TOUS LES DEUX, ou le mari de ma femme

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L’amour n’a pas d’âge. Catherine, mariée, 55 ans, aime Michel, célibataire, 60 ans, auteur à succès. Ils veulent se marier, « pour dire leur amour au monde entier ». Mais avant de convoler, comme on dit, en justes noces, Catherine devra quitter son mari, Jean-François, 58 ans, négociant, et Michel, du même coup, perdre un ami fidèle.
Et là, la partie, pardon le mariage, est loin d’être gagné. Il n’y a pas que des bons moments dans la vie, tout le monde le sait.
Mais nous sommes au théâtre et tout finira par s’arranger. Ils se marieront et auront beaucoup… de bonheur.
Une pièce drôle, dynamique, un décor unique, des cris de mouettes, un éditeur (voix au téléphone) déprimé, des personnages attachants.

Décor (1)

Chez Michel, le salon. Décor uniqqueUne table faisant office de bureau, une bibliothèque garnie, Ordinateur, imprimante, fauteuils, chaises, etc. (Pas de canapé). A droite une porte donne dans la cuisine, une autre, à gauche, donne dans le vestibule. Un couloir donne dans l'appartement ,

 

Prologue

 

La scène est dans la pénombre.

 

On distingue la silhouette d’un homme assis à la table de travail. L’homme tape, maladroitement, sur le clavier de l’ordinateur.

 

L’homme, tapant et marmonnant à mi-voix : …Ce n’était pas ainsi qu’il avait envisagé sa rencontre avec Eléonore (Il continue de marmonner quelques phrases. Il poursuit à haute voix.) La jeune femme traversa, d’un pas vif, le couloir décoré avec soin point…  (Il cherche la touche "Imp".)… Impression… Impression… Ah !… (Il appuie sur la touche "Imp".)

 

L’homme se lève et va prendre, sur l’imprimante, (posée sur une étagère de la bibliothèque), la feuille qu’il vient d’imprimer.

 

NOIR

1

Un matin

1.1   Michel

Catherine et Michel ont passé la nuit ensemble.

Michel s’est levé de bonne heure pour écrire. Tenue décontractée.

 

Michel, lisant la feuille qu’il a récupérée. Il marmonne entre ses dents, on ne comprend pas ce qu’il dit : Mmmme… mmme… mmme.. (Il s’interrompt.) Décoré avec soin... Avec soin ! c’est vague, ça ne veut rien dire ! Non, ça ne va pas !

 

Il froisse la feuille et la jette dans la corbeille à papier.

 

…Mais pourquoi est-ce que j’ai fait ça, pourquoi !

 

1.2   Michel, Catherine

 

Entre Catherine, venant de la chambre. Elle s’apprête à rentrer chez elle.

 

Catherine, entrant : Qu’est-ce que tu as fait ?

 

Michel, désignant la corbeille à papier : Ça.

 

Catherine : ???

 

Michel : Rien, pas une ligne, pas un mot.

 

Catherine, minimise : Il y a des jours, comme ça, ce n’est pas grave.

 

Michel : Non, il n’y a pas des jours comme… comme tu dis.

 

Catherine : Oh ! tu n’as jamais connu, comme tous les écrivains, l’angoisse de la page blanche ?

 

Michel : Non.

 

Catherine : Tu n’as jamais ressenti cette impression de vide, ce léger vertige…

 

Michel : Jamais ! j’ai toujours écrit avec facilité. Je n’ai jamais ressenti cette impression de… (Avec une contorsion comique.) Une fois ou deux peut-être.

 

Catherine : Ah ! tu vois.

 

Michel : Mais pourquoi, pourquoi ?

 

Catherine : Pourquoi, quoi ?

 

Michel : J’ai non rien.

 

Catherine, tend l’oreille comme pour le forcer à parler : Tu as ?

 

Michel, hésite, puis : J’ai promis un livre à mon éditeur.

 

Catherine, le reprend : Mon éditeur.

 

Michel, agacé : C’est une façon de parler ! Catherine, s’il te plaît, ce n’est pas le moment, je t’assure, j’ai dit mon éditeur comme j‘aurais dit ma banque, mon coiffeur…

 

Catherine : Ma femme, quand nous serons mariés.

 

Michel : Je lui ai promis un roman.

 

Catherine : Des promesses, à ton âge.

 

Michel : Mon âge ! J’ai 60 ans… (Dans une espèce d’envolée, avec un tourbillon de la main) « Hé bien ! qu’est-ce que cela, soixante ans ? C’est la fleur de l’âge ! et vous entrez maintenant dans la belle saison de l’homme ». (Il précise, en s’inclinant.) Molière.

 

Catherine : Prétentieux.

