“Trois jours dans la vie de Vitaly Laïzenko”

Usine à trolls : (« troll factory »), organisation qui regroupe et coordonne des hackers, payés pour diffuser de manière massive des informations partielles, partiales ou totalement mensongères sur les réseaux sociaux. Leur but est la déstabilisation géopolitique ou politique, le lobbying ou la propagande politique. Elles peuvent soit être issues d’initiatives privées, soit être constituées et coordonnées par un gouvernement, un parti politique, ou tout autre groupe de pression.
(source : Wikipédia).

=> Comment peut bien se passer “la vie en boite” au jour le jour, dans une usine à mensonges ?

Liste des personnages (11)

Vitaly LaïzenkoHomme • Adulte
Chef de service de l’Unité-32554. Expérimenté. Ancien espion spécialisé en informatique passé cadre dans le secteur privé du trolling.
MendelsonHomme • Jeune adulte
Dirige la création des mensonges. Génie précoce en informatique, star du hacking. Enfance choyée, milieu aisé. Aime les chemises à fleurs californiennes.
KonstantinHomme • Jeune adulte
Le comptable. Grand gamin attardé et sensible. Élevé avec soin par une mère seule, milieu modeste. L’équation insoluble, pour lui : son rapport aux autres.
RashidHomme • Jeune adulte
Supervise la diffusion des mensonges. Autodidacte, origines humbles. Ses cinq prières par jour ne l’empêchent pas d’être très estimé dans l’équipe.
IgorHomme • Adulte
Responsable de la sécurité informatique. Jadis broyé par le système, s’accroche pour garder sa place dans ce dur milieu. Espion raté, militaire radié.
ElenaFemme • Jeune adulte
Débutante dans la création de mensonges. Mélange d’innocence et de rigidité idéologique. Conditionnées par le système éducatif de son pays.
TamilaFemme • Adulte
Secrétaire de Vitaly. Gouailleuse mais efficace. Ses horaires déraisonnables l’ont amené au divorce. Le célibat lui pèse.
DavidHomme • Adulte
Commercial Israélien spécialisé dans les logiciels de piratage. Chaleureux et capable. Ancien hacker lui-même. Le monde est son terrain de jeux.
SashaHomme • Senior
Supérieur de Vitaly. Jamais présent sur scène. S’exprime uniquement par téléphone et visioconférence.
Yvan PrimakovHomme • Adulte
Entrepreneur mafieux, client de l’Unité-32554. Psychopathe, paranoïaque, sûrement violé, enfant. Fortune énorme. La haine est son carburant.
Dimitri SolokovHomme • Adulte
Une des cibles de l’Unité-32554. Personnalité très semblable à Vitaly, avec qui il a débuté dans le métier. Devenu politicien. Un dur à cuire, lui aussi.

Décor (1)

Bureau de Vitaly. Il est meublé comme suit : un plan de travail, sur lequel on trouve un téléphone, doté d’un interphone. Devant lui, deux fauteuils, pour ses interlocuteurs. Plus loin, une table de réunion avec au moins cinq chaises. Une tirelire en forme de cochon rose est posée en son milieu. Il y a un porte manteaux près de l’entrée.

 

ACTE I

Acte I scène 1

Vitaly, Tamila, Mendelson, Igor, Konstantin, Rashid.

Bureau de Vitaly.

Voix off :

Premier jour. Neuf heure.

(Vitaly entre. Il pose sa serviette sur le bureau, retire puis suspend son imperméable au porte manteau, sort un ordinateur portable de sa serviette et le branche. Puis il prend une chemise sur son bureau, s’assoit à la table de réunion, et se plonge dans les documents qu’elle contient.)

(Tamila entre et dépose quatre ordres du jour sur la table, chacun devant une chaise vide. Elle tend le cinquième à Vitaly.)

Tamila :

Mes respects du matin, monsieur le président directeur général !

Vitaly :

Bonjour à vous, Tamila. Faites-les entrer.

(Tamila sort.)

Tamila :

(Voix off) Vous pouvez venir, les garçons !

(Rashid, Mendelson, Igor et Konstantin entrent gaiement, avec chacun un dossier dans les mains. Ils s’installent à la table de réunion.)

Vitaly :

Bonjour à tous. Le point de ce matin sera court. Commençons. La production : Rashid, quels sont les chiffres ?

Rashid :

Alors, cette nuit, on a soutenu un volume total assez joli d’environ trois mille mensonges diffusés en ligne. mille sur internet, via les blogs factices et les fausses tribunes, et deux mille autres, ventilés sur les différents réseaux sociaux, principalement Facebook et TikTok. C’est les chiffres qui m’ont été remontés à huit heure.

Vitaly :

Bien. Attention à ne pas les diminuer, ces volumes, hein ? Trois mille par nuit, c’est correct, mais il ne faut absolument pas descendre sous ce seuil. Les nuages informationnels produits doivent absolument garder leur épaisseur de manière continue.

Rashid :

On gère. Sans problème. Tant que les équipes de Mendelson continueront à nous confier des mensonges d’une qualité suffisante en tenant le planning, mes sous-traitants arriveront à les disséminer efficacement en flux tendu sur le net. Et on tient les coûts.

Mendelson :

La qualité ne ment pas !

(Toute l’équipe rit.)

Vitaly :

Les coûts. Parlons-en. Konstantin, où en es-tu, sur notre bilan trimestriel ?

Konstantin :

J’ai clos l’exercice. Notre balance reste excédentaire de 45,7 %, entre les services facturés à nos clients, les rentrées sur nos rançongiciels, les arnaques en ligne et la vente de fichiers volés. Le fishing, notamment, progresse bien. À l’opposé, nos charges ont augmenté de 20,35 %.

Mendelson :

A NOUS LA MÉGA-PRIME, LES GARS !!! C’EST PLUS DES COFFRES FORTS, QU’IL VA NOUS FALLOIR, C’EST DES PISCINES !!!

Vitaly :

Ne rêvez pas trop. Vous êtes déjà parmi les mieux payés du dark web. Quand à l’augmentation des charges, Konstantin, c’est un peu normal. Le prix des faux profils internet s’est envolé ces derniers mois, et comme le volume de nos besoins se chiffre actuellement en milliers par semaines, cela fini pas peser.

Konstantin :

Il y a aussi d’autres lignes de budget, qui montent en flèche. Les investissements constants en hardware dernier cri, notamment. Et puis il y a le coût de l’achat des dix députés Européens pour le compte de notre client pétrochimique, avec la campagne Evil-Bit-Destroy. C’est au dessus des prévisions.

Vitaly :

Oui. Mais çà, on le refacture au client, non ?

