud saumon

Madame

Eh bien oui, Charles. Cela vous va à ravir et cela vous rend plus intelligent. Et c’est très bien ainsi. C’est un minimum pour tenir votre rang quand ce jeune monsieur De la Lavandière sera là. Je ne vais pas vous crier ma joie, tout de même…

 

Monsieur

Ni moi, rassurez-vous. Moi qui pensais vous faire plaisir…Vous aviez insisté...

 

Madame (pincée et un rien rêveuse)

Me faire plaisir ?! N’exagérons rien, Charles, je vous en prie…

 

Monsieur

Disons : Vous satisfaire…

 

Madame

Encore moins.

 

Monsieur

Ah.

 

Madame tourne le dos et se repenche sur sa coiffure et son maquillage. Monsieur est dépité et bougonne, en marchant de long en large et en rajustant, très contrarié, son nœud saumon.

Sur ce, Madeleine survient avec une table roulante pour installer le service à apéritif

 

 

Monsieur

Ah ! Madeleine…Dîtes-moi ma fille, vous n’auriez pas vu ma cravate bleue, par hasard ?

 

Madame tousse

Madeleine

(Faisant mine d’aller chercher quelque chose dans une poche de son tablier)

Ah, mais justement, Monsieur, c’est que j…

 

Madame tousse à nouveau, plus fort

Monsieur

Oui, vous dîtes ?

 

Madame est saisie d’une quinte de toux. Monsieur réalise et se précipite à son secours

 

Monsieur

Et bien ma mie, que vous arrive-t-il ? Attendez…

 

Il lui tape dans le dos

Madeleine (comprenant)

Oh, Madame. Pardon…Je vais vous chercher votre sirop. Vous avez du prendre froid…

 

Elle sort précipitamment

Monsieur

Mais enfin, Madeleine, me direz-vous ?!...Madeleine !?...La cravate…

 

Elle répond depuis le vestibule

Madeleine

Ah, oui…Non non, Monsieur. Je n’ai pas trouvé…votre nœud saumon.

 

Monsieur

Ben !! Evidemment, puisque je le porte ! Mais où avez-vous donc vos yeux, ma pauvre Madeleine ? Ce n’est pas ce que je vous demandais ! Ventrebleu, est-ce que vous savez où se trouve ma cravate bl…

 

Madame

Enfin, Charles !! Laissez-donc cette petite, à la fin. Nous avons autre chose à faire de plus important aujourd’hui, il me semble. Notre Eglantine va être mise en présence de son chevalier servant d’un moment à un autre. Ce Georges-Henri est probablement votre futur gendre, je vous le rappelle…Enfin, si nous convenons à ces gens là…J’ai quelques craintes…

 

Monsieur

Ah oui, c’est vrai. C’est important. Il me tarde de voir à quoi ressemble l’olibrius qui ose prétendre à la main de notre enfant chérie. On m’a dit que c’était un jeune homme de très bonne famille. Mais ceci dit, c’est peut-être un parfait abruti…

 

 

Madame

Comme vous dîtes, mon ami. C’est une famille plus que convenable. Aussi, je compte sur vous pour faire honneur à notre maison. La dernière fois que nous avons reçu une visite, rappelez-vous, vous vous êtes couvert de ridicule…au dîner, avec les Du Paillet.

 

Monsieur

Hein ?! Moi, ma mie ? Avec les Du Paillet ?...Mais…je n’ai rien dit du repas ! Ils étaient assommants. Ah çà, oui, je m’en rappelle ! A-sso-mants.

 

Madame

Justement. C’est bien le problème. Vous n’avez rien dit. Et j’ai du faire la conversation pendant tout le dîner. Avouez que c’est un monde. Vous savez comme cela me pèse…D’autant que Madame Du Paillet ne pipait mot et me regardait de haut. Une vraie toupie. Et puis vous aviez mis cette cravate ridicule. Même vos ouvriers n’en portent pas d’aussi moches. J’ai très bien vu la mine de la Du Paillet lorsqu’elle vous dévisageait. J’en étais mortifiée.

