Tu parles d’un trafic !

Daniel est parti un matin et n’est plus revenu. Pas d’autre solution pour sa femme, Marie, que de continuer leur « business » aidée par ses deux belles-sœurs, ses filles et ses gendres : vol à la tire, subtilisation de bagages, etc.
Mais vingt ans plus tard il revient, annonce sa fin prochaine et, pour se faire pardonner, donne une mallette pleine d’argent à sa femme. Seulement voilà : ce n’est qu’un prétexte pour brouiller les pistes de ceux qu’il a arnaqués et qui sont à sa recherche.
Marie va-t-elle en faire les frais ? Pas si sûr… C’est compter sans la poêle de Claudette (une de ses belles-sœurs) qui va, d’un geste vigoureux, éliminer un à un les importuns !
Pas morale cette histoire, c’est vrai, mais jouissif à souhait !




Tu parles d'un trafic !

Acte I

Musique strip-tease. Une jambe de femme sort du côté du paravent.

Elle enlève langoureusement son bas.

Un homme en caleçon, marcel et chaussettes, regarde, tout excité.

Le Mexicain, embrasse le bout de ses doigts. — Ma qué cé beau ! (La femme dépose une robe à cheval sur le haut du paravent.) Sors dé là, coquine !

Nelly. — Ne sois pas si pressé… L’attente fait partie du plaisir…

Le Mexicain. — Ma, yé n’en po plou ! (Une main sort de côté, agite un soutien-gorge et le dépose sur le dessus du paravent.) Si tou né viens pas tout dé souite, yé fais oune malheur !

Nelly. — On a tout le temps, t’inquiète…

Le Mexicain. — Tou es soure qué ton mari né rentre qué cé soir ?

Nelly. — Mais non, pas ce soir, demain soir ! (Elle sort enfin, en nuisette et déshabillé vaporeux.) Alors ? Je te plais ?

Le Mexicain, rugissant. — Rouâou !!! Yé souis oune lion dé la savane et yé vais té dévorer touté croue !

Nelly. — Il faut d’abord que tu m’attrapes !

Tous deux tournent autour du canapé.

Le Mexicain. — Pétite polissonne, tou perds rien pour attendré !

Finalement, il l’attrape, la renverse sur le canapé et se jette sur elle en la couvrant de baisers. Elle rit, se débat, pousse des cris de plus en plus forts.

La porte s’ouvre violemment. Un homme surgit.

Noël. — Ah ! je t’y prends !

Nelly. — Toi ? Mais… Mais enfin…

Noël. — Alors dès que j’ai le dos tourné, t’en profites pour t’amuser un peu, c’est ça ?

Nelly. — C’est la première fois, je t’assure…

Le Mexicain. — Moi aussi cé la prémière fois…

Noël. — Toi, l’avorton, je t’ai rien demandé. T’es peut-être le premier, mais tu seras le dernier ! (Il sort un revolver de sa poche et le braque sur sa femme.) T’aurais pas dû…

Nelly. — Pardon, je le ferai plus, je te le jure !

Le Mexicain. — Moi aussi yé lé joure ! Elle lé féra plous et moi non plous ! (Noël tire. Sa femme porte la main à son cœur, puis sa main glisse. Une large tache de sang macule sa nuisette. Elle est morte. Le Mexicain est horrifié.) Ma… Ma… Vous l’avez touée !!! Aaaahhh !!!

Noël le pousse sur le canapé, à côté de la morte, et le vise.

Noël. — Tout ça, c’est de ta faute.

Le Mexicain. — Ma non ! Ma non !

Noël. — À ton tour. Je vais transformer ton crâne en bouillie !

Le Mexicain, se mettant à genoux. — Non ! Pitié ! Yé n’y souis pour rien. C’est elle qui m’a attiré ici, yé né voulais pas, moi ! Et pouis yé né savais pas qu’elle était mariée…

Noël. — Je peux pas laisser un témoin en vie. Désolé, l’asticot.