Konstantin :

Cette assertion est vérifiée. Mais dans l’intervalle « I », on décaisse. Le montant égale tout de même une dizaine de millions en liquide, pour la période.

Vitaly :

Heureusement, nous planifions une grosse rentrée, avec notre dernier rançongiciel.

Igor :

...Tu parles de Welcome-to-Santan ?

Vitaly :

Voilà un achat qu’on ne regrette pas ! Il marche du feu de Dieu. Rashid, le ministère des armées nous a fourni la dernière liste des cibles à traiter en priorité ?

Rashid :

Oui, tranquille. Des hôpitaux Européens, une administration américaine, deux ou trois entreprises privées japonaises… La routine.

Vitaly :

Pour une fois, ils sont dans les temps. Tu me rentres tout çà en jalons dans le fichier Excel, et tu me rajoutes quelques cibles rien que pour nous. Mendelson ! Es-tu à jour, sur la liste des faux articles de presse pour la campagne Freedom-Strangulation en vue du rétablissement de la peine de mort en Suède ?

Mendelson :

Pff ! Pliée en trois jours ! Avec tous les arguments qu’on a développé, ils vont vouloir la rendre obligatoire, même pour les excès de vitesse ! Par contre, il va falloir un peu plus de temps à mes équipes, pour celle contre l’opposant Hongrois, là. Les services secrets du pays ne tiennent trop pas les délais, pour me communiquer les éléments compromettants de base.

Vitaly :

Oui, c’est toujours pareil. Ils nous passent commande, et ensuite, ils sont réticents pour nous fournir leurs informations. Ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Tant pis pour eux. Konstantin, tu leur factureras le retard.

Konstantin :

Sans retenue. On tourne en rond, sinon.

Vitaly :

Igor. Tout est calme, sur le front de la sécurité ?

Igor :

Rien à signaler. Grâce à nos nouveaux firewalls, et au dernier spoofing de nos adresses IP, nos serveurs sont devenus quasiment indétectables. Aucune menace en vue pour l’instant.

Vitaly :

On peut l’espérer, vu ce qu’ils nous coûtent en consommation d’énergie supplémentaire ! Et concernant nos propres attaques, où en sont tes hackers, sur le cracking des codes d’accès du ministère des armées Vénézuélien ?

Igor :

Ils vont y arriver. La boite à qui on sous-traite la tâche dispose d’un bataillon de programmeurs Chinois qui s’y entendent, pour torturer les chiffres.

Vitaly :

Bien. Je vous informe que nous sommes actuellement en train de recruter pour nous renforcer. En ce moment, avec l’actualité, une augmentation critique de notre productivité est attendue par nos sponsors d’état. Par nos clients privés aussi, d’ailleurs. Et d’après pas mal d’études, ce n’est que le début. L’avenir nous appartient, si nous savons en négocier les opportunités.

Mendelson :

LE MILLION ! LE MILLION ! (Rashid, Igor, puis Konstantin se joignent au chœur) LE MILLION ! LE MILLION !

Vitaly :

C’est un fait. Vous l’atteindrez certainement cette année, avec votre participation aux bénéfices.

(Tous applaudissent.)

Konstantin :

Je ne voudrais pas pondérer cet optimisme, mais pour l’exercice à venir, la résolution des incertitudes posées par notre projet Black-Bit-Scorching, le coup d’état en République du Congo, sera une épreuve de vérité.

Igor :

LE MOT INTERDIT !!! … IL A DIT LE MOT INTERDIT !!!

Konstantin :

Oh, erreur. Désolé.

L’équipe :

LE COCHON !!! ... LE COCHON !!!

(Konstantin sort un antique portefeuille à fermoir et mets une pièce dans la tirelire qui trône au milieu de la table, sous les vivats.)

L’équipe :

(applaudissant) OUAIIIIIIS !!!

Mendelson :

Ta mère t’a donné de l’argent de poche, ce matin, Konstantin ?!?

(Tout le monde rit.)

Vitaly :

Bon. L’ambiance startup, c’est bien, mais il nous reste encore énormément de boulot à abattre et nous restons sous la menace de dangers mortels. Tous à vos claviers. Et ainsi que je vous le dis toujours...

L’équipe :

(en chœur) « FUYEZ LA LUMIÈRE. LA FURTIVITÉ DE CHACUN EST LA SÉCURITÉ DE TOUS. » !!!

Vitaly :

Exact. Bonne journée à vous.

(L’équipe se lève quitte joyeusement le bureau.)

[Noir sur la scène.]

Acte I scène 2

Vitaly, Tamila, Sacha.

Bureau de Vitaly.

Voix off :

Premier jour. Dix heure.

Tamila :

(dans l’interphone) Vitaly, c’est l’heure de tutoyer le sommet !

Vitaly :

Tout à fait.

(Il ouvre son ordinateur et se connecte en visioconférence.)

Sacha :

Bonjour, Vitaly. Écoute, je suis désolé, je dois faire vite : j’ai un special meeting avec le board qui vient de tomber. Alors allons droit au but. Comment ça se passe, en ce moment ? Tu arrives à tenir tes objectifs opérationnels et tes plannings ?

Vitaly :

Bonjour, Sacha. Oui, tout va bien, globalement. Mais nous sommes un peu en surchauffe. Je te rappelle que tu m’avais promis des ressources supplémentaires.

Sacha :

Tout à fait. Je n’ai pas oublié ton besoin. Tu vas réceptionner dans la matinée un débutant. On l’a sélectionné avec soin. Il devrait être fiable. Regarde-le. Son CV est brillant. Mais comme il est neuf dans le métier, il va sans doute falloir un peu de temps avant qu’il donne tout son potentiel.

Vitaly :

Oui, j’ai vu. Tamila a réservé un créneau sur mon agenda pour son entretien, ce matin. Je te remonterai ce que j’en pense.

Sacha :

Excellent… Bon... De notre côté, j’ai... enfin, nous avons un problème.

Vitaly :

Ha bon ? Lequel ?

Sacha :

Il semble qu’on aie une taupe, dans l’équipe.

Vitaly :

Vraiment ?

Sacha :

Oui. Plutôt ironique, non ? Un traître, dans une équipe de fabricants de mensonges ! On redoutait ça depuis longtemps, n’est-ce pas ?

Vitaly :

C’est vrai. Mais vu les montants qu’on investi dans la sécurité et la surveillance, on pouvait penser que le risque était maîtrisé.

Sacha :

Et oui…

Vitaly :

Comment vous en êtes-vous rendu compte ?

Sacha :

Je ne suis pas autorisé à te le dire. Mais si on ne l’exfiltre pas rapidement, ça risque de nous faire très mal. L’avenir même de notre Unité-32554 est en danger !

Vitaly :

Comment va-t-on faire, pour le démasquer ?