 

Monsieur

Mes ouvriers ? Mais enfin Simone, où avez-vous vu que mes ouvriers portent des cravates ?

 

Madame

Justement. Ils n’en portent pas ! Personne n’oserait porter une chose aussi ridicule. Sauf vous.

 

Monsieur

Pfff…Alors là, Simone, laissez-moi vous dire que…que vous exagérez…un tout petit peu.

 

Madame

Du tout, Charles. Je sais ce que je dis. C’est l’évidence.

 

Monsieur

Tout de même...

 

Madame

Non.

 

Monsieur

Mais enfin, Simone…Ernestine…pour cette fois-ci, s’il-vous-plaît…chérie…mmh ?

 

Madame

Taisez-vous donc, Charles. Vous n’entendez rien à ces choses là. Et ne commencez pas à me faire votre petit numéro de séduction, çà ne prend pas. (Elle sourit) Gamin, va !...Tenez, rendez-vous donc utile, plutôt. Venez m’aider à remonter la fermeture de ma robe.

 

Monsieur

Pfff…Bon.

 

Il s’exécute. Madame se contemple dans la glace sur la cheminée, satisfaite

 

Madame

Voilà. Voilà qui est parfait.

 

Monsieur (admiratif, pris de tendresse pour sa femme)

Simone…

 

Il fait mine de l’enlacer

Madame

Tuutt ! Pas touche. Reculez, Monsieur Schmoll.

 

Elle le repousse gentiment mais fermement

 

Monsieur

Ernestine… ?! Ma mie…

 

Madame

Charles, voulez-vous bien !...Notre invité sera là dans une minute. Retenez-vous, enfin. Vous n’êtes pas un porc…

 

Monsieur (mortifié)

Mais je ne fais que çà…

 

La bonne entre, avec une potion sur un plateau

 

Madeleine

Tenez, Madame. Pour votre toux.

 

Madame

Ma toux ?!Quelle toux…Vous délirez, ma petite! Rangez-moi donc çà, voulez-vous.

 

Monsieur

Simone, enfin, voyons ! Vous avez été prise d’une quinte il n’y a pas cinq minutes. J’étais là. Soignez-vous, que diable. Qu’on en finisse.

 

Il continue de marcher de long en large

 

Madeleine

(Insistante, glissant la cravate bleue dans les mains de Madame avec la potion)

Oui, Madame, il faut vous soigner. Prenez-donc ceci…

 

Madame

Ah oui, où avais-je la tête (elle tousse). Merci, Madeleine.

 

Monsieur (bougonnant, pour lui-même)

Quand je pense que cet im-bé-cile de Du Paillet avait e-xac-te-ment le même modèle…mais en rouge…Et lui, bien sûr, cela lui va bien, il est très élégant, et patati et patata…Fichtre !...

 

Madame

Plaît-il ?...

 

Monsieur

Non, rien.

 

Madame (à la bonne)

Bien, mon petit, ne restez-donc pas plantée là, comme une gourde. Allez allez, il faut nous dépêcher, maintenant, disposez l’apéritif et laissez-nous.

 

Madeleine

Bien, Madame. Sofort.

 

Elle s’affaire

Madame

Pfff…Ah, ces provinces, avec leur dialecte…Enfin…Charles ?...

 

Monsieur

Mmmh…

 

Madame

Ce Georges-Henri…comment est-il ? L’avez-vous déjà vu? N’est-ce pas ce fringuant jeune homme qui accompagnait sa mère à la dernière vente de charité, à l’école des Oies?

 

Monsieur

Ah, euh…c’est possible, je ne sais pas.

 

Madame

Comment cela, vous ne savez pas ? Mais enfin, Charles, vous n’avez donc rien remarqué ? Madame de la Lavandière portait un très remarquable chapeau à fleurs, du meilleur goût. Tout le monde ne voyait qu’elle, évidemment. Je l’ai trouvée très à son avantage. Vous n’avez jamais songé à m’en offrir un de la sorte, Charles.

 

Monsieur

Pardon ?

 

Madame

Ah, mais vous aviez peut-être les yeux ailleurs…Sur la fille Lavandière, peut-être ? Ce serait bien vous, cela.