 

Michel : D’après les statistiques, ma chérie, l’espérance de vie des hommes aujourd’hui est de 78 ans. Il me reste donc, si je ne me trompe pas, 78 moins 6O, une bonne vingtaine d’années à vivre.

 

Catherine : 18 exactement, si je ne me trompe pas.

 

Michel : 18, en effet. Avec ta permission, je m’étais accordé un petit supplément, à mon âge, n’est-ce pas… Je lui ai promis un roman pour la fin du mois, voilà ce qui ne va pas !

 

Catherine : La fin du mois ! Mais c’est…

 

Michel : Oui, la fin du mois c’est…

 

Catherine : Je n’ai rien dit.

 

Michel : Non mais tu allais le faire. Je lui ai promis, comme ça, sans réfléchir, enfin sans réfléchir…

 

Catherine, moqueuse : C’est une façon de parler.

 

Michel : Oh ! je n’ai pas envie de plaisanter, tu sais, vraiment !... Je l’ai vu hier, je voulais lui parler… Je voulais…

 

Catherine : Je quoi… Parle. (Pour elle-même.) C’est agaçant.

 

Michel : Il vend sa boîte… Il m’en avait parlé, je n’y croyais pas. Il en a marre, il ne supporte plus le milieu de l’édition… Je ne pensais pas qu’il le ferait, sa boîte c’est toute sa vie… Et la mienne ; un auteur, un éditeur, l’un ne va pas sans l’autre. (Il se souvient.) « Les éditions du boulevard », un rez-de-chaussée au fond d’une cour, boulevard Sébastopol, deux chaises, une table, un téléphone… Tous les éditeurs avaient refusé mon livre, tous sans exception : "Monsieur, nous avons bien reçu votre manuscrit et nous vous remercions de la confiance que vous accordez à notre maison d’édition. Votre manuscrit a été examiné avec attention par notre comité de lecture, malheureusement il ne correspond pas au type d’ouvrage que nous recherchons actuellement". Ça ne correspond jamais. Je leur répondais – tu sais que je n’aime pas qu’on me prenne pour un imbécile…

 

Catherine : Moi non plus.

 

Michel : ???

 

Catherine : Je n’aime pas qu’on me prenne pour une imbécile.

 

Michel : … je leur répondais, "j’ai bien reçu votre réponse, je l’ai lue avec attention. Malheureusement elle ne correspond pas à celle que j’attendais. Pouvez me dire, je vous prie, le type d’ouvrage que vous recherchez, cela m’évitera de perdre mon temps et mon argent. Je vous remercie". 16 refus… (Il sort un livre de la bibliothèque.) Simon a cru en moi…

 

Catherine : Simon ?

 

Michel : Mon éditeur.

 

Catherine : Simon, oui, oui, excuse-moi.

 

Michel : Il m’a encouragé, soutenu, il a fait de moi un écrivain, un "auteur" (Lit le titre du livre qu’il a sorti de la bibliothèque.) « Derrière le miroir sans tain »

 

Catherine : Mystère.

 

Michel :  Un roman de Michel Oléron, prix du premier roman, à l’unanimité du Jury, mille neuf cent (Interroge Catherine du regard.) quatre-vingt…

 

Catherine : Sept.

 

Michel : Quatre-vingt-huit.

 

Catherine : Quatre-vingt-sept, quatre-vingt-huit, quelle importance, qui sait aujourd’hui que tu as reçu le prix du…

 

Michel : Premier roman.

 

Catherine : Du premier roman mille neuf cent quatre-vingt-sept.

 

Michel : Quatre-vingt-huit. Personne en effet. Tu ne peux pas comprendre.

 

Catherine, choquée : Oh ! Et pourquoi ! Parce que je suis une femme ! Pourquoi est-ce que je ne pourrais pas comprendre ! Tu es particulièrement odieux ce matin.

 

Michel : Il n’y a qu’un auteur pour comprendre ça (Lisant fièrement.) « Derrière le miroir sans tain » Je réalisais mon rêve, j’entrais dans la "littérature", les salons, les dédicaces, l’argent, les voyages…

 

Catherine : Les femmes.

 

Michel, confirme : Comme s’il en pleuvait.

 

Catherine, le réprimande vivement : Michel !

 

Michel : Jalouse ?

 

Catherine : Je n’aime pas quand tu parles comme ça : comme s’il en pleuvait. C’est blessant… Tu en as eues beaucoup ?

 

Michel, distrait : Hein…

 

Catherine : Des femmes ?

 

Michel : Quelques-unes.

 

Catherine, tend l’oreille : Oui ?

 

Michel : Ah ! Ah ! mystère.

 

Catherine : Dix, vingt, cent ?