Le Mexicain. — Yé souis yamais vénou ici, yé vous ai yamais vou, yé disparais, vous entendrez plous parler dé moi, yé lé youre sour la Madona !

Noël, se laissant tomber sur une chaise. — Mais qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi ? Pars ! Pars vite ou je réponds plus de mes nerfs !

Le Mexicain. — Oui, oui, oui… Tout dé souite… (Il se dirige vers la porte.) Euh… (Il attrape ses chaussures, sa chemise et son pantalon, va pour partir mais revient, montrant la chaise sur laquelle est assis Noël.) Pardon, ma…

Noël. — T’es encore là ? T’es fatigué de vivre ou quoi ?

Le Mexicain. — Ma vesté, là, derrière vous… (Noël la met en boule et la lui jette. Le Mexicain l’attrape au vol et part à reculons. Noël tire dans sa direction. Le Mexicain part en courant.) Aaaahh !!!

Un court silence. Noël regarde par la fenêtre et se retourne vers Nelly.

Noël. — C’est bon. Il est parti.

Nelly, s’asseyant. — Pfou !… T’en as mis du temps pour entrer ! T’attendais quoi ?

Noël. — Que tu cries.

Nelly. — Mais j’ai crié ! Plusieurs fois !

Noël. — Fallait crier plus fort. Derrière la porte, c’est pas évident d’entendre.

Nelly. — Je savais plus comment le contenir, moi ! Enfin, bon… T’as son portefeuille ?

Noël. — C’te blague ! (Il l’ouvre, siffle.) Eh… pas mal ! Il aime avoir du liquide sur lui.

Nelly. — T’oublies sa carte bancaire !

Noël. — Y a trop de contrôles, même sur Internet. C’est un truc à se faire pincer.

Nelly. — Trente-trois, trente-trois.

Noël. — Tu te crois chez le toubib ?

Nelly. — C’est son code. Il était tellement excité qu’il l’a tapé devant moi.

Noël. — Le pigeon idéal, quoi…

Marie entre, suivie de Claudette et Viviane.

Marie. — Vous le croirez pas, on a croisé un type dans la rue qui courait comme un malade en se rhabillant !

Noël. — Il sortait d’ici.

Marie, louchant sur la tenue de Nelly. — Nelly ! Ne me dis pas que tu étais avec ce…

Nelly. — Maman ! C’est pas du tout ce que tu penses.

Noël. — On a testé un nouveau truc…

Nelly. — La pêche au couillon !

Claudette, attrapant le revolver. — Je connais ! T’attires le gogo chez toi, tu te fais surprendre par ton mari qui, fou de jalousie, veut le tuer.

Viviane. — Il a tellement peur qu’il détale sans demander son reste et sans se douter qu’on lui a fait les poches !

Noël. — Sauf qu’on a fait encore plus fort. J’ai tué ma femme sous ses yeux. Le mec était liquéfié !

Marie. — Et s’il va voir la police ?

Noël. — On dénonce pas un meurtrier qui a vos papiers avec votre nom et votre adresse. Il aurait bien trop peur des représailles.

Nelly. — En plus c’était un Mexicain de passage à Paris. Il repart demain et voulait se payer une soirée mémorable.

Noël. — Il a été servi !

Marie. — Non, désolée, mais je ne suis pas d’accord. Notre devise est de prendre aucun risque. Faire les poches, piquer des valises, on sait le faire ; mais se lancer dans un scénario pareil, non, je ne veux pas que ça se reproduise, en tout cas pas ici.

Nelly. — Tu veux qu’on aille où ? À l’hôtel, c’est pas possible avec les coups de feu.

Viviane. — Ta mère a raison. On s’en tient à ce qu’on fait d’habitude.

Claudette. — Et puis d’abord on ramène pas du travail à la maison.

