Victor Hugo et ses copains

Ambiance Beckett (sans prétention).FRED et GUS perdus dans un désert au pied d’un arbre mort avec pour seul horizon la carcasse calcinée de leur 4×4. FRED tourne en rond, parle beaucoup, ce qui agace fortement GUS qui tente de peaufiner son anglais grâce à une application téléchargée sur son smartphone, en tout cas tant qu’il a de la batterie ! Après il faudra l’un et l’autre qu’ils trouvent à s’occuper en attendant… Mais en attendant quoi ? La fin, des temps peut-être, si elle arrive. Le personnage de FRED est bouleversant (m’a t’on dit !)

 

Le plateau est nu. Il n’y a qu’un arbre mort, sans feuille aucune, qui se dresse quelque part, insolite.

I

 

 

 

GUS est assis contre le tronc de l’arbre, son portable à la main, écouteurs dans les oreilles. Il répète à haute voix en faisant de gros efforts d’articulation, une leçon d’anglais. Il a une barbe de plusieurs jours.

 

Un peu plus loin git une caisse sur laquelle est écrit en lettres grossières « ARCACHON ».

 

Un temps puis parait FRED, portant lui aussi une barbe de plusieurs jours.

 

FRED s’approche de l’arbre et commence à déboutonner sa braguette.

 

 

GUS : Ah ! Non ! Tu ne vas pas pisser sur mon arbre !

 

FRED : C’est pas ton arbre.

 

GUS : Je suis appuyé contre, idiot, donc c’est mon arbre. Provisoirement.

 

FRED : Suffit pas de s’appuyer contre pour s’approprier un arbre. Même provisoirement. Ce serait trop facile.

 

(Il continue à déboutonner sa braguette)

 

GUS (Gueule) : Va pisser plus loin !

 

FRED : Où ça ? Y’a pas d’autre arbre à l’horizon !

 

GUS : Je m’en fous. Tu ne vois pas que je travaille !

 

FRED (Haussant les épaules) :  Tu me casses les pieds avec ton English !

 

GUS : Ferme-la !

 

FRED : C’est vrai, ça t’a pris comme la courante ! Deux jours et deux nuits que je t’entends les rabâcher tes leçons dans ce putain de dialecte ! J’en ai marre.

 

(GUS ne l’écoute pas. Il répète en articulant du mieux possible…)

 

GUS: What time is it, please? It’s exactly two o’clook. What day is it today? It’s the first of January.

 

FRED (Se calme et décrète): Bon. Ben je vais pisser plus loin.

 

(FRED disparait, GUS continue sur le même ton, en s’appliquant)

 

GUS: Don’t forget that I am on a diet. Oh! Yes! And you both? I’ll take the special of the day, mutton shop, French beans and cheese, boiled potatoes…

 

(Retour de Fred qui reboutonne sa braguette. Il se plante devant l’arbre, pensif)

 

FRED : C’est tout de même étonnant qu’il y ait pas le moindre petit arbre aux alentours, à part le tien. Je me demande bien dans quelle saloperie de pays on a fini par atterrir avec tes conneries. Pas toi ?

 

(GUS reste impassible)

 

FRED : Ça fait rien, fichues vacances ! Et puis m’est avis que ce n’est qu’un début ! Je sais pas ce que ça nous réserve pour la suite tous ces emmerdements dès le départ. Mais sûrement rien de bon. Je commence à avoir la dalle, moi. Pas toi ?

(Un temps. Il tourne encore en rond, désœuvré)

 

FRED : Y’a même pas un quidam à qui parler, dans ce désert. Sauf toi. Mais toi tu parles pas, tu bosses. Môsieur se concentre. Môsieur s’instruit. Môsieur m’ignore.

 

(Encore un temps de silence, puis FRED poursuit…)

 

FRED : Tout de même, c’est toi qui a voulu changer de coin cette année, pour les vacances. Alors tu devrais au moins savoir où on est. Au moins avoir une petite idée de l’endroit de la planète où on risque de crever, non ? Je sais, tu t’en fous ! Du moment que t’as ton English à te mettre dans la tête. Moi j’aimais bien Arcachon. Et puis on étaient habitués. Seulement comme ça, tout d’un coup, ça ne t’a plus plu, Arcachon. Je me demande bien pourquoi. Je te l’ai demandé aussi, d’ailleurs, mais tu ne m’as pas répondu, comme toujours. Comme depuis un certain temps où j’ai l’impression de plus exister à tes yeux. Parce que l’English tu pouvais tout aussi bien l’ingurgiter à Arcachon, non ?

 

GUS : Fous-moi la paix !

 

FRED : J’ai tout de même le droit de parler un peu. Je m’ennuie comme un parapluie, moi, dans cet endroit sec.

 

GUS : Tu n’avais qu’à ne pas me suivre.

 

FRED : Je t’ai pas suivi, Gus, ça s’est fait comme ça. On est toujours partis ensemble pour les vacances.

 

GUS : Il fallait bousculer les habitudes. Il fallait me dire merde ou m’envoyer ton poing sur la figure. Il fallait partir de ton côté, Fred !

 

FRED : Tu dis vraiment n’importe quoi.

 

GUS : Tais-toi, je bosse. Tu n’as qu’as bosser avec-moi si tu t’ennuies.