 

Michel : Mais je ne sais pas, je ne les ai pas comptées.

 

Catherine : Tu ne sais pas. Tu ne sais pas combien tu en as eues ?

 

Michel : Non, je ne sais pas.

 

Catherine : Si j’étais un homme, je le saurais, moi, je pourrais dire, sans en oublier une, leur nom, leur âge, la couleur de leur peau, où je les ai connues, et pourquoi je les ai quittées.

 

Michel : Mais tu n’es pas un homme.

 

Catherine : Tu les as oubliées ?

 

Michel : N’insiste pas, je ne te le dirai pas.

 

Catherine : Bon… N’en parlons plus.

 

Michel : Voilà, n’en parlons plus. Il a édité le premier, il éditera le dernier.

 

Catherine : Le dernier ?

 

Michel : Le dernier ma chérie.

 

Catherine : Je suis ravie de l’apprendre.

 

Michel : J’ai écrit toute ma vie, beaucoup, trop peut-être. Il ne suffit pas d’écrire un livre, il faut en écrire cinq, dix, quinze, il faut en écrire toujours plus… L’argent que j’ai gagné, et j’en ai gagné beaucoup, je l’ai mérité, je l’ai gagné à la sueur de mon front, au sens propre du terme.

 

Catherine : Définitivement ?

 

Michel : Définitivement.

 

Catherine : Et ce roman, ce roman que tu as promis ?

 

Michel : Une folie ! Pour Simon, avec ma gratitude et mon profond respect. On a commencé ensemble, on finira ensemble.

 

Catherine : Tu parleras de moi ?

 

Michel : De toi, de nous… Et après je… non rien.

 

Catherine, tend l’oreille comme pour le forcer à parler : Tu ?

 

Michel : Quand nous serons mariés… quand j’aurais définitivement tourné la page, je…

 

Catherine : Je quoi, parle !

 

Michel : J’achèterai une maison.

 

Catherine : Quelle drôle d’idée.

 

Michel : En Normandie, une maison pour toi et moi.

 

Catherine : Ha ! Ha ! tu es fou.

 

Michel, pour lui-même, en plaisantant : Une chaumière et un cœur.

 

Catherine : Et un peu bête aussi.

 

Michel : Qui ne l’est pas.

 

Catherine : Tu as d’autres projets ?

 

Michel, s’approche de Catherine et lui prend les mains tendrement : T’épouser ma chérie, vite, vite, le plus vite possible.

 

Catherine : Ce n’est pas un projet ça, c’est une formalité.

 

Michel : Indispensable si nous voulons dire au monde entier que nous nous aimons et que nous voulons vivre ensemble.

 

Catherine : Ha ! Ha ! Jean-François m’a dit la même chose il y a 30 ans.

 

Michel : Voilà ! Jean-François !

 

Catherine : Mais !

 

Michel : Ton mari !

 

Catherine : Oh ! tu ne vas pas tout de même pas me reprocher d’avoir épousé ton meilleur ami.

 

Michel : Je ne te le reproche pas, mais si tu ne l’avais pas épousé…

 

Catherine : Si, si, si… Si tu ne me l’avais pas présenté.

 

Michel : Tu en aurais épousé un autre.

 

Catherine : C’est possible.

 

Michel : Tu ne m’aimais pas.

 

Catherine : C’est un reproche.

 

Michel : Non, un regret.

 

Catherine, touchée : C’est gentil… j’apprécie.

 

Michel : Jean-François ! C’est à cause de lui, à cause de… enfin non, ce n’est pas à cause de lui, c’est à cause de… de tout ça, de toute cette histoire ! J’appréhende tu sais, j’appréhende. C’est pour ça que je ne n’y arrive pas, que je n’arrive pas à écrire ce fichu bouquin ! Tant que tu ne lui auras pas dit que tu veux divorcer… Il faut lui parler Catherine.

 

Catherine : Parle-lui, toi.

 

Michel, poursuivant : Il faut lui parler maintenant.

 

Catherine : J’ai peur.

 

Michel : Peur !... (Levant la main.) Il n’oserait pas ?

 

Catherine : Non… Non…

 

Michel : Alors ?

 

Catherine : J’hésite.

 

Michel : Il ne faut pas.

 

Catherine : Si j’avais une bonne raison…

 

Michel : ???

 

Catherine : Une raison sérieuse… Je ne sais pas…

 

Michel : ???

 

Catherine :… il y en a tellement : la pauvreté, les inégalités, le dérèglement climatique… Je lui dirais, je n’hésiterais pas, je n’hésiterais pas une seconde, je lui dirais franchement, sans honte, sans regret… (Un temps) Je le quitte pour un autre, et pas n’importe quel autre, je le quitte pour toi. C’est banal, c’est presque vulgaire.