Marie. — En plus, j’aimerais bien qu’on me demande la permission avant de prendre des initiatives.

Nelly. — OK… C’est dommage, c’est rentable…

Marie. — Possible, mais c’est trop dangereux, je vous assure.

Claudette et Viviane s’installent à la table, sortent papiers et stylos, calculette…

Noël, tendant les billets. — Tenez.

Claudette. — Combien ?

Noël. — Mille.

Viviane. — Pas mal !

Noël, à Marie. — On a le code de la carte bancaire du mec. Je peux ?

Marie. — Vous avez pris des risques, autant que ça serve… mais une seule fois. Retire le maximum.

Noël. — Ça marche !

Marie. — N’oublie pas la perruque, les gants, les lunettes… Enfin, tout ce qu’il faut pour qu’on ne te reconnaisse pas sur la bande-vidéo de surveillance.

Noël. — Évidemment.

Il sort. Nelly commence à enlever le déshabillé. Marie voit la tache rouge sur la nuisette.

Marie. — C’est quoi ça ?

Nelly. — Ben, une tache de sang. On me tire dessus en plein cœur, faut que ce soit réaliste. Crois-moi, le mec a flippé à mort !

Marie. — Avec quoi tu l’as faite ?

Nelly. — Du concentré de tomate dilué.

Claudette et Viviane s’approchent.

Claudette. — Plus vraie que nature !

Viviane. — Il y a même quelques gouttes par-ci, par-là…

Blandine arrive, une valise à la main. En fait, c’est une boîte creuse avec un dessin de valise collé dessus et une fente sur le dessus permettant d’attraper une poignée. On la pose par-dessus la mallette de quelqu’un et on repart tranquillement.

Blandine. — Difficile, aujourd’hui ! Enfin, j’ai fini par réussir à en chiper une ! (Elle soulève la fausse valise et brandit un attaché-case.) Il doit y avoir du lourd… Le mec le tenait fermement, alors je l’ai bousculé et j’ai laissé échapper mon porte-monnaie. Il m’a aidée à ramasser les pièces, j’ai recouvert son attaché-case et le tour était joué ! (Elle regarde Nelly.) Mais… c’est mon déshabillé !

Nelly. — C’est juste un emprunt.

Marie. — Oui, ta sœur en avait besoin pour…

Blandine. — Non mais quel culot ! Rends-le-moi tout de suite ! (Elle le lui enlève et voit la nuisette.) Mais… c’est ma nuisette aussi !

Nelly, de dos. — Oh ! c’est bon…

Blandine. — Ah non ! C’est pas bon, pas bon du tout ! (Elle la retourne.) Quelle horreur ! C’est quoi cette tache ?

Marie. — Trois fois rien, ma chérie…

Claudette. — Ah ! ben si, quand même ! C’est de la tomate !

Viviane. — Difficile à ravoir, ça…

Blandine. — Je vais te tuer !

Claudette, riant. — Ah non ! Ça, c’est déjà fait !

Blandine se jette sur sa sœur. Crêpage de chignon en règle. Marie, Claudette et Viviane essaient de les séparer.

Marie. — Non, pitié, vous n’allez pas vous battre ! Un peu d’eau de Javel et hop !

Viviane. — De la Javel sur de la soie !

Claudette. — C’est vrai que ça risque de faire un trou… Aïe ! Y en a une qui m’a mordue !

Viviane. — En tout cas, ça décolore. Ouille !

Dans la bagarre, les coussins volent, une chaise est renversée, les papiers s’éparpillent…

Marie. — Mais lâche ta sœur ! Et toi aussi, ça suffit !

La femme de ménage arrive en trombe.

La femme de ménage, criant. — C’est quoi tout ce bazar ? On vous entend crier du fond de la maison !

Marie. — Ce n’est rien, juste un petit désaccord, c’est fini.

La femme de ménage. — Vos histoires me regardent pas, mais va falloir me ranger tout ce désordre et plus vite que ça !