Sacha :

Ça, c’est à toi de gérer. Le management le plus efficace, dans ce type de situation, c’est sans doute de confier une info « secret défense » différente à chacun des gars de ton équipe, et d’attendre de voir laquelle transpire dehors...

Vitaly :

Ça risque d’être long.

Sacha :

Tu n’as pas une idée de qui pourrait être la pomme pourrie, parmi tes gars ?

Vitaly :

Non. Ils sont tous assez anciens chez nous, maintenant. J’ai un peu baissé la garde, c’est un fait.

Sacha :

Et bien il va falloir la relever. Et avec violence.

Vitaly :

OK…

Sacha :

Tu joues ta place, là, tu en es conscient, Vitaly ?

Vitaly :

On en est déjà à ce point ?

Sacha :

Le board a été unanime sur la question, hier soir. Les enjeux sont énormes, vis à vis du Président. L’Unité est un des éléments stratégiques de sa politique. Et comme militairement, ça va plutôt mal, en ce moment, il investit énormément sur nous.

Vitaly :

Très bien. Je vais faire le nécessaire.

Sacha :

Parfait.

Vitaly :

Je te tiens au courant.

Sacha :

Désolé de devoir te mettre la pression de la sorte, Vitaly. Mais après tout, c’est ton équipe. On se fait un prochain point d’ici deux ou trois jours. Bon courage. Allez, salut !

Vitaly :

Salut, Sacha.

(Sacha coupe la connexion. Vitaly se plonge dans ses réflexions.)

[Noir sur la scène.]

Acte I scène 3

Vitaly, Tamila, Elena.

Bureau de Vitaly.

Voix off :

Premier jour. Onze heure.

Vitaly :

(via l’interphone) Tamila ! Il est déjà arrivé, le petit nouveau ?

Tamila :

Ben… Y a comme un problème. Pour moi, votre petit nouveau, là, ça serait plutôt une nouvelle.

Vitaly :

Pardon ?!?

Tamila :

Ha ben oui. Moi, quand je vois une jupe et un sac à main, j’ai tendance à appeler çà une femme…

Vitaly :

Bon, merci bien. Je vous fais signe quand je suis prêt à la recevoir.

(Il consulte sa boite mail.)

Vitaly :

Comment se fait-il que je n’aie pas vu ce mail hier soir ? Avec un CV en pièce jointe, en plus !

(Il parcours le document... Se lève… fait les cent pas devant son bureau... Puis se rassoit.)

Vitaly :

(via l'interphone) Ok, Tamila, faites entrer Elena, je vous prie.

Tamila :

Bien, chef. J’introduis...

(Quelques secondes passent et Elena entre.)

Elena :

Bonjour, Monsieur.

Vitaly :

Bonjour, Elena. Appelez-moi Vitaly. Asseyez-vous.

J’ai vu que vous avez un cursus très brillant.

Elena :

Merci, Monsieur. Heu… Merci, Vitaly.

Vitaly :

Connaissez-vous bien nos activités ?

Elena :

Oui, je pense. Vous êtes un leader mondial d’opinions anticapitalistes sur le Net.

Vitaly :

C’est joliment dit. Pouvez-vous développer ?

Elena :

Grâce à vous, notre république populaire résiste aux assauts idéologiques et informationnels de nos ennemis extérieurs. Vous êtes inconnus du grand public, mais énormément de campagnes non attribuées répandues dans le monde via le net, viennent de chez vous, sans qu’on le sache. L’Unité-32554 est une équipe d’élite, à la pointe de la « guerre soft » que nous menons contre l’hégémonie de classe impérialiste de l’Occident.

Vitaly :

D’accord. Et qu’est-ce qui vous motive, pour venir travailler avec nous ?

Elena :

Premièrement, je suis fascinée par vos techniques et leur efficacité. Je voudrais que vous m’appreniez à les maîtriser. Deuxièmement, je veux que mon pays reste le leader de cette révolution, afin que nous ne soyons pas submergés, à l’avenir, par ces idéologies étrangères.

Vitaly :

Je le note. Êtes-vous consciente des dangers, y compris pour votre vie, que cette activité peut impliquer ?

Elena :

Se… se sacrifier pour son pays est toujours un honneur.

Vitaly :

Permettez-moi d’insister. Avez-vous bien cerné les devoirs de confidentialité extrêmement strictes que notre activité implique, ainsi que les risques très concrets que tout manquement à ce devoir peut avoir, pour votre intégrité physique et celle de vos proches ?

Elena :

En fait… je n’ai aucunement l’intention de contrevenir aux règles qui me seront fixées. Je ne me sens donc pas vraiment concernée par l’éventualité de ces… possibilités.

Vitaly :

Bien. Pour finir, en quoi pensez-vous pouvoir nous être utile ?

Elena :

Ainsi que vous l’avez vu sur mon CV, j’ai soutenu par le passé une thèse sur la psychologie des masses, et je viens par ailleurs de terminer un master en calculs statistiques sur les flux d’informations. Je pense… enfin j’espère, pouvoir être utile à mon pays et participer efficacement à l’élaboration de narratifs sur le net, qui combattront victorieusement la propagande vicieuse et bourgeoise des ennemis qui nous cernent.

Vitaly :

Parfait. Je ne peux pas vous garantir que vous allez directement intégrer notre service d’élaboration des narratifs. La théorie universitaire, c’est bien, mais il va vous falloir apprendre la réalité du terrain. On va probablement devoir vous mettre sur des tâches un peu... subalternes, avant de vous inclure définitivement dans la cellule centrale de notre organisation.

Elena :

Je comprends parfaitement. Je serai patiente, et cela me paraît tout à fait normal de devoir d’abord faire mes preuves, avant d’aller au combat. Je ferai tout mon possible pour ne pas vous décevoir.

Vitaly :

J’en suis certain. Merci à vous de votre engagement, que je pense sincère. Je ne vous raccompagne pas, Tamila va vous donner de la doc à lire, le temps que nous décidions où vous affecter exactement. A très bientôt, Elena.

Elena :

Merci, M... enfin... merci, Vitaly.

(Elle sort.)

(Vitaly s’abîme un moment dans ses réflexions.)

Vitaly :

(via l’interphone) Tamila, vous donnerez à Elena un exemplaire des mémoires de Richard Nixon, s’il vous plaît... Ajoutez-y une biographie complète du président Français Jacques Chirac et notre compilation des meilleures interviews du cycliste Lance Armstrong. Je pense que vous devriez trouver tout çà quelque part, au fond du placard, dans le coin de la formation continue...

[Noir sur la scène.]

Acte I scène 4

Vitaly, Tamila, Rashid.

Bureau de Vitaly.

Voix off :

Premier jour. Douze heure.