 

Michel, pour lui-même : On est peu de chose.

 

Catherine : Ou s’il me trompait, nous serions quittes.

 

Michel : C’est le cas de le dire.

 

Catherine : Il est bel homme, il a une bonne situation.

 

Michel, l’interrompt brutalement : Admettons, il a une maîtresse…

 

Catherine : Oh ! le vilain mot.

 

Michel : Admettons…

 

Catherine : Une femme ne dis pas qu’elle a un maître, elle a un copain, un ami, un amant. Un mec, à la rigueur.

 

Michel, fort : Admettons, Il faudra bien le lui dire.

 

Catherine : Bien sûr, mais s’il me trompait, je me sentirais moins coupable. C’est mon mari tout de même, ce n’est pas rien… Il me trompe ?

 

Michel : Je ne sais pas… Certainement… Il serait bien le seul à ne pas le faire.

 

Catherine : Tu ne sais pas ?

 

Michel : Non, je ne sais pas et je ne veux pas le savoir.

 

Catherine : Bon, bon, je te demandais ça… pour savoir.

 

Michel : Où est-il aujourd’hui, où est-il allé faire son marché, en Chine, en Turquie, au Japon ?

 

Catherine : Au Brésil je crois. Il rentre ce soir.

 

Michel : Tu crois.

 

Catherine : Oui, je crois, il ne me dit pas toujours où il va… On ne se parle plus, tu le sais.

 

Michel : La dernière fois que je l’ai vu, c’était… je vous avais invité à prendre l’apéritif… C’était…

 

Catherine : Il y a six mois. Quelle soirée. Tu portais un pantalon beige, un polo jaune paille, très joli, des mocassins, tu m’as pris la main, on s’est embrassé dans la cuisine… Ce que tu m’as dit ce soir-là, je ne l’oublierai jamais.

 

Michel, avec humour : Le talent ma chérie, le talent… (Reprenant.) On ne s’est pas parlé depuis un siècle. Pas un coup de fil, pas un signe, rien. Je ne comprends pas.

 

Catherine : Tu ne l’appelles pas non plus.

 

Michel : Oui, mais moi je sais pourquoi… J’appréhende tu sais, j’appréhende. Il se doute de quelque chose, c’est évident.

 

Catherine : Mais non, je m’en serais aperçue, il n’est pas très malin. Et Comment l’aurait-il su ? Il n’est jamais là, et je suis prudente… (En partant.) Prudence est mère de sûreté.

 

Michel : Tu pars, Il est à peine dix heures.

 

Catherine : J’ai des courses à faire. Je t’appelle. Je t’aime.

 

Michel : De l’avenue des Gobelins à la rue de Miromesnil, il faut, quoi ? une demi-heure…

Tu auras largement le temps d’éparpiller quelques miettes sur la table de la cuisine, de froisser un peu les coussins du canapé, de jeter négligemment un foulard sur le dossier d’une chaise et d’attendre patiemment, comme Pénélope, le retour du héros en lisant un roman de ton auteur préféré (il va devant la bibliothèque et montre ses livres) Tu as l’embarras du choix. Parle-lui, s’il te plaît.

 

Catherine, sortant : Zut.

 

Michel retourne à sa table de travail.

 

Catherine revient aussitôt.

 

 

1.3   Michel, Catherine

 

Il n’entend pas Catherine qui approche.

 

Catherine : Je me demandais…

 

Michel, sursautant : Tu m’as fait peur !

 

Catherine : Qu’est-ce que tu leur disais ?

 

Michel : Hein !

 

Catherine : Aux malheureuses que tu as oubliées, qu’est-ce que tu leur disais quand tu les quittais ?

 

Michel : Mais je… je leur disais…

 

Catherine : Oui ?

 

Michel : Ce que les hommes disent dans cas-là : rien.

 

Catherine : On ne quitte les gens sans leur dire pourquoi.

 

Michel : Tu ne peux pas comparer une maîtresse (Catherine lève les yeux au ciel.) et un mari. Une maîtresse, on sait qu’on va la quitter, et c’est précisément parce qu’on sait qu’on va la quitter qu’on sort avec. Un mari c’est autre chose, on ne le quitte pas comme ça, il faut…

 

Catherine : Une bonne raison.

 

Michel : Il faut lui dire la vérité Catherine. Pourquoi est-ce que tu ne lui dis pas que tu veux divorcer ?

 

Catherine : Mais parce que…

 

Michel : Oui ?

 

Catherine : Parce que c’est mon mari.

 

Michel : Ah.

 

Catherine : Autrement, je n’hésiterais pas.