Marie. — Je veux bien comprendre que ça vous fasse un peu de travail supplémentaire, mais vous êtes là pour ça, il me semble.

La femme de ménage. — Vous gênez pas ! Traitez-moi de femme de ménage, pendant que vous y êtes !

Marie. — C’est ce que vous êtes, non ?

La femme de ménage. — Non, madame. Je suis technicienne de surface. C’est pas pareil.

Marie. — Et en quoi c’est différent ?

La femme de ménage. — Qui dit technicienne dit technique, qui dit technique dit réflexion, et qui dit réflexion dit cervelle. Et moi, j’en manque pas.

Marie. — Je n’en doute pas, mais je ne vois pas où vous voulez en venir…

La femme de ménage. — Mon rôle consiste à veiller à ce que tout soit propre et bien rangé…

Marie. — Je ne vous le fais pas dire.

La femme de ménage. — … dans la mesure où les occupants des locaux dont j’ai la charge prennent soin de leurs affaires et nettoient derrière eux !

Claudette. — Alors ça, c’est la meilleure !

Viviane. — À quoi vous servez, alors ?

La femme de ménage. — À vérifier et à corriger les oublis de chacun. Et croyez-moi, c’est déjà beaucoup ! Bon. Tout ça, c’est votre affaire. Moi, je retourne dans la salle de bains. Y en a qui font gicler l’eau partout en prenant leur douche. C’est quand même pas bien compliqué de passer un coup de raclette !

Elle sort.

Nelly. — Comment elle se permet de nous parler ?

Marie. — Il y a une goutte de sauce tomate sur le canapé. Si elle la voit, ça va être la crise…

Claudette. — Il n’y a qu’à mettre un coussin dessus.

Marie. — J’espère qu’elle aura pas l’idée de le déplacer…

Viviane. — J’ai peur !

Claudette. — Moi, elle me saoule. Si elle continue, je vais lui faire sa fête à cette sauterelle !

Nelly s’est rhabillée. Blandine pleurniche sur sa nuisette.

Blandine. — Si je la reprends à se servir de mes affaires, je la vitriole !

Marie. — Rien que ça ! Arrête de dire des bêtises.

Blandine. — Et toi, arrête de la défendre. Pff… De toute façon, elle a toujours été ta préférée.

Marie. — Tu sais très bien que c’est faux.

Blandine, à Nelly. — Pense pas t’en tirer à si bon compte. Tu remplaces ma nuisette, et je veux le même modèle.

Nelly. — Comment tu veux que je la trouve, tu l’as achetée il y a plus d’un an !

Blandine. — Je m’en fous. Je veux pas le savoir. Je veux la même.

Marie. — Arrête. Elle te la remplace, d’accord, mais n’exagère pas non plus.

Blandine. — Si elle la trouve pas, elle en prend une autre mais avec le déshabillé assorti.

Nelly. — Maman !

Marie. — C’est logique.

Nelly. — D’accord… En fait, c’est elle ta préférée.

Marie. — Oh là là ! Vous avez quel âge, toutes les deux ? (Nelly hausse les épaules et sort. Claudette et Viviane ont remis de l’ordre et s’installent à nouveau.) Bon. Ouvre-le, cet attaché-case.

Blandine. — Il est même pas fermé à clé !

Claudette. — On t’écoute.

Viviane. — Je note.

Blandine. — Un chargeur…

Claudette. — On en a des tonnes.

Blandine. — Des écouteurs sans fil…

Viviane. — C’est les quatrièmes cette semaine.

Blandine. — Deux stylos, une calculette…

Marie. — C’est la misère.

Blandine. — Attends, je regarde dans la poche du couvercle… Trois clés USB et… des Kleenex.

Claudette. — Nul !

Viviane. — Faut avouer que t’as pas eu la main heureuse, ces derniers jours.