 

Monsieur

Mais ! Enfin, Ernestine !...La tension de cette journée vous égare, allons…

 

Madame (toujours se poudrant devant la glace)

Tatatata. Je vous connais, mon ami. Comme si je vous avais fait. Vous ne cessiez de lorgner sur elle…Une très belle jeune fille, d’ailleurs…Tout comme son frère, très élégant…Notre Eglantine a bien de la chance…

 

Monsieur

Ah. Très bien. Sûrement.

 

La bonne s’apprête à quitter le salon

 

Madame

Madeleine ?

 

Madeleine

Ja, Madame ?

 

Madame

Assurez-vous que mademoiselle se tient prête et qu’elle attend bien sagement dans sa chambre. Nous ne tarderons pas de la faire appeler, après que vous aurez introduit monsieur de la Lavandière.

 

Madeleine

Ja, Madame.

 

Madame

Madeleine.

 

Madeleine

Ja, Madame.

 

Madame

Arrêtez de dire ‘Ja Madame’ à tout bout de champ, s’il vous plaît. C’est agaçant, à la longue. Je ne sais pas, moi, dîtes : ‘Entendu, Madame’, ou alors : ‘comme Madame voudra’, de temps en temps…

 

Madeleine

Ja, Madame.

 

Elle sort. Madame lève les yeux au ciel

Madame

Charles…

 

Monsieur

Mmh… ?

 

Madame

Pour notre petite chérie…Eglantine…Avez-vous songé…à sa dot ? Vous y avez réfléchi, bien sûr…

 

Monsieur

Ah. Oui. Oui oui. Bien sûr…oui oui…Mais, vous savez, ma mie, qu’à ma disparition, les établissements Schmoll…

 

Madame

A Dieu ne plaise, mon ami.

 

Monsieur

…comme nous n’avons pas de fils…

 

Madame

Oui, et alors ? Pourquoi rappelez-vous ce point ? Qui puis-je, mon bon ! La faute à qui…Vous avez bien une fille. Vous ne pouvez quand même pas vous plaindre d’avoir épousé une femme dépourvue de toutes les capacités nécessaires. Pour engendrer des garçons, vous n’êtes pas sans savoir que cela requiert un peu plus d’énergie…

 

Monsieur hausse les épaules et lève les yeux au ciel

 

Monsieur

….Et donc, j’espère que ce Georges-Henri n’est pas né de la dernière pluie et qu’il pourra, un jour, reprendre le flambeau…et faire de beaux héritiers, aussi… (Il reste pensif) Au fait, Simone…

Madame

Ouiii ?...

 

Monsieur

Notre petite Eglantine chérie, comme vous dîtes…avez-vous songé, par hasard, euh…à l’affranchir, enfin, je veux dire…à l’instruire un peu…suffisamment…de la…chose ?...Parce que, il me semble, enfin, je ne suis pas certain que…

 

Madame

Mais ! Oh…Voulez-vous bien ! Qu’insinuez-vous donc ? Ne suis-je pas une mère méritante ? Oh…Taisez-vous donc, mon ami ! Sachez que notre Eglantine est tout à fait digne de sa mère. Elle est parfaitement préparée pour faire honneur à son mari en remplissant pleinement son devoir. Après son mariage, bien entendu…Et elle vous fera de beaux petits-enfants, vous verrez, insolent…Goujat, va…

 

Monsieur

Ah bon, bien…Alors tout est pour le mieux, j’imagine…

 

On entend une sonnette

Madame

Ah !

 

Monsieur

Ah ! Bigre…Fichtre.

 

Madame

Madeleine !...