 

Michel : Tu hésites beaucoup.

 

Catherine : Dis-lui toi, dis-lui que tu veux m’épouser.

 

Michel : Ah ! non, demande-moi ce que tu veux, mais pas ça !

 

Catherine : Et pourquoi ?

 

Michel : Mais parce que…

 

Catherine : Parce que ?

 

Michel : Parce que c’est un ami, ce n’est pas la même chose.

 

Catherine : C’est la même chose ! Est-ce qu’on ne le trompe pas tous les deux, est-ce qu’on ne couche pas ensemble tous les deux, est-ce qu’on ne désire pas vivre ensemble tous les deux ! Alors, pourquoi je lui dirais, moi ! Parce que je suis une femme ?

 

Michel : Mais…

 

Catherine : Pourquoi les femmes devraient-elles toujours affronter, seules, les difficultés, pourquoi les femmes devraient-elles toujours assumer, seules, les responsabilités ?

 

Michel : Mais je…

 

Catherine : On lui dira tous les deux !

 

Michel : Hein !

 

Catherine, avec autorité, en articulant chaque mot : TOUS  LES  DEUX.

 

Michel : Mais…

 

Catherine : Main dans la main, on lui dira que je veux divorcer, et que tu veux m’épouser.

 

Michel : Ah ! non.

 

Catherine : Tu ne veux pas m’épouser ?

 

Michel : Si, si, mais... (murmure) main dans la main.

 

Catherine, tendrement : Pour le meilleur et pour le pire, Michel, pour le meilleur et pour le pire, il n’y a pas que des bons moments dans la vie.

 

Elle embrasse Michel.

 

Catherine, sortant : Réfléchis.

 

Michel, seul, dans un souffle, pour lui-même : Tous les deux…

 

1.4   Michel

 

Il allume la radio, (Thème de la pièce.)

Il va devant la bibliothèque.

Il regarde un moment, pensif, les livres alignés sur les étagères.

 

Quatre-vingts, ma vie en quatre-vingts romans… Mes enfants, mes enfants chéris, il va falloir vous serrer un peu, j’en écris un autre… Pardon ?... A la fin du mois… Oui, je sais la fin du mois… Quand on aura dit à Jean-François… Jean-François, le mari de Catherine… Tiens j’ai dit « on », bizarre… Quand on lui aura dit que nous voulons nous marier… Simon l’attend avec impatience…. Simon, mon éditeur, ne me dites pas que vous ne le connaissez pas… Il me presse comme un citron, il le veut son livre, il le veut avant de vendre sa maison d’édition… (Le téléphone sonne.)

 

Michel, baisse le son de la radio et décroche :… Je parlais de toi… A mes livres… Mais oui, je leur parle comme un jardiner parle à ses fleurs… On a tous nos petits secrets… hein ?... Comme prévu, à la fin du mois… prochain… Mais… mais… Ecoute-moi… tu sais que j’ai l’intention d’épouser Catherine… Je ne te l’ai pas dit… Excuse-moi !… Tu sais qu’elle est mariée… Comment et alors ?... Son mari ?... C’est un ami…  Ah !... N’est-ce pas… Hein !… Tu comprends… Mais non je ne t’oublie pas, je te l’ai promis… Comment trop tard… Tu ne l’auras pas vendue le mois prochain !... Des propositions… Mais non, mais non… Je fais de mon mieux…. Je te le promets… oui, moi aussi… Je t’embrasse.

 

(Il raccroche. Pour lui-même.) Ne jamais rien promettre, à personne.

 

Tapant mollement sur le clavier de son ordinateur :« La jeune femme traversa le salon dont les murs tapissés de… »

 

La lumière et la musique diminuent simultanément jusqu’au noir/silence

 

 

Fondu

 

Plus tard dans la matinée

La lumière et la musique (différente de celle diffusée précédemment) montent simultanément

 

Michel, écrivant : L’avion décolla dans un bruit assourdissant. Les lumières de la ville disparaissaient. Son rêve le plus fou se réalisait, il retournait à Lisbonne. Tant d’années s’étaient écoulées depuis sa dernière visite. Enfin, il allait la revoir…

 

Michel marmonne un long moment, appuie sur les mauvaises touches, s’énerve, recommence…

 

Sonnerie porte d’entrée. Michel, surpris, regarde sa montre machinalement.

Il éteint la radio, se lève et va ouvrir.

 

 

1.5   Michel, Jean-François

 

Michel, off : Jean-François !.... Tu n’es pas… hmm..

 

Jeff, entrant : Je ne te dérange pas ? Tu es seul ?

 

Michel, revenant : Non, non, euh, oui, je suis seul, non tu ne me déranges pas.

 

Un temps. Sourires crispés.