Blandine. — Je pouvais pas deviner. Il s’y cramponnait, j’ai cru que ça valait le coup.

Marie. — C’est pas grave, tu feras mieux demain.

Noël revient.

Noël. — Voilà, c’est fait !

Marie. — Tu as pu retirer combien ?

Noël. — Deux mille.

Claudette. — Super !

Viviane. — Si chacun en faisant autant…

Blandine, pincée. — Merci.

Viviane. — Je parlais pas de toi, je disais en général…

François arrive à son tour, une mallette à la main. Il sort une tablette de son sac à dos.

Marie. — Ah ! te voilà ! Eh, on dirait que la pêche a été bonne !

François, tendant une mallette. — J’ai ça aussi !

Marie. — Bravo ! Tu progresses !

Elle met la tablette et la mallette sur la table.

François, prenant Blandine dans ses bras, câlin. — Alors, ma chérie, bonne journée ?

Blandine. — Merveilleuse ! J’ai parcouru la gare de Lyon de long en large pendant des heures au milieu d’une foule de voyageurs qui m’ont bousculée, roulé sur les pieds avec leur valise, des gosses qui hurlaient parce qu’ils avaient perdu leur doudou et j’en passe… Tout ça pour ramener un malheureux attaché-case avec rien dedans ou presque, et découvrir, en rentrant, ma sœur dans ma nuisette qu’elle a ruinée avec de la sauce tomate, je sais pas pourquoi d’ailleurs et je veux pas le savoir ! Alors ne t’attends pas à une soirée romantique, je suis pas d’humeur !

Elle sort.

Marie. — C’est rien, elle est vexée. Ces temps-ci, elle ne ramène pas grand-chose.

Claudette. — Ben… elle est nase, cette tablette…

Viviane. — L’écran a un pète, regarde…

Noël. — C’est bon pour la casse.

François. — Ah ! c’est pour ça que j’ai vu un mec la jeter !

Noël. — Tu fais les poubelles, maintenant ?

Marie. — Il y a la mallette.

Claudette, ouvrant la mallette. — Tu l’as piquée à un mille-pattes ?

François. — Pourquoi ?

Viviane, riant. — Elle est pleine de chaussettes !

Claudette. — Y en a pour tous les goûts !

Noël. — Il y a que toi pour tomber sur un représentant en chaussettes !

Marie. — Fais pas cette tête, c’est rigolo !

Claudette. — Bon. C’est tout pour aujourd’hui.

Viviane. — Dans l’ensemble, la semaine a été bonne.

Les trois femmes remballent leurs affaires et sortent. François est assis, la tête dans les mains.

Noël. — Faut pas te laisser abattre, mon vieux, c’est pas grave !

François. — C’est pas pour ça… Blandine arrête pas de se fâcher contre moi. Je suis toujours trop « ci » ou pas assez « ça »… et puis je rapporte jamais rien d’intéressant. Je suis pas doué, je suis pas doué, c’est tout.

Noël. — Attends, tu te débrouilles pas si mal…

François. — T’as vu ça où, toi ? Pour les tours de passe-passe, je suis nul. Même un gamin de dix ans s’en sort mieux que moi !

Noël. — Tu te déprécies. C’est pas si… enfin… pas tant que ça.

François. — Tu sais, quand une femme n’admire plus son mari ou, pire, quand elle le méprise…

Noël. — Allons, elle en est pas là. Je la connais, Blandine. Si elle t’aimait plus, elle serait plus avec toi.

François. — C’est possible… Quand j’y pense… Elle disait que j’étais son Zorro. C’est plus le cas, je t’assure. Quand j’arrive enfin à piquer quelque chose, j’ai le cœur qui cogne, je suis en sueur, à deux doigts de m’évanouir. Non, je la fais plus rêver, voilà tout.

Noël. — Il faudrait que tu fasses un truc qui l’épate.