Vitaly :

(via l’interphone) Tamila, faites-moi monter Rashid, s’il vous plaît.

Tamila :

Ah ça tombe bien ! Justement il est là. Il me saoule avec les joies de sa vie de famille...

(Vitaly replonge dans ses réflexions.)

(Entrée de Rashid, qui s’assied et attend.)

Vitaly :

Rashid… Je vais avoir une mission très délicate à te confier.

Rashid :

Pas de problème.

Vitaly :

Et si je te la confie, c’est parce que j’ai une totale confiance en toi. Depuis combien de temps, est-ce qu’on travaille ensemble, maintenant ?

Rashid :

Six, sept ans, je dirais.

Vitaly :

Oui. Quelque chose comme çà... On en a vu passer, des bobards, tous les deux, hein ?

Rashid :

Çà, on peut le dire.

Vitaly :

On a contribué à faire croire que la terre était plate, que les USA n’avait jamais été sur la lune, que les juifs dirigent le monde...

Rashid :

et qu’Hillary Clinton était cannibale, aussi !

Vitaly :

OUI !!! Je l’avais oublié, celle-là ! Ha ! Ha ! Ha !

(Un silence s’installe.)

Vitaly :

Et bien Rashid, voilà : tout ce bon temps risque d’être derrière nous. La fête est finie. L’Amérique et les Européens risquent d’avoir maintenant le champ libre. Sans compter les Chinois.

Rashid :

Sans rire ?

Vitaly :

Oui. Il n’y aura plus que leurs mensonges à eux sur le net et dans les médias. Notre boite risque de fermer, tout cela parce qu’il y a… un traître dans l’équipe.

Rashid :

Non mais t’es sérieux ?

Vitaly :

Quelqu’un parmi nous joue un jeu extrêmement risqué.

Rashid :

Qui c’est ?

Vitaly :

Il s’agirait de... Konstantin.

Rashid :

Konstantin !?!

Vitaly :

Oui.

Rashid :

Il a fait quoi ?

Vitaly :

C’est délicat... Très délicat… Affaire de mœurs...

Rashid :

Affaire de mœurs ???

Vitaly :

Oui. La sécurité intérieure vient de me prévenir. Ce week-end, on l’a retrouvé nu, dans les quartiers chauds, sous l’emprise de poppers parfum vanille, avec un cockring bicolore.

Rashid :

un cockring bicolore ?

Vitaly :

Oui. Il forniquait abominablement, sous un pont, avec d’autres hommes. Indescriptible...

Rashid :

Q U O I  ? ! ?

Vitaly :

Je sais. C’est dur à entendre, pour un homme vertueux et pratiquant, comme toi.

Rashid :

MAIS C’EST… DÉGOÛTANT !!!

Vitaly :

C’est le mot... dégoûtant.

Rashid :

QU’EST-CE QUE JE DOIS FAIRE ?

Vitaly :

D’abord, je veux que tu gardes le silence. Il s’agit d’un ordre, Rashid.

Rashid :

J’ai bien capté.

Vitaly :

Ensuite, je veux que tu me le surveilles de très près. Nous, les infidèles, on est assez libéraux avec ces pratiques, donc, après tout, c’est son droit. C’est sa vie privée. MAIS PAR CONTRE, IL N’EST PAS QUESTION QU’IL PERVERTISSE CETTE ÉQUIPE !!! JE M’Y REFUSE !!!

Rashid :

MOI AUSSI !!!

Vitaly :

Donc, Rashid, tu me le surveilles, et si tu vois la moindre chose louche, tu ne fais RIEN, tu ne réagis pas, mais tu viens immédiatement m’en parler ! Est-ce que c’est clair ?

Rashid :

Carrément, Chef !

Vitaly :

C’est parce que je connais la rigueur de tes mœurs et de ta probité, qu’il n’y a qu’à toi que je pouvais confier une mission de ce genre, Rashid. Tu comprends ?

Rashid :

Bien sûr, c’est hyper chaud.

Vitaly :

Imagine que je confie çà au comité de surveillance ! Tu vois Igor chargé d’une mission d’une telle importance ? Impensable.

Rashid :

Ça serait n’importe quoi.

Vitaly :

Nous partageons donc maintenant tous les deux ce grand secret. Nous devons lutter contre le mal en restant dans l’ombre, Rashid. Et nous frapperons quand le temps sera venu.

Rashid :

Oui. Notre grand secret. Lutter contre le mal. Rester dans l’ombre...

Vitaly :

Et frapper quand le temps sera venu. Voilà. Bon. Je ne te retiens pas, Rashid. Nous avons du travail. A plus tard.

Rashid :

A plus, Chef.

(Rashid sort. Vitaly regarde sa montre.)

Vitaly :

(via l’interphone) Tamila, je pars déjeuner, là.

Tamila :

Ok. je descends à la cantine, alors. Vous serez rentré pour quatorze heure ?

Vitaly :

Tout à fait. À tout à l’heure.

(Il ferme son ordinateur portable, se lève, enfile son imperméable, et sort.)

[Noir sur la scène.]

Acte I scène 5

Vitaly, Tamila, Konstantin.

Bureau de Vitaly.

Voix off :

Premier jour. Quatorze heure.

(Vitaly pénètre dans le bureau, accroche son imperméable au porte-manteaux, et s’installe derrière son bureau.)

Vitaly :

(via l’interphone) Tamila, faites-moi monter Konstantin, s’il vous plaît.

Tamila :

Ok... Lui aussi, qu’est-ce qu’y me colle, celui-là !

(Un moment passe, Konstantin fait son entrée.)

Konstantin :

Tu as demandé que je fasse une courbe vers ton bureau ?

Vitaly :

Oui, Konstantin. Je vais avoir besoin de ton expertise.

Konstantin :

Quels sont les termes de l’équation ?

Vitaly :

C’est délicat. Très délicat.

Konstantin :

Expose-moi les paramètres.

Vitaly :

Konstantin, te rappelles-tu de mon dernier discours, pour l’anniversaire des sept ans de la boite ? J’avais utilisé l’image du laboratoire scientifique qui cultive des virus.

Konstantin :

Heu… juste du premier tiers, approximativement. J’avais dû partir en droite ligne aux urgences, ma mère avait eu une crise.

Vitaly :

Et bien j’avais dit que nous étions comme eux : on produit et manipule des virus, mais il nous faut absolument nous en protéger nous-même, dans notre propre laboratoire. Pas de mensonge entre nous, dans l’équipe. Chacun doit rester hyper clean.

Konstantin :

Je suis 100 % clean.

Vitaly :

Je le sais, Konstantin. Je n’en ai jamais douté, d’ailleurs.

(Silence.)