 

Ils attendent, fébrilement. Madeleine apparaît, laissant entrer Georges-Henri de La Lavandière

Monsieur se précipite

 

Monsieur

Ah, bonjour très cher ami, quelle joie de vous voir si…si…Hum. Mais donnez-vous donc la peine d’entrer, faîtes comme chez vous. Hum. Venez ici, que je vous présente mon épouse…Chérie, voici monsieur de la Lavandière, comme vous savez…Georges-Henri, -permettez que je vous appelle Georges-Henri-, voici mon épouse, Simone…

 

Georges-Henri fixe Madame avec émotion, puis jette ostensiblement un coup d’œil sur les fleurs, et enfin s’incline avec obséquiosité devant Madame en lui faisant le baisemain. Madame croit saisir l’allusion et est sous le charme, mais elle reste prudente et distante

 

Georges-Henri

Madaame… (Se tournant vers Monsieur) Monsieur…C’est un honneur…Merci de me recevoir…

 

Madame (intéressée, dévisageant Georges-Henri)

Mais tout le plaisir est pour nous, installez-vous donc (Elle lui indique un siège, près d’elle). Venez-donc vous assoir près de moi, à votre aise… (Ils s’installent) Madeleine !

 

Monsieur

Hum…

 

Madame

Ainsi donc, cher monsieur de la Lavandière, vous connaissez notre fille, Eglantine ?

C’est, je crois, ce qui nous vaut votre aimable visite ?...

 

Georges-Henri (dévisageant Madame)

En effet, chère Madame. J’ai eu l’avantage de faire la connaissance de mademoiselle votre fille à la dernière vente de charité, où elle vous accompagnait. Je dois dire que j’ai éprouvé, dès cette rencontre, la plus troublante des inclinations, et je…Mes intentions sont pures,  naturellement. Mon âme s’est embrasée ce jour là, n’est-ce pas, euh…et la vision d’une aussi belle figure occupe désormais toutes mes pensées. Aussi ai-je sollicité cette entrevue, afin de vous demander votre permission, chère Madame, de…euh…

 

Madame

Il est charmant. N’est-ce pas, Charles ?

 

Monsieur

Hum.

 

Madame tapote des mains sur la jambe de Georges-Henri

 

Madame

Vous l’avez. Bien entendu.

 

Georges-Henri

Oh. Mais, je…

 

Madame

La maison vous est ouverte. Venez quand il vous plaira.

 

Georges-Henri

Ah bon ? C’est que j’avais pensé…Si Mademoiselle…

 

Madame

Mademoiselle sera ravie, n’en doutez pas. Venez prendre le thé tous les jours, si vous voulez. Je sors rarement l’après-midi. Je pourrai veiller sur vous.

 

Georges-Henri

Ah, bien. Très bien.

 

Monsieur

Vous savez, mon jeune ami, que les établissements Schmoll que je dirige…

 

Madame

Madeleine ?

 

Monsieur

Hum.

 

Georges-Henri

Vraiment, Madame, je ne sais comment vous remercier. Votre aimable invite me comble, je la reçois…avec joie et empressement, comme un encouragement dans mes efforts pour…

 

Madame

Madeleine !?

 

Monsieur

Les établissements Schmoll, disais-je…

 

La bonne accourt

Madeleine

Oui, Madame ?

 

Madame

Faîtes-donc mander Eglantine, voulez-vous ?

 

Madeleine

Pardon, Madame ?! Mais c’est qu’il n’y a que moi, ici.

 

Madame

Oui, bon ! Ne faîtes pas de l’esprit, ma fille, ce n’est pas le moment. Et allez nous chercher Eglantine, voulez-vous ? Il est grand temps qu’elle paraisse devant notre jeune ami, monsieur Georges-Henri…Allez…

 

Madeleine

Ja, Madame.

 

La bonne s’exécute

Madame

Ach…Madeleine !

 

Madeleine

Ja, Madame ?

 

Madame

Non rien. Ouh…

 

La bonne sort

Madame (Pour elle-même)

Mais c’est qu’elle m’énerve, cette petite Alsacienne de Commercy.

 

Monsieur

Hum, hum. Donc, comme je vous disais...

 

Madame

Et donc, mon jeune ami, je compte sur vous. Vous viendrez tous les jours, n’est-ce pas ? Nous parlerons, nous échangerons, nous nous étendrons sur tous les sujets…

 

Georges-Henri

Mmbgl…

 

Eglantine paraît au salon

Eglantine

Vous m’avez fait demander, mère ? Bonsoir, père.