François. — Je vois pas quoi…

Noël. — Je crois que je tiens un bon plan… Ouais, ça peut le faire…

François. — C’est quoi, ton idée ?

Noël. — Imagine : vous êtes tous les deux peinards, quand soudain un homme cagoulé surgit. Il vous menace, elle est morte de peur. Toi, tranquille, tu t’approches et tu lui mets la raclée du siècle. Elle est tellement sciée qu’elle te tombe dans les bras comme au premier jour !

François. — Tu me vois, moi, mettre K.-O. un agresseur ? T’es complètement fou !

Noël. — C’est toi qui es barjo. Le cagoulé, ce sera moi ! Je te malmène un peu pour faire plus vrai ; toi, tu me balances trois ou quatre coups de poing et je tombe ! Après ça, elle te verra plus avec les mêmes yeux.

François. — Mais… je veux pas te faire mal !

Noël, soupire. — Faut tout t’expliquer… Tu fais semblant de taper fort, moi je tremblote sur mes guibolles et je m’écroule.

François. — C’est pas évident…

Noël. — On va s’entraîner. On est seuls, on essaie maintenant. (Il s’avance, menaçant.) Pas un cri, pas un geste ou je vous bute ! Fric, bijoux, et plus vite que ça !… Ben, vas-y, dis quelque chose !

François. — Euh… oui, attends… euh… « Ah ! tremble, bandit ! »

Noël. — Hein ? C’est tout ?

François. — Euh… « Si tu crois que je vais te laisser faire, tu te trompes, scélérat ! »

Noël. — Non, finalement, dis rien. Je veux pas te vexer, mais là t’es pas crédible.

François. — Ah bon…

Noël. — Tu m’attaques direct. Tu me fonces dessus et tu me défonces !

François. — D’accord. Si tu penses que c’est mieux comme ça…

Noël. — Oui, fais-moi confiance. Vas-y ! (François s’approche et envoie un coup de poing tout mou en s’arrêtant à vingt centimètres de son visage.) Non mais… faut que tu me touches ! C’est moi qui reculerai la tête. Et mets-y plus de peps !

François. — OK. « Tiens, prends ça, malfrat ! »

Noël. — C’est pas possible de sortir des mots pareils ! Je t’ai dit de rien dire ! Et donne plusieurs coups !

François. — D’accord !

Noël. — Et encore plus de vigueur ! On aurait dit un escargot anémique ! (François donne des coups de poing en s’arrêtant sur le menton, la pommette, la tempe. À chaque fois, Noël envoie sa tête en arrière puis il s’effondre. Il se relève.) Eh ben, voilà ! Tu vois, quand tu veux !

François. — C’était bien ?

Noël. — On va dire que c’est un début. Il va falloir s’entraîner encore un peu. Viens.

Ils sortent. La femme de ménage arrive et regarde la pièce, un petit sourire satisfait aux lèvres. Ses yeux se posent sur le canapé. Elle fronce les sourcils, secoue la tête et va remettre le coussin à sa place.

La femme de ménage. — Mais… c’est quoi ? Une tache ! (Elle gratte un peu, regarde son doigt.) C’est de la tomate ! Oh ! les sagouins ! En plus ils ont essayé de cacher le caca du chat sous un coussin. Ils croyaient que je m’en rendrais pas compte… Ah ! ils vont m’entendre !

Elle sort. Claudette et Viviane arrivent. Viviane tient une lettre à la main. Elles s’installent sur le canapé.

Viviane. — Comment on va annoncer ça à Marie ?

Claudette. — Mais surtout, comment elle va le prendre ?

Viviane. — En tout cas, c’est maintenant ou jamais. Moi, ça m’a mis un coup. Je suis toute chamboulée…

Claudette. — Il a quand même un sacré culot ! Tu te rends compte, après tant d’années ?

Viviane. — Il dit qu’il a changé…

Claudette. — Tu y crois, toi ?