Mais j’ai des remontées d’informations précises m’indiquant qu’Igor… n’est pas net. Il se mettrait de l’argent dans les poches avec les commandes de matériel informatique. C’est gravissime. Non pas pour les montants détournés, on a tout le cash-flow qu’on veut, mais un service étranger pourrait le faire chanter. Et on a déjà noté des fuites. L’Unité-32554 est donc menacée, tu comprends ?

Konstantin :

Igor ? C’est lui le facteur X ?

Vitaly :

C’était lui.

Konstantin :

QUEL ÊTRE OBTUS !!! ... EXCUSE-MOI, VITALY, MAIS... JE NE SUPPORTE PAS QU’ON ENFREIGNE LES RÈGLES ! … SANS ELLES... NOS PERSPECTIVES D’AVENIR PASSENT... DE… DE… DE L’INFINI À ZÉRO !!!

Vitaly :

On ne saurait mieux dire, mon bon Konstantin. Aussi, vais-je te confier la tâche d’enquêter sur lui. Après tout, tu es responsable d’études.

Konstantin :

« Responsable des études de comptabilité » et « Analyste statistique pour les impacts de campagnes ». L’équivalence n’est pas démontrée.

Vitaly :

Je sais. Mais il me faut quelqu’un de l’intérieur, qui le connaisse, de préférence, et si possible en qui il a une certaine confiance.

Konstantin :

Nos dénominateurs communs sont faibles.

Vitaly :

C’est vrai. Mais il y a des degrés. Il vous arrive de passer du temps, à la machine à café, lui et toi.

Konstantin :

Quel sera mon angle d’intervention ?

Vitaly :

Tu es le roi des chiffres. En plus de le surveiller, tu vas me passer tous ses comptes au rayons X. Tu as tous les outils : scanne ses comptes en banque, ceux de sa famille, épluche toutes ses dépenses, le grand jeu. Et si tu trouves le moindre écart, tu me préviens.

Konstantin :

...

Vitaly :

Je sais. Ce n’est pas une tâche facile ni habituelle, pour toi, Konstantin. Mais la boite, et donc ton poste, sont en jeu. Or, je n’ignore pas tes besoins vitaux d’argent. Donc, tu restes discret, (pour ça je te fais confiance), et tu le colles au maillot.

Konstantin :

La somme de tout ça, c’est que je vais me transformer en rapporteur.

Vitaly :

Merci, Konstantin. Tous mes espoirs reposent en toi. Et je n’oublierai pas ce que tu as fait, une fois que cette pénible affaire sera terminée.

Konstantin :

Ce n’est pas plutôt dans le périmètre des services de sécurité, l’apport de la preuve de cette hypothèse ?

Vitaly :

La sécurité ? Tu plaisantes ! Toute la planète informatique mondiale va être au courant ! Tu imagines, les dégâts, pour notre réputation ? On a quand même réussi à se faire une image de gens sérieux, sur le dark web. On va devenir la risée des hackers du monde entier...

Konstantin :

C’est vrai. Nos avis convergent, sur ce point.

Vitaly :

Nous devons laver notre linge sale en famille, Konstantin. Éliminer par nous-même les brebis galeuses !

Konstantin :

Ok, je suis converti… Puis-je m’éclipser ?

Vitaly :

Bien sûr, Konstantin. Vas-y. Tu portes tous nos espoirs. Et rappelle-toi : personne ne doit savoir !

Konstantin :

Tu peux compter sur moi, Vitaly.

(Il sort.)

[Noir sur la scène.]

Acte I scène 6

Vitaly, Tamila, David.

Bureau de Vitaly.

Voix off :

Premier jour. Quatorze heure trente.

Vitaly :

(via l’interphone) Tamila, voulez-vous...

Tamila :

Moi je veux bien tout, avec vous, Vitaly, mais... il y a David qui vous attend.

Vitaly :

Quoi ?! ... Déjà ?! ... J’ai complètement oublié que j’avais ce rendez-vous. Comment se fait-il que je ne le voie pas sur l’agenda de ma boite mails ? Il me semble pourtant bien que je l’y avais mis !

Tamila :

Ha ben, vous l’avez peut-être mis, mais maintenant, il y est plus.

Vitaly :

Ok, ok... faites-le entrer.

(David pénètre dans le bureau.)

Vitaly :

Bonjour, David. Assieds-toi. Désolé de t’avoir fait attendre, mais je suis assez pris, aujourd’hui.

David :

Laisse tomber, Vitaly. Zéro problème. C’est le métier. Et puis ça prouve que le business marche bien, après tout, non ?

Vitaly :

Ah oui. Ce ne sont pas les opérations qui manquent, actuellement.

David :

Tout va bien ? … Je te sens un peu soucieux, dans ta voix, ce matin...

Vitaly :

Tu me connais trop bien, David. Je vais finir par devoir changer de commercial.

David :

Ha ! Ha ! Ha ! Oui, mais des au top comme moi, tu vas avoir du mal à les trouver, c’est moi qui te le dis !

Vitaly :

Bon. Fais vite, s’il te plaît. Je suis vraiment charrette.

David :

Okééééééé… Tu vas voir : je suis pas venu pour rien. La vérité : c’est de la bombe !

Vitaly :

Oui ?

David :

Je te parle d’IA, là. D’intelligence artificielle !

Vitaly :

Ho non, laisses tomber, David. La dernière fois que je suis allé sur une IA, je lui ai demandé une image représentant le tatouage d’une cœur transpercé d’une flèche, et il a été incapable de me sortir quelque chose de crédible ! C’est extrêmement survendu, pour l’instant.

David :

Ce sont tes problèmes de cœur qui t’aveuglent et te rendent amer, Vitaly.

Vitaly :

Je n’ai aucun problème de cœur ! Je faisais un test pour un faux dossier compromettant, sur un homme politique Égyptien.

David :

C’est pas à Mendelson et ses équipes, de faire ces trucs-là ?

Vitaly :

Dans certains cas extrêmement confidentiels, c’est toujours moi qui m’en charge. Cela me rappelle le bon vieux temps de mes débuts, et ça m’évite de perdre la main.

David :

OK. Mais tu es allé sur le net normal, et tu as utilisé une IA gratuite en ligne, c’est ça ?

Vitaly :

Oui. Par discrétion. Pour être noyé dans la masse.

David :

Et ben c’est là que tu t’es gouré, Vitaly.

Vitaly :

Vas-y doucement, David, hein !

David :

Oui, excuse-moi. L’enthousiasme... Voilà : moi je te propose un programme tout nouveau, développé en Corée du Nord, qui a, (tiens-toi bien !), piraté les IA de Google et Méta, plus celles de plusieurs ministères de la défense, dont celui de l’Inde, et, (tiens-toi encore mieux !), qui les a syn-thé-ti-sés ! … Et après, ils ont éliminé tous les bridages ! Tu sais, les trucs de morale, de bien-pensants, tout çà. Et le résultat ? Un pouvoir de nuisance phé-no-mé-nal !!!