 

Monsieur

Hum. Eh bien, euh…Monsieur de la Lavandière, voici donc notre fille Eglantine. Eglantine, voici monsieur de la Lavandière, qui nous fait l’amitié de sa visite. Monsieur de la Lavandière  souhaitait te voir…Enfin, euh…Simone ?…

 

Eglantine

Bonjour, Monsieur Georges-Henri.

 

Georges-Henri se lève, empressé et obséquieux

 

Georges-Henri

Bonsoir, Mademoiselle Eglantine. Je suis ravi de vous revoir. Nous nous sommes entre-aperçus, l’autre jour, à la fête de charité. Nous parlions justement de vous, avec votre maman.

 

Madame

Eh bien ! Venez ici, ma fille…Monsieur de la Lavandière nous fait l’honneur de s’intéresser à notre famille, réjouissez-vous. Il viendra désormais régulièrement partager notre afternoon tea, où il pourra nous entretenir de sa science et des affaires de sa prestigieuse famille. C’est une grande chance pour vous, mon enfant.

 

Eglantine

Oh. Vraiment…

 

Georges-Henri

En effet, Mademoiselle. Et je me flatte d’être en mesure de vous présenter les perspectives les plus flatteuses d’une relation suivie et désintéressée, euh…que vous…euh…à votre service, chère mademoiselle…

 

Eglantine

Oh. Tout cela…Je suis flattée.

 

Madame

Et plus encore, ma fille. Plus encore. La relation qui se noue aujourd’hui me remplit d’aise et nous laisse espérer…de bien beaux développements…pour la plus grande satisfaction du plaisir, euh…pour le plus grand plaisir de la satisfaction…de la morale. Félicitons-nous de cet heureux projet…Madeleine ?

 

La bonne accourt

Madeleine

Ja, Madame ?

 

Madame

Ach…Servez-nous, bitte. (À Georges-Henri) Vous prendrez bien un verre de Porto avec nous ?

 

Georges-Henri

Volontiers. S’il vous plaît.

 

Madame

Il nous plaît…

 

La bonne sert Madame, puis Georges-Henri

 

Monsieur

Hum. Et donc, chez les Schmoll…

 

Madame

Eglantine a suivi la meilleure éducation possible. J’y ai veillé personnellement. Elle joue remarquablement du piano et brode à la perfection, vous verrez, mon jeune ami.

 

La bonne sert Monsieur, puis Eglantine

 

Georges-Henri

Ah ? Très bien.

 

Madame

Eglantine a naturellement bien d’autres atouts, je vous les laisse deviner. Notre fille est bonne chrétienne et respecte l’ordre et l’autorité. Elle saurait parfaitement tenir une grande maison… Savez-vous qu’elle a déjà eu plusieurs prétendants ? Mais, mon jeune ami, je ne vous dissimulerai pas que vous êtes le premier qui nous apparaît, et de loin, tout ce qu’il y a de plus convenable pour une jeune fille de sa condition. Un bel homme comme vous, bien sous tous rapports…ne saurait nous laisser insensible. Dans cette famille, voyez-vous, il n’y a pas beaucoup d’hommes, et…

 

Monsieur

Eh bien, Simone ?! Je vous remercie…Vous en avez quand même un, il me semble.

 

Madame

Allons allons, Charles, ne faîtes pas l’enfant, vous me comprenez…Vos affaires…Vos obligations… (À Georges-Henri) Et donc, nous autres femmes, nous sommes parfois bien esseulées. Il nous manque une présence masculine régulière, forte, rassurante, pour des conversations d’un niveau intellectuel satisfaisant…gratifiant…Les galants hommes ne se déclarent pas toujours, n’est-ce pas ? Ils avancent masqués, et nous ne les remarquons pas toujours…Tenez, j’ai moi-même reçu tantôt ces magnifiques fleurs, là…devant vous.

 

Monsieur (remarquant enfin les fleurs)

Çà doit être le comité d’organisation de notre congrès professionnel de mercredi. Ils envoient toujours des fleurs aux épouses des principaux intervenants.

 

Madame (ne relevant pas)

Eh...

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