 

Jeff : Tu en fais une tête.

 

Michel : Je…

 

Jeff : Tu n’es pas content de me voir ?

 

Michel : Je vais…

 

Jeff : Il faut que je te parle, c’est important.

 

Michel : Je vais t’expliquer… Je ne t’ai pas appelé parce que…

 

Jeff : Je ne suis pas venu pour ça, tu vas comprendre…

 

Michel : J’ai trahi notre amitié…

 

Jeff : ???

 

Michel : J’ai honte.

 

Jeff : Mais…

 

Michel : Je ne cherche pas d’excuse.

 

Jeff : Qu’est-ce…

 

Michel : Ne me juge pas.

 

Jeff : Qu’est-ce que tu racontes…

 

Michel : Ce que j’ai fait est un impardonnable.

 

Jeff : "Impardonnable, ne m’accable pas, ne me juge pas"… je ne te juge pas, et je ne suis pas sans reproche… Tu exagères toujours.

 

Michel : Oh ! non, oh ! non.

 

Jeff : Je ne t’en veux pas imbécile. Mais d’abord, dis-moi, comment vas-tu ?

 

Michel : Ça va, ça va. Un peu tendu, mais ça va…

 

Jeff : Toujours le même, hein ! ça bouillonne, ça bouillonne.

 

Michel : Oh ! là là…

 

Jeff : Tu écrivais ?

 

Michel : Hein ! euh, oui… Whisky ?

 

Jeff, comme pour dire oui : Allez…  Je ne t’ai pas appelé parce que… parce que je ne pouvais pas, plus exactement, parce que je ne voulais pas.

 

Michel, un peu étourdi : Tu ne pouvais pas parce que tu ne voulais pas.

 

Jeff : Ecoute-moi.

 

Michel va chercher des verres dans la cuisine.

 

Michel, off : Je t’écoute.

 

Jeff, fort : Je peux te parler franchement ?

 

Michel, off : Tu ne m’as jamais parlé autrement, j’espère.

 

Jeff : J’ai rencontré quelqu’un… (fort) Une femme.

 

Bruit de vaisselle dans la cuisine.

 

Michel, surgissant : Une vraie !

 

Jeff : Je l’ai rencontrée il y a six mois (Il fait tournoyer son index autour de sa tempe comme pour dire : tu comprends.)

 

Michel : C’est pour ça, c’est pour ça que tu ne m’appelais pas.

 

Jeff : Je ne voulais pas te mêler à cette histoire.

 

Michel : Tu n’as pas confiance en moi ?

 

Jeff : Il ne s’agit pas de ça, et tu le sais bien… Je voulais être sûr de moi. Tu connais Catherine, tu l’apprécies, c’est une amie, elle t’aime beaucoup… C’est très gênant, je suis marié, Michel, je te le rappelle.

 

Michel : Tu es bien aimable.

 

Jeff : Je l’ai rencontrée à Londres, au cours d’une transaction… Le coup de foudre.

 

Michel : Une anglaise ?

 

Jeff : Non, elle s’appelle Clara, elle est italienne.

 

Michel : C’est sérieux ?

 

Jeff : Sérieux ! je suis amoureux (fort, en jetant les bars devant lui) J’aime !

 

Michel : Ah ! oui, c’est…

 

Jeff : Je n’ai jamais été aussi heureux. Aucune femme auparavant…

 

Michel : Aucune, il y en a eu d’autres !

 

Jeff : Quelques-unes… Oh ! je n’ai pas souvent trompé Catherine… J’aurais pu, ce n’était difficile… Quand on est loin de chez soi, le dépaysement, la solitude, on boit un verre le soir au bar de l’hôtel, on bavarde, et puis…

 

Michel : Mais bien sûr, ça commence toujours comme ça.

 

Jeff : Je ne suis pas coureur, non, j’ai eu quelques aventures, comme tout le monde, enfin je crois, une argentine à Buenos Aires, une canadienne à Toronto, une chinoise à Pékin…

 

Michel : Une italienne à Londres… Je ne savais pas.

 

Jeff : Mais je ne te dis pas tout.

 

Michel, avec une contorsion comique : Moi non plus.

 

Jeff : On a tous nos petits secrets.

 

Michel : N’est-ce pas… Une question, juste pour savoir, qu’est-ce que…

 

Jeff : Oui ?

 

Michel : Qu’est-ce que tu leur disais quand tu les quittais, les chinoises, les argentines, les canadiennes, qu’est-ce que tu leur disais ?

 

Jeff, hésite :…Au revoir.

 

Michel : Au revoir, évidemment. Non, mais tu sais…

 

Jeff : Good bye, sayonara, (avec un tourbillon de la main) arrivederci !