Vitaly :

On peut pirater une IA, maintenant ? Je croyais que celles des services secrets étaient coupées hermétiquement d’internet ? Et puis leurs modèles de langage LLM, ça ne doit pas être une partie de plaisir, à faire fusionner...

David :

C’est là que c’est grand : les IA grand public, ils avaient pas encore pensé à les protéger, à l’époque, ces cons-là !!! Trop pressés de mettre çà sur le marché pour occuper le terrain ! La peur d’être doublé par les concurrents !!! Mais la vérité : depuis quelques mois, c’est mort, tout est verrouillé.

Vitaly :

Et les IA militaires ?

David :

Vitaly, c’est pas à toi que je vais apprendre qu’un Cloud, même avec un air-gap, çà se pirate aussi…

Vitaly :

Bon. OK. Et pour mon tatouage de cœur traversé d’une flèche, ça va marcher, tu crois ?

David :

HA ! HA ! HA ! … Des vidéos ENTIÈREMENT PIPEAU MAIS RIGOUREUSEMENT IN-DÉ-TEC-TABLES, tu pourras faire !!! Tu rentres le scénario, les personnes que tu veux voir dedans, la durée, le style d’images que tu veux, et yallah, en une nuit, hop ! C’est fait. Même pas besoin de lui dire la durée des scènes, ou les cadrages, il s’occupe de TOUT pour toi !

Vitaly :

Vraiment ?

David :

Sur la vie de ma mère, c’est FAN-TAS-TIQUE !!! J’ai fait des essais avec leur version de démo, ça m’a TUÉ !!! Elvis Presley qui baise Margaret Thatcher en version super-huit démodée, Taylor Swift qui taille une pipe à Donald Trump dans un bain turc en seize neuvième, tu peux TOUT faire, je te dis !!!

Vitaly :

Faut voir.

David :

Ce logiciel, c’est un vrai miracle !!!

Vitaly :

Et son prix ? Un vrai miracle aussi, j’imagine...

David :

Pff… avec ce qu’il te propose, c’est donné, à ton échelle...

Vitaly :

Combien ?

David :

Sept petits millions de rien du tout.

Vitaly :

Effectivement, je m’attendais à pire...

David :

Mais bon : en bitcoins, hein ?

Vitaly :

Aucun problème. Par contre, je veux l’exclusivité.

David :

Je comprends... Faut que je voie avec la boite qui l’a développé... Écoute... çà, je pense qu’ils pourront te l’offrir, mais pendant trois mois, pas plus. De toutes façons, les choses vont hyper vite, en ce moment. C’est sûr qu’il y a mieux qui va sortir, dans quelque mois.

Vitaly :

Ne me prends pas pour un écologiste français, David. Dis-leur que je veux neuf mois minimum.

David :

Ok, ok. Neuf mois.

Vitaly :

Et seulement si je suis convaincu par le truc. Je veux deux semaines d’essai. Ensuite, je paye cash dans les cinq jours. Ça te va ?

David :

Mazel tov ! Tu seras pas déçu, Vitaly ! Voilà l’adresse, pour le téléchargement.

(David lui tend une carte de visite. Vitaly la prend et la regarde.)

Vitaly :

Tu es responsable sur ta vie de son innocuité pour nos systèmes, David. Tu le sais, ça.

David :

Oui, t’inquiète pas, Vitaly, t’inquiète pas. J’ai fait le téléchargement depuis la Corée du Nord moi-même. J’ai tout tracé, tout vérifié, c’est une adresse à moi, çà. C’est kasher. Plus aucun risque, sur la vie de ma mère !

Vitaly :

Bon, désolé, David, mais il faut vraiment que je me remette au boulot.

David :

Bien sûr, bien sûr, Vitaly. T’inquiète pas, je comprends. No problem. On se rappelle très vite !

Vitaly :

On reste en contact.

(David se lève et sort rapidement.)

(Vitaly se replonge dans ses dossiers.)

[Noir sur la scène.]

Acte I scène 7

Vitaly, Tamila, Igor.

Bureau de Vitaly.

Voix off :

Premier jour. Quinze heure.

Vitaly :

(via l’interphone) Tamila, vous me faites monter Mendelson, s’il vous plaît.

Tamila :

Mendelson a peut-être bien eu une nuit un peu agitée : il a d’abord pris sa matinée, et puis il m’a dit qu’il bosserait en distanciel, cet après-midi. Mais il a promis qu’il passerait quand même, vers seize heure trente.

Vitaly :

Vraiment ? … Bon. Convoquez-moi Igor, dans ce cas.

Tamila :

C’est parti ! Le bel Igor est en route !

Vitaly :

Merci.

(Après un moment, Igor entre.)

Igor :

Au rapport, chef.

Vitaly :

Igor, je t’ai déjà dit de m’appeler Vitaly. Tu n’es plus au ministère des armées. Tu es dans une startup. Tu dois te fondre dans cette équipe et avoir l’air d’être l’un d’eux.

Igor :

Je sais, je sais... Vitaly. Mais je me disais que comme là, on est entre nous...

Vitaly :

Je préfère que tu conserves ton personnage. Il y aura moins de risques qu’en réunion, tu gaffes en t’adressant à moi.

Igor :

Super, Vitaly... Cool.

Vitaly :

C’est mieux. Savais-tu que Mendelson a pris sa matinée ?

Igor :

Affirmatif. On le lâche pas. Il semble avoir vraiment un rendez-vous médical. Son agenda personnel le mentionne, et sur les écoutes, il en parle à sa femme... qui va en profiter pour aller voir le petit con qui la draguouille depuis trois mois, d’ailleurs, hé ! hé ! Mais bon. Avec son début d’endométriose, elle va pas pouvoir assurer des masses, cette chienne, Ha ! Ha ! Ha !

Vitaly :

Évite les digressions un peu trop... affectives, dans tes comptes rendus d’activité, Igor, s’il te plaît...

Bon.

J’ai un problème qui te mets en cause personnellement : quelqu’un a échappé à ta surveillance.

Igor :

HEIN ??? … QUI !?!

Vitaly :

Et bien... Mendelson, justement.

Igor :

IM-PO-SSIBLE !!! JE SUIS CATÉGORIQUE.

Vitaly :

J’ai reçu un coup de fil du ministère de l’intérieur : ils sont formels. Mendelson achète très régulièrement de la cocaïne.

Igor :

MAIS À Q U I  ! ? !