Viviane. — C’est possible…

Marie arrive.

Marie. — Me voilà. Alors, de quoi vous voulez me parler ?

Claudette. — Viens, assieds-toi.

Marie. — Il y a un souci ?

Viviane. — Pas vraiment. C’est plutôt… une sorte de surprise… inattendue… dont on ne pouvait pas se douter et totalement imprévue.

Marie, riant. — Tout ça à la fois ! Tu es perturbée, on dirait. Et cette surprise, elle est bonne ou mauvaise ?

Viviane. — Ni l’une ni l’autre. C’est une surprise… surprenante.

Marie. — De mieux en mieux !

Claudette, à sa sœur. — Arrête de tourner autour du pot. (Elle prend la lettre et la tend à Marie.) Tiens. C’est une lettre de Daniel.

Marie. — Pardon ?! C’est une blague ?

Claudette. — Non. Notre frère nous a écrit…

Marie. — Ah ! mais je ne le connais plus ! Je ne veux plus entendre parler de lui et je ne veux plus le revoir de ma vie entière !

Viviane. — Il y explique que…

Marie. — Que quoi ? Qu’il est parti un jour, comme ça, en me disant « à ce soir » et qu’il est jamais revenu ?

Claudette. — Oui, il a fait fort…

Marie. — Vous aussi il vous a abandonnées.

Viviane. — On n’avait plus que lui comme famille.

Marie. — Je sais. En attendant, il m’a laissée sans un sou. Il est parti avec la caisse et il a fallu prendre la relève.

Viviane. — On se débrouille très bien sans lui.

Claudette. — Avoue qu’on fait une sacrée équipe !

Viviane. — Lis sa lettre, après tu feras comme tu veux. (Marie fait non de la tête.) Tu veux que je te la lise ? « Mes chères sœurs. Je me doute de votre étonnement et de votre émotion en lisant cette lettre. Tant d’années se sont écoulées ! Je n’ai jamais cessé de penser à vous deux, à Marie, à mes filles chéries. Comme elles ont dû changer ! »

Marie. — Non ? Sans blague ?

Viviane. — « Si je fais cette démarche aujourd’hui, c’est que j’ai eu le temps de réfléchir, de me recentrer sur moi-même. »

Marie. — Oh ! le pauvre chéri était éparpillé !

Viviane. — « Je veux réparer ce que j’ai cassé, panser les blessures que j’ai causées, retrouver ma famille. »

Marie. — Ça lui ressemble pas, ce vocabulaire… Bref, il veut revenir, c’est ça ?

Claudette. — Juste pour nous revoir. Il a pas l’intention de vivre ici…

Marie. — Mais j’espère bien, parce que si c’est le cas, il va être déçu, le bonhomme, moi je vous le dis !

Viviane. — Il dit qu’il a les meilleures intentions du monde et qu’il veut réparer ses erreurs.

Marie. — Mais c’est un saint en puissance, cet homme-là ! Il faudra que je demande au pape de penser à le canoniser !

Claudette. — Tu veux bien qu’il vienne ?

Marie. — Non. Je ne crois pas un mot de ce qu’il écrit. Il a dû faire la fiesta pendant tout ce temps, dilapider son fric avec Dieu sait qui. Il se retrouve vieillissant, seul, plus de logement peut-être… Je ne serai pas sa bonne poire pour la soif !

Viviane. — Non, c’est pas ça. Il écrit : « Je veux me racheter tant sur le plan personnel que financier. » Tu vois, il est pas dans le besoin.

Marie. — Admettons… Ça ne change rien pour moi. Je ne veux pas le voir.

Claudette. — Tu devrais demander à Nelly et à Blandine ce qu’elles en pensent…

Marie. — Je n’ai pas l’intention de leur en parler.

Viviane. — C’est leur père, tu peux pas leur cacher ça !

Marie. — De toute façon, elles refuseront de le rencontrer. Elles le détestent.

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