 

FRED : Je suis pas doué pour les langues.

 

GUS : Alors ferme-là ! Pense en français si ça te fait plaisir, mais en silence. Compris ?

 

FRED (Fermé) : Compris.

 

(Un silence. FRED fait des efforts pour se taire puis avoue…)

 

FRED : Je peux pas. J’ai besoin de parler, moi, pour pas me sentir tout seul. C’est sinistre cet endroit. C’est pas ton avis, Gus ?

 

(Il regarde GUS, implorant)

 

FRED : Pourquoi tu réponds pas ? Tu réponds jamais quand je te parle depuis que tu t’es mis à apprendre l’anglais. Avant tu me répondais, tout de même. Je me souviens, à Arcachon…

 

GUS : Tais-toi.

 

FRED : C’est plus ce que c’était les vacances avec toi. C’est plus du tout marrant. Pourtant qu’est-ce qu’on a pu rigoler dans le temps tous les deux ! Tu te souviens, dis, Gus ?

 

(Silence de GUS. FRED se met à gueuler, excédé…)

 

FRED : Mais qu’est-ce que tu vas en fiche de ton English, puisque tu vas crever ici comme une bête ?

 

 (Il tourne en rond, nerveux)

 

FRED : T’as raison. J’aurais dû t’envoyer mon poing sur la figure. Te tenir tête un peu, pour une fois, et retourner à Arcachon. T’as parfaitement raison, c’est con les habitudes. J’aurais jamais dû accepter que tu prennes tout seul l’habitude de choisir pour les vacances.

 

(Il réfléchit)

 

FRED : Pourtant pour Arcachon j’étais tout à fait d’accord avec toi. J’aimais bien. Alors je vois pas pourquoi je t’aurais empêché de prendre l’habitude de choisir cette bourgade pour les vacances. Parce que si c’était moi qu’avais dû choisir j’aurais pris l’habitude de choisir Arcachon aussi.

 

(Nouveau temps de réflexion au terme duquel il conclut…)

 

FRED : Mais si c’était moi qui l’avais prise, cette habitude, en ce moment précis on y serait à Arcachon ! On serait pas dans ce désert.

 

GUS : Encore une fois : Fous-moi la paix !

 

FRED : Non, non et non ! J’en ai marre de ton English !

 

(Il tente d’arracher le téléphone des mains de GUS qui se défend)

 

GUS : Ah non !

 

FRED : Ah si ! (II se calme il devient humble soudain ) Rien qu’une petite minute s’il te plait, pour que j’ai l’impression de pas être tout seul !

 

GUS (Qui a récupéré son téléphone) : On n’est jamais tout seul. Nulle part. On peut se trouver au bout du monde il y a toujours un emmerdeur de ton espèce pour vous casser les pieds. Tu sais quoi ? J’en ai marre de t’entendre soliloquer, Fred !

 

FRED : Je peux pas dialoguer tout seul.

 

GUS : Alors écoute-moi. Répète après moi. Have a good day, sir. My regards to your wife!

 

FRED : J’aime pas. Ça sonne pas bien.

 

GUS : Tu n’aimes pas ce qui est beau. (il répète, en articulant) Have a good day, sir. My regards to your wife!

 

FRED (Stupéfait): J’aime pas ce qui est beau ? C’est à moi que tu dis ça ? Si Môsieur ! J’aime Léa, et elle est belle, Léa. Tu peux pas dire le contraire. Et aujourd’hui Léa elle est à Arcachon ! J’aurais jamais dû partir avec toi. J’aurais dû te dire merde en effet, Gus.  T’as fait exprès de m’entrainer ici, hein ?

 

GUS : On est toujours partis ensemble.

 

FRED : Avant c’était à Arcachon.

 

GUS : Ça change.

 

FRED : J’aime pas pas savoir où je suis.

 

GUS : Quelle importance ! On est toujours quelque part de toute façon, tu le sais très bien. Quelle importance de savoir où ?

 

FRED : Philosophe pas je t’en prie Gus pour m’en mettre plein la vue. On le sait que t’es instruit, toi. Tu le cries assez partout. Moi aussi, figure-toi je le suis, malgré les apparences. Auto-instruit. Parce que je me suis fait tout seul. Parce que tout m’intéresse à part l’English. C’est inné chez moi, ça.

 

GUS : On ne dit pas « auto-instruit » on dit « autodidacte » Fred !

 

FRED : Ah Bon ? Merci. Je note . Mais ça voulait dire la même chose.

 

(FRED fonce sur GUS soudain)

 

FRED : C’est toi qui a tout combiné, hein ? Ce départ pour je-ne-sais-où…  La location de la bagnole, le voyage en train qui n’en finit pas avec ces putains de fenêtres qui s’ouvrent pas quand il fait chaud et qu’on peut plus fermer quand il gèle, le bateau où on a le mal de mer et où on balance ses boyaux par-dessus le bastingage, jusqu’à la traversée de ce désert sur des pistes des plus improbables, c’est toi, hein, tout ça ? Et la panne aussi c’est toi, hein ? Je croyais que ça en avait jamais des pannes les 4x4 pour le désert ?

 

GUS : Moi aussi.

 

FRED : T’as toujours réponse à...

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