 

Michel : Oui, oui, j’ai… Et qu’est-ce que… qu’est-ce que tu as l’intention de faire ?

 

Jeff : L’épouser.

 

Michel, sursautant : L’épouser !

 

Jeff : Je veux légitimer notre amour… Je suis amoureux Michel, c’est merveilleux, inespéré, je veux le crier, je veux le dire au monde entier.

 

Michel : Commence par le dire à ta femme. (Il est pris d’un petit rire nerveux)

 

Jeff : ???

 

Michel : Hein ?

 

Jeff : Ça va ?

 

Michel : Oui, oui… Comment est-ce que tu vas lui dire ?

 

Jeff : Justement.

 

Michel : Justement quoi ? Tu ne sais pas comment tu vas lui dire ou tu ne sais pas ce que tu vas lui dire ?

 

Jeff : Les deux, je n’y arrive pas

 

Michel : Aïe.

 

Jeff : C’est difficile.

 

Michel : Oh ! oui.

 

Jeff : Oh ! oui, qu’est-ce que tu en sais ?

 

Michel : J’imagine.

 

Jeff : Eh ! bien, imagine, qu’est-ce que tu lui dirais si tu étais à ma place ?

 

Michel : Si j’étais…

 

Jeff : Si tu étais le mari de ma femme.

 

Michel : Le mari de Catherine ! Mais qu’est-ce que tu vas, qu’est-ce que tu vas…

 

Jeff : Réponds-moi.

 

Michel : Je lui dirai la vérité. Il faut toujours dire la vérité.

 

Jeff : Bien sûr.

 

Michel : Sais-tu combien il y a de divorces en France chaque année - je l’ai découvert récemment en faisant des recherches pour un livre - 120 000. Il y a 120 000 mille divorces en France chaque année, c’est vertigineux.

 

Jeff : Ah… et ?

 

Michel : Rien… Non, comme ça.

 

Jeff : ???... Ça va ?

 

Michel : Hein ?

 

Jeff : Tu es bizarre.

 

Michel : Non, non, ça va.

 

Jeff : Je ne te reconnais pas… Tu as des ennuis ? Tu n’as pas de problème d’argent ?

 

Michel : Mais non, quelle idée, des problèmes d’argent, tu es drôle tu sais… Pourquoi est-ce que tu ne lui dirais pas simplement : "Catherine, j’ai rencontré quelqu’un, je l’aime et je veux l’épouser".

 

Jeff : Mais parce que… parce que c’est ma femme.

 

Michel : Parce que c’est ta femme.

 

Jeff : Autrement…

 

Michel : Tu n’hésiterais pas.

 

Jeff : Non, les autres…

 

Michel : Tu t’en fous.

 

Jeff : Je ne les ai pas épousés les autres !

 

Michel : Il faut lui parler, il faut lui dire que tu veux la quitter.

 

Jeff : C’est facile à dire.

 

Michel : Eh bien dis-le lui. Qu’est-ce que tu risques ?... Catherine est délicate, sensible, intelligente, elle comprendra… Tu n’es plus un enfant bon sang, allez !

 

Jeff : Allez, allez…

 

Michel : C’est un mauvais moment à passer.

 

Jeff : Un mauvais moment, tu plaisantes !

 

Michel : Oh ! non, oh ! non.

 

Jeff : Un moment terrible, c’est affreux, je ne dors plus.

 

Michel, ne se sent pas très bien : Ah ! là là.

 

Jeff : J’aimerais la quitter… je cherche le mot…

 

Michel : Rapidement.

 

Jeff : Non, enfin oui… J’aimerais la quitter proprement, voilà, respectueusement. Je ne veux pas lui faire de mal.

 

Michel : Ah ! mais il ne faut pas, surtout pas, il ne faut pas lui faire de mal.

 

Jeff : Je ne sais pas quoi faire.

 

Michel : Il faut lui parler, maintenant.

 

Jeff, répète, furieux : Je n’y arrive pas ! Si je m’écoutais, je plaquerais tout, je partirais sans rien dire… Aide-moi, je t’en supplie.

 

Michel, le menton pincé entre le pouce et l’index, traverse le salon lentement.  

 

Michel : Si je devais dire à Catherine que je veux la quitter… Tu m’en demandes beaucoup, tu sais.

 

Jeff : Eh ! bien.

 

Un temps long.

 

Michel, à Jean-François : Catherine !

 

Jeff : Oui ?

 

Michel : J’aime !

 

Jeff : C’est tout.

 

Michel : C’est déjà pas mal. Et tu précises : une femme.

 

Jeff : J’ai peur Michel.

 

Michel : Peur !