Vitaly :

Igor, ce n’est pas un peu à toi, de nous le dire ? N’est-ce pas un peu ton job ? On t’a tiré de ton mauvais pas en échange de tes... talents dans le renseignement, non ? Et on te paye plus que bien.

Igor :

MAIS C’EST À HURLER !!! JE TE DIS QUE JE SAIS TOUT DES GARS DE TON ÉQUIPE !!! DE A JUSQU’À Z !!!

Vitaly :

Et non. Il te manque une lettre quelque part.

Igor :

ILS N’ÉCRIVENT JAMAIS !!! … ET JE REÇOIS TOUS LEURS MAILS ET SMS EN TEMPS RÉEL !!! EN MÊME TEMPS QU’EUX !!! MON ÉQUIPE LES SERRE AU PLUS PRÈS !!!

Vitaly :

Igor, il faut que tu nous trouves la faille. Et vite. Tu sais comment ils sont, à l’intérieur, quand on échoue dans sa mission.

Igor :

Oui. Le mitard… La torture…

Vitaly :

Tu connais déjà un peu, si je ne me trompe.

Igor :

Les enfoirés... C’était avant.

Vitaly :

Oui, et bien, si tu ne veux pas que ça soit aussi « après », tu as intérêt à te bouger.

Igor :

JOUR ET NUIT !!! JE VAIS PERSONNELLEMENT M’OCCUPER DE CE PETIT CAFARD, JOUR ET NUIT !!! JE VAIS CAMPER SOUS SON LIT !!!

Vitaly :

Bon courage à toi.

Igor :

MAIS TU CONNAIS MA PLAINTE : JE MANQUE DE PERSONNEL POINTU, POUR CETTE MISSION !!! ET J’AI À PEINE UNE DEMI-DOUZAINE DE GUS, POUR SURVEILLER TOUTE TON ÉQUIPE ! AVOUE QUE LES FORCES SONT INÉGALES !

Vitaly :

Je sais, Igor. Je sais. Il est sûr que c’est un argument en ta faveur dans ton dossier. Et c’est pour cela que tu n‘as pas déjà sauté. Mais ça n’excusera pas tout éternellement.

Igor :

Heu… Et si on le liquidait, directement ? Ça réglerait le problème à moindre coût, non ?

Vitaly :

Certainement pas. En tous cas, pas tout de suite. Il est très bon dans son job. Je suis en train de former une petite qui va le remplacer, mais il est encore trop tôt.

Igor :

QUOI ?!? ... UNE FEMME !?!

Vitaly :

Cela te pose un problème ?

Igor :

NON MAIS VOUS DÉLIREZ GRAVE, LÀ, LES GARS !!! UNE FEMME !!! POURQUOI PAS UN PÉDÉ, TANT QU’ON Y EST ?

Vitaly :

Igor, dans le mensonge, qui est la matière première de notre belle industrie, les femmes ont des millénaires d’avances, sur nous ! Elles sont donc naturellement très douées. Ce sont des diamants bruts !

Igor :

« DIAMANTS BRUTS », « DIAMANTS BRUTS », JE T’EN FOUTRAIS !!! FAUT LEUR MONTER D’ENTRÉE, QUI C’EST QUI COMMANDE, OUI ! MOI JE COMMENCE TOUJOURS PAR LES COUPS DE CEINTURE, QUAND JE RENCONTRE UNE GONZESSE QUI M’EXCITE...

Vitaly :

Et c’est justement grâce (ou à cause) de gars comme toi à travers les âges, qu’elles ont dû développer cette ruse, cette créativité, cette finesse naturelle, seuls gages de leur survie, mon petit Igor. Bon. Remets-toi en chasse et rapporte-moi vite du concret.

Igor :

Bien, ch… je veux dire… C… Cool, Vitaly.

(Il sort.)

Vitaly :

(via l’interphone) Tamila, Mon rendez-vous de dix sept heure avec le nouveau client est toujours confirmé ?

Tamila :

Ah ben... c’est dingue, çà : il est plus sur mon agenda en ligne ! Pourtant oui, il a confirmé... (à voix basse) Heu… Vitaly, si je peux me permettre… Faites attention, hein ? Ça à l’air d’être un phénomène, encore, celui-là…

Vitaly :

Merci de votre sollicitude, Tamila. Mais ne vous inquiétez pas. J’en ai vu d’autres.

[Noir sur la scène.]

Acte I scène 8

Vitaly, Tamila, Yvan.

Bureau de Vitaly.

Voix off :

Premier jour. Quinze heure trente.

Vitaly :

(via l’interphone) Faites entrer ce monsieur, Tamila, s’il vous plaît.

(Après un moment, Yvan entre en trombe.)

Yvan :

BONJOUR. JE VIENS VOUS VOIR CAR VOUS ÊTES LE MEILLEUR, À CE QU’ON M’A DIT. VA FALLOIR LE PROUVER AVEC MON AFFAIRE. (je m’assois, hein ?) MOI, JE VOUS PRÉVIENS, JE SUIS UN TYPE SANS PRÉTENTION. UN ENTREPRENEUR COMME LES AUTRES. PAS MEILLEURS, PAS PIRE. ENFIN BON. J’AI QUAND MÊME FAIT 78 MILLIONS DE DOLLARS LE MOIS DERNIER. DE BÉNÉFICES, JE VEUX DIRE. ET C’EST COMME ÇA DEPUIS TROIS ANS. PARFAITEMENT. ALORS, ON ME LA FAIT PAS, À MOI, HEIN ?

Vitaly :

Pourtant, je présume que si j’ai le plaisir de vous rencontrer aujourd’hui, cher monsieur, c’est parce que précisément, quelque part, quelqu’un « vous la fait » un peu, non ?

Yvan :

AH... HUMOUR... VOUS AVEZ DE L’HUMOUR. DE LA TAQUINERIE. J’AIME ÇA. FAUT PAS TROP EN ABUSER AVEC MOI, MAIS J’AIME ÇA. SI J’AVAIS LE TEMPS, J’AIMERAIS RIRE AUSSI. MAIS BON. C’EST PAS L’CAS. TROP DE TRAVAIL. TROP DE CHOSES URGENTES À TRAITER. PEUX PAS M’OFFRIR CE LUXE, MOI, VU D’OÙ JE VIENS. LA MISÈRE C’EST PAS DRÔLE, VOUS SAVEZ. PAS DRÔLE DU TOUT. MAIS BON. C’EST UNE AUTRE HISTOIRE. SAUF SI ÇA VOUS INTÉRESSE, JE VAIS PAS M’ÉTENDRE.

Vitaly :

Cela me fascinerait positivement. Malheureusement, je suis comme vous : assez débordé. Exposez-moi donc plutôt ce qui vous tracasse.