 

Jeff : Je ne suis pas violent, je n’ai jamais porté la main sur elle, ni sur aucune autre d’ailleurs, mais si les choses tournaient mal, si elle refusait de divorcer, si elle… je (lève la main)

 

Michel : Tu n’oserais pas !

 

Jeff : Je deviens fou… Michel ?

 

Michel : Oui.

 

Jeff : Tu vas rire et j’ai un peu honte… J’ai pensé que… si tu veux bien, on lui dira tous les deux.

 

Michel : Hein !

 

Jeff : Côte à côte.

 

Un temps.

 

Jeff : Ça va ?

 

Michel : Oui, oui, ça va… Ça va.

 

Jeff : J’aime Clara, rien ne m’empêchera de l’épouse, et si je devais (Il lève la main, agressif.) je n’hésiterais pas.

 

Michel : Ah ! mais je te l’interdis ! je ne te laisserai pas faire !

 

Jeff : Je suis à bout… (très énervé) je suis prêt à tout Michel, à tout !

 

Michel : Bon, bon… On lui dira tous les deux… calmement, gentiment.

 

Jeff : Oui ?

 

Michel : Oui… (Pour lui-même.) côte à côte.

 

Jeff : Merci… (Un temps.) Tu permets. (Attrape la bouteille de whisky et remplit son verre et celui de Michel) Salute. (Il trinque.)

 

Michel, à contrecœur : Salute

 

Jeff : Merci… Merci, merci, merci…

 

Michel : Mais, je t’en prie.

 

Jeff : Je savais que tu ne me laisserais pas tomber. Je ne l’oublierai pas.

 

Michel : La partie n’est pas encore gagnée.

 

Jeff : Allons, allons… Une formalité.

 

Moue dubitative de Michel.

 

Michel : Une question…

 

Jeff : Oui ?

 

Michel : Si demain… Non, non, rien…

 

Jeff : Si demain quoi ?

 

Michel : Si demain Catherine rencontrait quelqu’un, un homme, un homme élégant, cultivé…

 

Jeff : Ah ! ah ! ah ! un écrivain ?

 

Michel : Oh ! je t’en prie, tu ne… tu ne… (Il lance maladroitement son poing devant lui.)

 

Jeff : Je ne sais pas… Je ne frapperai pas une femme… (Menaçant, serrant les poings.) un homme, c’est différent.

 

Michel : Bah ! euh, non, pas tellement.

 

Jeff : Tout de même.

 

Michel : Non, non… si on réfléchit bien… non, c’est…

 

Jeff : Tu es bizarre, je ne sais pas ce que tu as, tu es bizarre.

 

Michel : Mais rien, qu’est-ce que j’ai, je n’ai rien !

 

Jean- François attrape son verre et avale la dernière gorgée rapidement.

 

Jeff : Je me sauve, je ne vais pas t’ennuyer plus longtemps… Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle-moi…. (En allant à la porte.) Je ne suis pas un ingrat, tu le sais.

 

Michel : Je sais oui, je m’en souviendrai.

 

Jeff : Je cours annoncer la nouvelle à Clara. Je n’étais pas fier, tu sais, tu m’enlèves un poids, je me sens beaucoup mieux.

 

Michel : Un instant !

 

Jeff, sur le point de sortir : Oui ?

 

Michel : A mon tour… Qu’est-ce que tu ferais si…

 

Jeff : Si j’étais à ta place ?

 

Michel : Non… Oui.

 

Jeff : Je me marierais.

 

Michel : Tu es drôle, tu sais.

 

Jeff : Je suis sérieux, le temps passe vite. Plus on vieillit, plus il passe vite… Tu ne t’es jamais marié…

 

Michel : Non.

 

Jeff : Tu ne m’as jamais dit pourquoi, tu ne me l’as jamais vraiment dit… Pourquoi ?

 

Michel : Parce que je ne voulais pas.

 

Jeff : Merci bien.

 

Michel : Pas parce que je ne voulais pas te le dire, parce que je ne voulais pas me marier, parce que je ne voulais pas m’attacher, à rien ni à personne… Je voulais écrire, voyager, je voulais dévorer la vie, c’est aussi bête que ça. Pas très original. Est-ce que j’aurais pu écrire, voyager, aimer, si j’avais été marié ? Je ne sais pas, peut-être…

 

Jeff : Et tu n’as pas d’enfant. Tu ne le regrettes pas.

 

Michel : Quand je vois le monde comme il est, décadent, violent, imprévisible, non, je ne le regrette pas. Absolument pas.

 

Jeff : Tu n’as tout de même pas l’intention de rester seul !

 

Michel, agacé : Mais je ne suis pas seul (Montrant la bibliothèque.) Et ça,...

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