Yvan :

SOLOKOV !!! CE FILS DE PUTE ME POURRIT LA VIE DEPUIS LE PREMIER JOUR OÙ J’AI ESSAYÉ DE FAIRE D’HONNÊTES AFFAIRES DANS SA RÉGION ! MOI, JE NE CHERCHE PAS LA GUERRE. JE NE SUIS QU’UN MODESTE COMMERÇANT. UN PETIT ENTREPRENEUR, SI ON ME COMPARE À CERTAINS CARTELS INTERNATIONAUX. MOI, C’EST QUINZE PAYS. PAS PLUS. LE MINIMUM POUR FAIRE UN BUSINESS DÉCENT. LUI, IL EST MONDIAL ! MONDIAL ! IL A TOUT !!! ALORS POURQUOI IL ME CHERCHE, CE SALOPARD, CET ENFOIRÉ, CE...

Vitaly :

Solokov… Vous vous attaquez là à un énorme morceau.

Yvan :

MAIS JE SAIIIIIS, QUE JE M’ATTAQUE À UN GROS MORCEAU !!! JE LE SAIS !!! MAIS YVAN (c’est mon nom), IL EST COMME ÇA ! RIEN LUI FAIT PEUR ! IL ATTAQUE, IL ATTAQUE ! SANS PEUR ET SANS REPROCHE, COMME ILS DISENT ! ET C’EST COMME ÇA, QUE JE SUIS ARRIVÉ LÀ OÙ J’EN SUIS ! 78 MILLIONS DE PATATES DE BÉNEFS, LE MOIS DERNIER ! PARTI DE RIEN ! FAUT OSER, DANS LA VIE, FAUT OSER !

Vitaly :

Certes.

Yvan :

BON. VOUS ALLEZ M’AIDER. JE ME FOUT DU PRIX. C’EST PAS LE SUJET. QU’EST-CE QUE VOUS POUVEZ FAIRE POUR MOI ?

Vitaly :

Monsieur… Primakov, c’est bien cela ? Nous avons une multitude de services à vous proposer. Néanmoins, il me faut connaître un peu mieux votre problématique, et vos objectifs précis, afin de vous apporter la qualité de conseil que vous êtes en droit d’attendre de la part de notre belle maison.

Yvan :

LE BROYER !!! L’ÉVISCÉRER !!! LE DISSOUDRE !!! QU’IL FINISSE ABANDONNÉ DE TOUS, ÉTOUFFÉ DANS SON VOMI PURULENT, COMME LA VIEILLE CHIENNE GALEUSE ET SIDAÏQUE QU’IL EST !!!

Vitaly :

Dans ce cas… permettez-moi une première question. Je sais qu’elle est naïve, mais… pourquoi ne pas l’assassiner, tout simplement ? Je peux vous donnez bien volontiers plusieurs adresses de confrères, dont les cabinets savent travailler dans la discrétion absolue, et avec un taux d’efficacité annuel dépassant les quatre-vingt-douze pour cent.

Yvan :

MAIS JE PEUX PAAAAS !!! CETTE RACLURE A UN DOSSIER, SUR MOI !!! IL SORT, SI JE LÈVE LE PLUS PETIT DOIGT SUR LUI, IL SORT !!! (Une histoire malheureuse de garçonnet violé et torturé, vraiment rien d’original !) MAIS ÇA PEUT ME FAIRE DU MAL, NIVEAU ÉLECTORAL, CE GENRE DE BABIOLE !

Vitaly :

Vous voulez vous faire élire ?

Yvan :

BIEN SÛR ! ÇA COÛTE TELLEMENT CHER, DE NOS JOURS, D’ACHETER DES ÉLUS. AUTANT FAIRE LES LOIS SOI-MÊME, ET SE PASSER D’EUX, NON ? MOI, C’EST C’QUE J’DIS. ALORS POUR EN REVENIR À SOLOKOV, FAUT QU’IL LUI ARRIVE DES TRUCS, MAIS IL DOIT RESTER EN VIE, ET SURTOUT PAS SAVOIR D’OÙ ÇA VIENT, CE QUI LUI TOMBE SUR LA TÊTE ! VOUS COMPRENEZ ? IL DOIT CREVER À PETIT FEU, SANS SAVOIR QUE C’EST MOI QUI LUI INFUSE GOUTTE À GOUTTE LE VENIN MORTEL DANS SES VEINES !

Vitaly :

Démarche tout à fait avisée et légitime de votre part... Nous n’en sommes qu’au premier contact, mais je peux vous proposer les services suivants : nous avons une formule complète nommée « Bloody-Target-Crushing », comprenant : siphonnage de ses boites mails, blocage de tous ses réseaux sociaux, publication de tribunes à charges contre lui, organisation de fausses manifestations, saturations informatiques des serveurs de ses entreprises, création de faux documents pour l’impliquer dans des scandales financiers… ou sexuels, ce sera à vous de choisir...

Yvan :

SEXUELS !!!… SEXUELS !!!… CE FILS DE PUTE ! IL VA VOIR CE QUE ÇA FAIT, DE VOIR SA VIE PRIVÉE ET SES AMOURS ÉTALÉS AU GRAND JOUR ! C’EST UNE VIOLATIONS DE MON INTIMITÉ ! VOILÀ, CE QUE C’EST !!! UN VIOL !!! PARFAITEMENT ! !!

Vitaly :

Permettez-moi de saluer votre vocation de lanceur d’alerte, cher Monsieur. Quelle plus noble cause que la révolte contre le viol ?

Yvan :

JE LE SENS, VOTRE HUMOUR ! JE LE SENS ! MAIS Y SERAIT TEMPS QU’IL Y AIT UNE ÉGALITÉ DANS LA SOUFFRANCE, POUR LES VICTIMES ! POURQUOI TOUT LE MONDE PARLE DE CE GARÇONNET, QUI EN PLUS EST DÉJÀ MORT, ET PERSONNE SE PRESSE AUTOUR DE MOI ? HEIN ? IL SOUFFRE PLUS, LUI ! MOI, SI ! JE VOUS LE DIS, MONSIEUR, IL FAUT ARRÊTER SOLOKOV ! C’EST UN VIOLEUR DE VIE PRIVÉE !

Vitaly :

Ce sera cher.

Yvan :

MAIS JE M’EN FOUUUUT !!! VOUS VOYEZ PAS QUE C’EST PERSONNEL ??? C’EST UNE LUTTE À MORT ENTRE LUI ET MOI, MAINTENANT !!! IL M’A CHERCHÉ, IL ME TROUVE !!! J’AI ASSEZ COUPÉ DE DOIGTS DANS MA VIE POUR SAVOIR QU’IL FAUT FRAPPER FORT TOUT DE SUITE, QUAND ON VOUS MENACE !!!

Vitaly :

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